Philippe Bilger. La triste cohorte des maîtres à voter

On n’a plus le front républicain en gros mais on l’a au détail !

Bernard-Henri Lévy © Lucas Barioulet /AFP

Sportifs, syndicats, universitaires partisans, pétitionnaires convulsifs…


Les citoyens sont devenus grands. Ils savent que le 24 avril ils auront le choix entre Emmanuel Macron, Marine Le Pen, le vote blanc (pas encore reconnu) et l’abstention. Pour ma part mon parti est pris et même si j’attends avec impatience le débat du 20 avril entre les deux candidats, il ne changera pas ma décision. Ce n’est pas que je me désintéresse de tout ce qui s’est engagé depuis le soir du premier tour et suscite une campagne rude, acrimonieuse, sans concession, parfois violente. Le président candidat prend son adversaire au sérieux et, ne se plaçant plus en surplomb, montre qu’il est capable de quitter le “respect” qu’il éprouvait paraît-il, pour une argumentation et des contestations plus que vigoureuses. Marine Le Pen, quant à elle, use de son registre habituel, pour l’essentiel contre les élites dont Emmanuel Macron serait à tous points de vue une parfaite incarnation ; elle se présente comme la défenseur du peuple.

Le règne de l’injonction

Pour qui est un lecteur et un téléspectateur compulsif en matière de politique, la matière ne manque pas et par exemple il a pu enrichir sa réflexion avec le très long et brillant entretien donné par Emmanuel Macron au Point sans, il est vrai, qu’il ait été poussé dans ses retranchements. De sorte qu’il a pu, dans le genre qu’il affectionne, mêler intelligence, intuition, finesse, analyses et une propension à être moins à l’aise avec l’action et l’opératoire. Pour Emmanuel Macron, ces derniers sont des sacrifices délestant la surabondance et la complexité du réel.

Je cherche à signifier par toutes ces observations que les problématiques, les failles, les approximations ou les doutes liés aux programmes des candidats sont largement connus et que le citoyen peut aisément se dispenser de tous ceux qui, pour le RN, lui donnent des leçons de morale en lui enjoignant de ne pas s’égarer comme s’il était simple d’esprit et donc à guider par l’esprit et la main. C’est ce que je nomme la triste cohorte des maîtres à voter qui, sur tous les registres, confondent une authentique démocratie avec le règne de l’injonction.

Demain, des dizaines de syndicats vont manifester contre l’extrême droite. Un tocsin qui à force d’être sonné sera sans doute moins pris au tragique et qui offrira ce paradoxe de s’opposer, par une voie guère républicaine, à un parti décrié comme non républicain. On aurait pu espérer un progrès de l’équité démocratique depuis 2017, quelle que soit l’aversion politique pour le camp exclusivement ciblé : il faut déchanter.

Salmigondis macronien

Le 24 avril je serai dans l’isoloir mais puis-je dire, sans offenser qui que ce soit s’étant posé en mentor républicain, que Bertrand Delanoë, Lionel Jospin, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Fabien Roussel et Valérie Pécresse n’auront pas la moindre influence sur mon for intérieur et ma décision. Pas davantage que la proposition de Jean-Luc Mélenchon certes plus ouverte, martelée quatre fois avec ironie, refusant que la moindre voix se porte sur Marine Le Pen. Aussi peu que Nicolas Sarkozy nous vantant les lumières d’un avenir avec Emmanuel Macron mais occultant soigneusement les ombres troubles de cette négociation menée de longue date et qui, prétendant sauver LR, veut le fondre dans un salmigondis macronien, une sorte d’Agir à la passivité éclatante et à l’influence nulle. Tout cela pour des députés sélectionnés et quelques ministres ! Aussi peu que François Hollande, détestant Emmanuel Macron et méprisé par ce dernier le moquant de concert avec Nicolas Sarkozy. Pas davantage que cette tribune de sportifs parmi lesquels le formidable demi de mêlée Antoine Dupont qui devrait à mon humble avis se méfier de la mêlée partisane même si à tout prendre je le préfère aux pétitionnaires compulsifs et aux politiciens opportunistes et transfuges.

Bien moins encore que les diktats de BHL ou la campagne de notre quotidien de “référence”, Le Monde, qui au mépris de toute équité démocratique a abandonné, s’agissant de Marine Le Pen, les exigences de l’information (la dénonciation immédiate l’altère et la biaise) au profit d’une prise à partie constante d’autant plus choquante que pour l’adversaire la complaisance est de mise. Ce n’est pas non plus la violation absolue de son obligation de réserve par une présidente d’université à Nantes, dictant leur futur vote à ses collègues, qui va me rassurer et m’inciter à m’entourer de conseils.

Toujours la même rengaine…

Je ne me fais aucune illusion. La liste des maîtres à voter va s’allonger jusqu’au second tour. Car si la lucidité vous convainc que cela ne sert à rien, le sentiment d’importance que cela donne vous gonfle. Quelle volupté aussi de pouvoir s’abandonner à la paresse d’une indignation morale (évitant de réfléchir par exemple sur le concept rebattu d’extrême droite et de pointer faiblesses politiques et techniques d’un projet détesté par principe) !

On n’a plus le front républicain en gros mais on l’a au détail !

Qu’on ne vienne pas me répliquer, par infirmité intellectuelle, selon une triste habitude, que récuser la légitimité des maîtres à voter, refuser leur emprise sur nos esprits libres serait en réalité approuver ce qu’ils ont en horreur. Point du tout. Je me contente – et je crois ne pas être le seul dans cette lutte pour l’autonomie de nos intelligences et de nos choix – de dénier la volonté de caporalisme qu’une pensée toute faite, ne se questionnant jamais, s’assigne. En prétendant nous déposséder de ce qui ne regarde que nous.

Qu’on nous laisse penser seuls. Arbitrer seuls. Face à notre conscience et à notre savoir. À nos désirs. À notre vision de nous-mêmes, de notre pays. Continuer à s’arroger le droit de nous gouverner aurait pour effet le contraire de ce que à quoi toutes ces belles âmes aspirent.

Nous ne sommes plus des enfants. La démocratie n’est pas une nursery.

Le 24 avril je serai dans l’isoloir et personne ne sera à ma place.

© Philippe Bilger

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2 Comments

  1. Je crois pouvoir dire que la macronie représente directement ou indirectement tout ce qui existe de pire au monde (et la mon propos ne vise pas particulièrement BHL mais l’ensemble, la totalité de la macrosphere et de ses diverses ramifications) :

    Mépris de classe et arrogance de grand bourgeois, neocapitalisme et ubérisation de la société, indignation à géométrie variable et tartufferie, mépris envers le monde animal, feminazisme et puritanisme anglo saxon, désinformation, mensonge et négation du réel, haine de soi et haine de la France, esprit vichyssois, et bien sûr fascisme décolonial et wokiste : antisémitisme, racisme anti-blancs et inepties néo identitaires nées de la haine et l’ignorance.

    Macron me donne définitivement honte d’être français _ de cette chose que la France (si tant est qu’on puisse encore l’appeler comme ça) est devenue.

    Jérôme Onyx

  2. Par définition un intellectuel est critique envers le pouvoir. A l’époque actuelle où le pouvoir est synonyme d’obscurantisme et où la liberté de penser est muselée un intellectuel est souvent un opposant, une sorte de dissident. Et donc les gens comme Bernard Henri Levy, Luc Ferry etc littéralement aux bottes du pouvoir (et qui apparemment ne savent pas trop ce qu’est l’extrême droite) ne peuvent en aucun cas être considérés comme des intellectuels, encore moins comme des philosophes.

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