Bon
Mercredi
L’école propose aux enfants une séance de cinéma …
On cherche des accompagnateurs…
Lena a toujours tout ce qu’il faut sous la main…
Une mine d’or, cette jeune personne…
Ben, y’a ma mère…
Sa mère accompagnera donc la classe au cinéma…
On range les enfants deux par deux…
Etonnant spectacle:
D’un côté, les garçons.
De l’autre, les filles…
Étanchéité totale entre les deux groupes…
Au moment de s’ébranler, le convoi subit une onde de choc.
Un enfant vient d’être piqué par une guêpe…
On le conduira chez le pharmacien sur la route…
Mais un autre élève hurle et tremble de tous ses membres. Il a la phobie des insectes, ses jambes flageolent, il pleure de terreur…
Il faudra plusieurs minutes pour le calmer.
Bon
Enfants, maîtresse et accompagnateurs démarrent enfin.
L’effervescence est à son comble…
Deux élèves accidentés, la perspective d’une sortie collective, ça pépie des décibels au – delà de l’acceptable…
Le cortège se met en route…
Romy me hèle:
T’as quel âge, Mamie?
Ses copines l’ont interrogée, j’assume une grande différence d’âge avec les parents quarantenaires…
T’inquiète ma puce…
Je tiendrai jusqu’au cinéma…
Nous arrivons enfin…
La maîtresse a fait une halte à la pharmacie…
Romy l’a interpellée : si vous voulez de l’argent, maîtresse, ma grand-mère peut vous en prêter…
On s’installe.
Et là, la surprise.
L’instit explique : soyez attentifs. C’est un film américain, en anglais…
En anglais ? gronde le groupe ?
Mais c’est sous- titré!
Moi je m’en fiche, affirme Jacob , ma grand-mère est prof d’anglais…
Tu sais lire, rétorque la maîtresse.
Sous- entendu : t’as pas besoin de traductrice simultanée…
Les enfants ont 8 ou 9 ans…
On leur propose un vieux film américain en noir et blanc en vo.
Une histoire d’altercation entre deux frères qui découvrent au final qu’ils s’aiment…
Les enfants parlent très vite et les sous- titres défilent à vive allure…
Une certaine agitation sinue dans les rangées…
Les mômes s’ennuient ferme…
Une voix rieuse à mon oreille :
On te dérange pas, Mamie?
Je me suis endormie…
L’essentiel de l’opus porte sur les activités d’un petit bonhomme qui se retrouve seul à Coney Island et jouit de l’offre pléthorique de la fête foraine.
Son frère finit par le retrouver et moi par me réveiller…
J’interroge la maîtresse du regard.
Beau film, dit-elle.
Très intéressant, dis-je en écho , Romy rit sous cape…
Sur le chemin du retour, les enfants discutent beaucoup.
De politique …Devant les nombreux panneaux affichant le portrait des deux candidats…
Vous avez aimé le film ?
Non.
Évidemment …l’histoire d’un gamin en culottes courtes enfourchant un cheval de bois dans les années 50 , seul parce qu’il s’est disputé avec son frère…
Même si la morale est intemporelle…
Ces enfants, certes privilégiés, sont en prise directe avec le monde qui les entoure et vont souvent au cinéma, personne ne s’est avisé que le noir et blanc et les dialogues en anglais les feraient rire sans les émouvoir le moins du monde…
Ces films exhumés supposés éveiller le goût du cinéma chez les enfants sont le propre d’une pédagogie à la française qui écarte impitoyablement l’idée d’un plaisir lié à la culture…
Vous pourrez ce soir dîner au restaurant sans réservation .
On prévoit près de 15 millions de spectateurs pour assister au duel électrique des deux candidats…
Je vous embrasse
© Michèle Chabelski
Ces enfants qui ont bien de la chance ne garderont peut-être pas un grand souvenir de cette séance de cinéma mais sauront que ces vieux films ont bel et bien existé…
“Ces films exhumés supposés éveiller le goût du cinéma chez les enfants sont le propre d’une pédagogie à la française qui écarte impitoyablement l’idée d’un plaisir lié à la culture”. Phrase typique des profs dont j’ai subi l’enseignement démagogue et peu profitable. Cette pédagogie avec la solidité intellectuelle et morale qu’elle procurait, ma génération de quadragénaires et les suivantes en ont été privées. Elle avait pourtant fait ses preuves avant que votre génération, qui en a bénéficié avantageusement, ne la pulvérise impitoyablement avec les dégâts que l’on déplore amèrement. Vous nous fatiguez avec vos chimères bêtifiantes et anachroniques !