D’un coup, ils se sont mis à parler de guerre. Les propagandistes de Poutine, sa télé. Après que le Moskva a été coulé. Je suis tombé sur une émission d’Olga Skabéeva et Evgueni Popov, « 60 minutes », — qui dure beaucoup plus que soixante minutes et qui revient tous les jours. Ces deux-là sont, avec Vladimir Soloviov et deux ou trois autres, les pires. Ce qui comptait pour moi, ce n’était pas tellement écouter ce qu’ils disent, même si, ce qu’ils disent est hallucinant : leur première obsession, c’est que tous les bombardements et les massacres sur les civils sont des fakes et des mises en scène. Ce sont les Ukrainiens, et leurs alliés américains (tous les alliés sont devenus américains, et les pires américains sont les Britanniques) qui se bombardent eux-mêmes, qui massacrent eux-mêmes leur population, pour nous faire accuser, nous, les Russes. Et ils ne disent pas « Ukrainiens », ils disent « les nazis », ou bien « nazikis » — les nazillons, qui est le terme constamment employé par Kadyrov.
Le principe de l’émission, c’est qu’ils annoncent une nouvelle, et qu’ensuite ils ont un pannel d’invités qui la discutent. Et ces invités aussi, ils sont, naturellement, du même tonneau.
Ce qu’on voit, quand on regarde et qu’on essaie de faire moins attention aux mots, ce sont deux sentiments essentiels, dans les yeux et sur les lèvres : la haine, et la peur. Ils ont absolument compris, sans l’ombre d’aucun doute, que ça ne va pas bien du tout pour l’armée russe, et leur Russie en général. Et même, que ça ne va pas du tout.
Du coup, ils se sont mis à parler non pas seulement de guerre, mais du fait que nous étions entrés dans la Troisième Guerre mondiale. Et que la Russie était en guerre avec le monde — parce que le monde était nazi. Dans l’émission que j’ai essayé de suivre, à un moment, ils faisaient la liste des armements reçus par l’Ukraine, et quand un invité a essayé de dire que, de toute façon, ce n’était pas grave, parce que nous, les Russes, nous étions mieux armés, il s’est fait insulter par ses collègues : non, nous ne sommes pas mieux armés. Cela, c’était dit publiquement.
Ils savent qu’ils ont perdu. — La haine qu’ils ressentent n’en est que décuplée.
Cette haine et cette peur règnent aussi dans l’appareil du régime.
L’amiral Ossipov, commandant de la flotte de la Mer Noire, après la perte du croiseur Moskva, a été arrêté par « des hommes en civil », et, d’après ce que je lis de deux sources différentes, roué de coups, lui et son aide-de-camp, pendant son arrestation. Là encore, c’est un signe : on revient aux méthodes de Staline lui-même en 1941, quand les généraux étaient fusillés après une défaite.
Il faut le dire, d’après ce que je comprends de ce qu’expliquent les experts militaires, ce croiseur a accumulé les fautes : il n’aurait jamais dû se trouver seul, et, surtout, il n’aurait jamais dû se laisser distraire par une attaque de drone, — laquelle attaque a permis aux missiles Neptune de ne pas être remarqués. Et, visiblement, de tout l’équipage, de 500 hommes, ils n’ont pu en sauver que 50 (d’autres sources disent 14, en tout et pour tout). — La défaite est d’autant plus amère que ces Neptune sont de fabrication ukrainienne, et pas occidentale. Et c’est la raison pour laquelle, le lendemain même, l’aviation russe a bombardé l’usine où on les fabriquait…
De la même façon, l’offensive annoncée n’avance pas. Et cette offensive en elle-même est très étrange, d’un point de vue militaire, parce qu’elle est annoncée sur toutes les chaînes de télé. En fait, pour l’instant du moins, elle n’existe que sur les écrans. Sur le terrain, les batailles sont acharnées, village après village, sinon maison après maison, sur une étendue gigantesque, et les Russes n’avancent pas. — Les Ukrainiens les contiennent : ils n’avancent pas non plus. Mais le fait même qu’ils puissent les contenir est déjà une défaite pour les Russes.
Je l’ai dit : les nazis, dans cette guerre, ce sont les Russes. Et ils s’enfoncent dans l’irréparable, jour après jour
De « l’opération militaire » de trois jours, nous sommes passés à une guerre longue, — une guerre de position. Sur tous les territoires occupés par les Russes, les exactions envers les populations civiles sont systématiques : pillages, tortures, exécutions sommaires, viols. Il y a des centaines — oui, des centaines — de cas de viols d’enfants. Certains sont filmés par les violeurs eux-mêmes. Je l’ai dit : les nazis, dans cette guerre, ce sont les Russes. Et ils s’enfoncent dans l’irréparable, jour après jour.
S’ils se filment faisant ça, c’est qu’ils se savent impunis. Impunis à cause de la menace atomique de Poutine. Mais c’est plus compliqué.
Dans l’émission que j’ai regardée, un des invités, particulièrement haineux (je n’ai pas retenu son nom), expliquait que c’était bien que les chefs d’État viennent à Kiev. Dès lors, on pouvait leur envoyer une bombe — il a dit ça comme ça : раз и бабахнуть. « Babakhnout’ », c’est un mot très simple. Je traduirais ça comme ça : « Faire un gros boum ». Une bonne grosse bombe sur Kiev, et c’est fini. Il n’a pas dit « atomique », mais c’était clair. — Ils en sont là.
Le fait est qu’en même temps, le type qui disait ça exprimait cette terreur dont j’ai parlée. Et cette terreur ne tenait pas seulement, je crois, dans la terreur de perdre la guerre, mais, en même temps, au vu de la réaction des autres, de voir la chose qui pourrait vraiment se faire, — un gros boum sur Kiev… Qu’est-ce que ça donnerait, un gros boum sur Kiev ?… « Qu’est-ce que je viens de dire ? semblait-il dire. Bien fait pour eux. » Et ce « Bien fait pour eux » laissait paraître, dans le geste, dans l’intonation, une autre pensée : « ça serait notre mort à nous aussi, non ? », c’est ça qu’il semblait dire.
Ils répétaient, les protagonistes de l’émission (je devrais dire les complices), un mot que je n’arrive pas à traduire. Les Ukrainiens доигрались « doigralis’ ». La racine est « igrat’ », jouer. Do-igrat’sia (forme à l’infinitif) c’est jouer tellement qu’on arrive à un moment où le jeu se retourne contre lui-même, ou l’on ne joue plus. — Et, clairement, ce mot ne s’appliquait pas à l’Ukraine, mais à eux : eux, pendant des années et des années, jour après jour, ils ont fait monter la rhétorique de la guerre, de la haine, de la forteresse assiégée, et de la grandeur du chef qui mène la Russie vers un avenir de force et de stabilité. Ils ont parlé et parlé, ils ont occupé tous les écrans. Et voilà…ils « doigralis’ ».
Maintenant, on ne joue plus du tout. Ce ne sont plus des mots. Ce sont des vies. Des dizaines de milliers de gens — d’hommes, de femmes, d’enfants. Qu’ils ont contribué à tuer. Et eux, ces criminels, soudain, ils craignaient pour la leur, de vie. Pas pour les millions accumulés à force d’appeler au meurtre et à la haine de l’autre. Non, pour leur propre vie à eux. C’est ça qui se sentait. Ils avaient peur en public. À l’heure de la plus grande écoute.
© André Markowicz
André Markowicz, né de mère russe, a publié plus d’une centaine de volumes de traductions, d’ouvrages de prose, de poésie et de théâtre, parmi lesquels l’intégralité des œuvres de fiction de Fiodor Dostoïevski, le théâtre complet de Nikolaï Gogol, les oeuvre d’Alexandre Pouchkine, et, en collaboration avec Françoise Morvan, le théâtre complet d’Anton Tchekhov. Il a publié quatre livres de poèmes. Ses quatre derniers livres sont parus aux éditions Inculte : Partages (chroniques Facebook 2013-2014, et 2014-2015), Ombres de Chine et L’Appartement.
« Partages »
« Partages est le journal d’un écrivain qui se retourne sur son travail de traducteur, sur ses origines, sur ses lectures, sur la vie qui l’entoure. C’est une tentative, aléatoire, tâtonnante, de mise en forme du quotidien, autour de quelques questions que je me suis trouvé pour la première fois de ma vie en état de partager avec mes lecteurs, mes « amis inconnus ». Quelle langue est-ce que je parle ? C’est quoi, parler une langue ? Qu’est-ce que cette « mémoire des souvenirs » ? Qu’est-ce que j’essaie de transmettre quand j’écris, mes poèmes et mes traductions ? – C’est le reflet, que j’espère partageable, d’une année de ma vie. » André Markowicz
En bas de l’article précédent de Markowicz je disais tout le mal que je pensais de son discours simpliste, unilatéral et propagandiste.
Je vous ferai grâce de la répétition sauf rappeler que face à Poutine, nous avons affaire à Biden.
Et si, au lieu de ruminer la Russie et Poutine, on parlait un peu de Biden ?
Le pyromane sénile qui profère des paroles incendiaire en Pologne, sur un terrain explosif près de la frontière ukrainienne ?
Qui représente le seul pays dans l’Histoire à avoir utilisé des armes atomiques ? Et sur deux villes japonaises, faites de civiles, de vieillards, femmes et enfants, des mamans avec les poussettes ?
300 000 victimes transformées en cendres en quelques minutes ? Sans oublier les innombrables blessés, les irradiés, les réfugiés ?
Le pays qui guerroyait pendant quinze ans au Vietnam, y commettant tous les crimes de guerres et crimes contre l’humanité (aussi contre l’écologie) possibles et imaginables ?
Le pays qui attaqua l’Irak en 2003 sous des prétextes avérés fallacieux et pour des raisons toujours obscures car inavouables ?
Biden dont le fils percevait longtemps des sommes importantes d’une grosse entreprise gazière ukrainienne ?
Et qui se battrait bien contre Poutine jusqu’au dernier Ukrainien, voire jusqu’au dernier Européen, à condition de nous vendre du gaz de schiste et des armes ?
A bien y regarder, le pire des deux n’est pas Poutine. Euphémisme. J’abrège.
@Zerbib Vous avez raison, et encore…liste non exhaustive !
Vous auriez pu ajouter les crimes de guerre de l’armée américaine en Corée qui n’ont rien à envier à ceux commis au Vietnam. Et dans le Pacifique en 44-45 : l’armée japonaise était certes bien pire mais les crimes des uns n’excusent pas ceux des autres. Et même en France, pays soi-disant allié : d’après l’historien américain Robert Lilly au minimum 3500 Françaises (et sans doute beaucoup plus) violées par des soudards américains _ vérité occultée pour des raisons bassement et honteusement politiques.
(Évidemment si cela n’excuse en rien les crimes abominables de l’armée russe en Ukraine, on est tous d’accord).
La peur change de camp et c’est une très bonne chose. La rhétorique paranoïaque des russes se révèle pour ce qu’elle est : leur propre réalité projetée sur l’autre désignée comme l’ennemi à abattre.
Et s’ils commencent à arrêter tous les militaires qui ont subi des revers, il ne va plus rester grand monde pour faire plaisir à Poutine.
J’apprends pas ailleurs que des milliers de russes sont en train de fuir la Russie, particulièrement les intellectuels et les jeunes les plus diplômés qui n’ont pas envie d’être enrôlés dans cette guerre inique.
Tres inquietant de lire tout çela
En plus des horreurs sur le terrain, l’invasion de l’Ukraine et la quasi déroute de l’armée russe vont profiter à Biden, a Macron, a Erdogan, etc. Tout le monde sera perdant : les peuples ukrainien, russe, européens nous inclus…et les seuls gagnants seront les dirigeants et les idéologues les plus fous.
La mere Timoshenko demande l annulation de la dette de l Ukraine…et elle est ce qu elle a rembourse l argent detourne ?