Il pleut à Haïfa, comme dans tout le pays en ces dernières journées de décembre. Dans une salle de la synagogue Oleh Sarah, nommée en hommage à Sarah Halimi, son fils Yonathan nous reçoit, avec son épouse Esther, autour d’une petite table et d’un café. Il fait froid. L’hiver en Israël. Il ne dure pas longtemps mais il est rude. « En France, les maisons sont mieux chauffées », sourient-ils. La France… Un peu de nostalgie, et beaucoup de colère et d’incompréhension. Rencontre avec un fils qui a vécu le pire. Mais qui n’a pas perdu la foi.
Nous sommes ici dans la communauté francophone de Oleh Sarah, un lieu très symbolique pour vous, car vous avez commencé à vous y investir à la mort de votre mère, n’est-ce pas ?
Yonathan Halimi. Cet endroit a été créé il y a cinq ans. Mon épouse Esther et moi-même nous sommes très vite impliqués dans ce projet : offrir aux francophones de Haïfa un lieu chaleureux, un espace de prière, mais aussi une communauté à la française, dans laquelle les enfants trouvent du soutien scolaire, des amis à qui parler… Après le drame, le 4 avril 2017, nous avons voulu dédier cet espace à ma mère. La décision de la Cour de cassation de ne pas reconnaitre le crime comme antisémite a accéléré ce désir de lui rendre justice et nous avons donné son nom à ce centre communautaire : Sarah. Une trentaine de familles le fréquentent régulièrement ; nous accueillons aussi des étudiants français du Technion. Avant sa disparition, ma mère songeait d’ailleurs sérieusement à venir s’installer ici avec nous, à Haïfa ; elle hésitait parce que mes deux sœurs et leurs enfants, dont elle était très proche, vivaient alors encore en France. Mais nous étions en train de visiter des maisons pour elle. Deux jours après sa mort, un agent immobilier nous a justement appelés pour nous proposer quelque chose…
Vous insistez sur la culture particulière des Français qui sont en Israël, une culture qui les distingue, d’une certaine manière. Vous auriez pu rejeter la France…
Y.H. Nous avons tiré un trait sur la France, oui. Mais nous n’en gardons pas moins beaucoup de particularités françaises ; et sur de nombreux points, nous restons très différents de ceux qui sont nés en Israël. Et puis, dans les années 1980-90, les Juifs étaient heureux en France. C’est plus tard que la situation s’est dégradée… Mes parents étaient tous deux originaires de familles algériennes traditionalistes ; ils sont devenus pratiquants, mais ils étaient très attachés à la France. Ma mère était née à Nogent-sur-Marne, à côté de Paris. Elle a étudié la médecine à la faculté de Créteil puis s’est rapprochée de la communauté de la rue Pavée, qui lui a proposé un poste de directrice de crèche. Elle accueillait des enfants de tous les milieux ; et durant des années, elle a accompli un formidable travail. Elle était à la fois ferme et bienveillante, savait associer rigueur et douceur. Je me souviens qu’une fois, elle a ramené à la maison un petit enfant qui était malade. Sa maman était en voyage et le papa démuni, alors ma mère l’a gardé chez nous et s’en est occupée totalement. Elle savait donner à chacune et à chacun. Elle a été une incroyable directrice de crèche. Tout le monde se souvient d’elle : les parents, les personnes avec qui elle a travaillé, les membres de la communauté de la rue Pavée…
Vous êtes venu en Israël à l’âge de 17 ans : c’est très jeune. Votre mère vous a-t-elle poussé à partir ?
Y.H. Je savais que je voulais vivre en Israël. Cela n’a pas dû être simple pour elle, mais elle m’a laissé faire. Elle était toujours très soucieuse de mon bien-être et de celui de mes deux sœurs. Nous nous parlions beaucoup, beaucoup ; c’était ma confidente. J’imagine que ma mère aurait préféré garder tous ses enfants près d’elle… Mais pour moi, Israël était le lieu où je devais me réaliser. Je suis donc parti étudier en yeshiva à Haïfa en 1997. Après six années de yeshiva, je suis revenu en France pour les vacances et j’y ai rencontré ma femme, une amie de mes sœurs. Je n’envisageais pas ma vie ailleurs qu’en Israël, à Haïfa où je m’étais déjà fait de nombreux amis ; Ma mère y pensait aussi, depuis longtemps. Elle venait souvent nous voir – d’ailleurs, elle devait nous rendre visite un mois après… la tragédie. Mes deux sœurs ont fait leur alya après sa mort. Il était inimaginable pour elles de continuer à vivre dans les mêmes conditions, au même endroit, mais sans ma mère.
Vous dites que le climat en France s’est fortement dégradé depuis votre départ. Votre mère se sentait-elle en sécurité ?
Y.H. Bien sûr que non ! L’insécurité régnait dans le quartier où elle vivait, à Belleville. Les Juifs – mais pas seulement les Juifs – ne s’y sentent plus tranquilles, ils ont peur. Ce voisin qui a tué ma mère était connu de tout le monde et il terrorisait les gens dans ce bloc d’immeubles. C’était quelqu’un de très grossier, très agressif. Son profil est représentatif. La France a laissé pourrir la situation.
Grâce à la commission d’enquête menée par Meyer Habib à l’Assemblée nationale, nous découvrons maintenant que les policiers qui étaient là, derrière la porte, auraient pu entrer bien plus tôt et sauver ma mère ; un voisin leur avait donné une clé pour entrer. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? Pourquoi ne disent-ils pas la vérité ? Il s’est passé quinze ou vingt minutes durant lesquelles l’assassin était avec ma mère, et pendant tout ce temps-là la police n’est pas entrée. Nous ne comprenons pas.
La décision de la Cour de cassation qui, le 14 avril dernier, a déclaré l’assassin irresponsable a été pour vous un deuxième coup de massue…
Y.H. L’assassin se promène toute la journée tout à fait librement et il rentre à l’hôpital psychiatrique le soir : est-ce normal ? On nous dit qu’on ne juge pas les fous. Mais il n’est pas fou ! Il avait déjà fait de la prison pour autre chose et il savait à qui il s’attaquait. Les législateurs sont en train de changer la loi ? C’est bien, mais ce sera trop tard pour nous. Ce n’est pas notre problème. Nous voulons simplement que l’assassin de notre mère soit jugé. Est-ce trop demander ?
© Eve Boccara
Publié dans LPH 982
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