Professeur associé émérite dr. Gérard Lehmann Stensmarkgård le 9 avril 2022
Lauréat de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Paris
Syddansk Universitet, Danemark
Lettre ouverte à madame la proviseure du
Lycée Léonard de Vinci (38 Villefontaine
Les insultes et menaces ne m´atteignent pas vraiment.
Elles me font juste voir le monde autrement.
Mila, extrait de sa chanson Je ne veux pas mourir
Madame la Proviseure Maryline Rochette,
Nous voilà à quelques jours de la comparution au Tribunal judiciaire de Paris de quelques personnes inculpées pour avoir injurié Mila, votre ancienne élève, pour l´avoir menacée de mort et lui avoir promis les traitements les plus ignobles. Au nom d´Allah.
Je prépare pour la fin avril des conférences au Danemark sur la situation de la France et sur les sujets abordés pendant la campagne présidentielle.
La prégnance d´un totalitarisme religieux, les atteintes à la sûreté, aux droits imprescriptibles de notre nation, dont les libertés de conscience et d´expression, la violence, sont au centre des préoccupations des Français.
L´égorgement du professeur Samuel Paty, les harcèlements dont nos collègues font l´objet, dans le secondaire mais aussi dans le supérieur, trahissent la démission de l´État et, dans le cas de l´école, des services académiques. À ceux qui en doutent je conseille la lecture de l´ouvrage du professeur de philosophie Didier Lemaire : Lettre d´un Hussard de la République. Mais de tout cela vous êtes parfaitement au courant.
Vous
Vous êtes également parfaitement au courant des trois articles du règlement intérieur de votre établissement. Vous êtes responsable de leur application.
Ce qui pour Mila est un drame personnel est devenu une affaire d´État qui dépasse de loin le niveau politique. Il est de l´ordre métapolitique, civilisationnel, humain.
Il s´agit du blasphème, du droit au blasphème. Et vous n´ignorez pas que l´OCI (Organisation de la Coopération Islamique) milite au sein de l´ONU pour faire reconnaître toute critique de l´islam comme un blasphème.
Savez-vous que la CEDH (la Cour Européenne des droits de l´homme), quand elle entérine le 18 mars 2019 la condamnation par la justice autrichienne d´une femme qui avait assimilé le mariage de Mahomet (56 ans) avec Aïcha (9ans) à un acte de pédophilie, établit de fait le blasphème comme un délit ?
Vous avez déclaré, lors d´une audition judiciaire, vous sentir gênée que Mila donne de votre établissement une image défavorable.
Le lycée Léonard de Vinci de Villefontaine est lauréat des trophées de la laïcité dans le concours « Non au harcèlement ». Cela vous suffit-il quand un certain nombre de vos élèves ont harcelé Mila au nom de l´islam, et que vous auriez été informée de leur identité ?
Vous n´auriez pas saisi le Conseil de discipline de votre établissement.
Mais, me direz-vous, on ne peut aller contre l´air du temps : suivant un sondage commandé à l´IFOP pour Charlie Hebdo (début février 2020), les Français sont divisés (50%-50%) sur le droit au blasphème. Et la position des services académiques est claire : pas de vagues !
Albert Camus
Albert Camus, en son temps, évoquait dans ses Carnets les ténébrions dans le sens figuré, les amoureux des ténèbres intellectuelles, les tenants du terrorisme intellectuel germanopratin, que la parution de L´homme révolté, en 1951, rendit furieux.
Mila est sa fille spirituelle. Ajoutons soixante-dix ans. Que nous dit Camus ?
Qu´est-ce qu´un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s´il refuse, il ne renonce pas : c´est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement.
Il dit oui à ce qui justifie sa révolte, dont il a le sentiment, au moins, qu´elle lui est commune avec tous les hommes, qu´elle participe donc d´une nature humaine.
Une photo de famille
Un incorrigible Michel Onfray évoque une photo de famille à propos de ceux qui condamnent Mila – Les Abdallah Zekri (du CFCM, Conseil Français du Culte musulman), Belloubet, Bellatar, Hanouna, Royal (Ségolène), Caroline de Has, Martine Aubry, Ibrahim Maalouf (le trompettiste de talent), Marie Kirschen, la rédactrice en chef des Inrockuptibles et militante des LGBT, l´association Osez le féminisme etc…). La liste des bien-pensants est bien plus longue, et bien plus nombreuse la famille qui rassemble les adeptes du Bien et de la Pensée unique : les ténébrions de notre temps.
Elle et nous
Vous craigniez que Mila donne de votre établissement une image défavorable.
Rassurez-vous. Dans ce monde de ténébrions, Mila est lumineuse.
Elle est courageuse, tenace, lucide. Elle est un révélateur et un symbole.
Le titre de son livre est Je suis le prix de votre liberté.
Elle est le prix de ma liberté, elle est le prix de la vôtre également. Ne le dédaignez pas.
Toi MILA
Et quand une jeune-fille paye si cher le prix de notre liberté, quand elle écrit :
Malgré moi, je porte sur mes épaules le combat qu´un pays entier devrait mener, disons-lui : Mila, tu n´es pas toute seule, je suis avec toi, dans ton combat, et j´ai le courage de le dire publiquement. J´en prends le risque, avec beaucoup d´autres. Et je serai en pensée avec toi, en ces jours d´avril ou le tribunal des hommes prendra la mesure de la médiocrité humaine sous la forme du fanatisme islamique.
C´est ce que je fais avec ces lignes. Peut-être pourriez-vous, madame la Proviseure, trouver à son intention quelques mots de regret ou d´excuse ou même, pourquoi pas, d´ empathie. Ils vous honoreraient comme ils honoreraient votre établissement.
Et ces mots, je serais heureux de les citer au moment d´évoquer le courage de Mila devant un public danois.
Car c´est avec une Mila qu´un pays entier peut retrouver la fierté d´être et la volonté de durer. Avec elle, avec toutes celles et tous ceux qu´elle inspire.
gerard@sdu.dk
Pour rappel: Six hommes et femmes entre 19 et 39 ans comparaissaient jusqu’à ce mardi devant le tribunal judiciaire de Paris. Ils ont publié sur Twitter des messages de haine, des appels au meurtre à l’encontre de la jeune femme. Lundi, seuls deux d’entre eux étaient présents à l’ouverture du procès.
Bonjour Sarah Cattan,chère collègue,
Merci d´avoir ainsi partagé une lettre qui est avant tout un merci à Mila et de lui avoir consacré une place sur Tribune Juive.
J´appartiens à la génération de Jean-Pierre Lledo, nous sommes rattachés à l´histoire de l´Algérie dans des camps opposés. Nous sommes aujopourd´hui ensemble.
J´ai la chance, en tant qu´émérite, de conserver un statut dans mon université au Danemark.
Je serais heureux de vous rencontrer lors d´un éventuel passage par Paris.
Une précision: mon nom Lehmann est d´origine alsacienne mais pas juive, ma mère est une Salomon. Et j´ai dans mon ascendance Albert Camus, dans le Jura, il y a une éternité.
Amitiés,
Gérard Lehmann, SDU