Une vague de terrorisme a frappé Israël la semaine dernière. Des ambulances ont hurlé, des corps ont saigné, des vies ont été brisées. Soudain, des millions de personnes se sont souvenues dans quel pays elles habitaient. Pendant les deux dernières années de la crise sanitaire, Israël était devenu un pays normal au milieu de l’anormalité du monde.
Comme partout, on vaccinait, on tombait malade, on se confinait, on se déchirait entre pro et anti. Comme partout et avec même un peu d’avance. Mais la semaine dernière, Israël a repris sa place de pays à part. Un pays où la vie peut basculer d’un moment à l’autre. Un pays qui fait de nous des êtres fondamentalement, existentiellement intranquilles. Un pays où on bénit le moment présent, dans le doute de ce qui pourrait advenir la minute d’après.
La semaine dernière, moi, je n’étais pas là.
A chaque fois qu’Israël est en feu, je ne suis pas là. Quand la réalité vient trop chahuter ma vision idyllique du monde, je ne suis pas là. On me sort du pays, on me place en orbite, le destin décide toujours de me tenir à l’écart de la laideur du monde.
Déjà, en mai dernier, une pluie de roquettes avait envahi le ciel d’Israël. Du jour au lendemain, elles avaient fait irruption dans les rêves des enfants, dans les emplois du temps des adultes. Mais moi, je n’étais pas là. Ma mère, lors de sa sortie du monde, dans un dernier souffle, m’avait appelée à son chevet. Elle savait qu’il fallait m’épargner de vivre ça. Et j’avais assisté, impuissante, à ce que mes enfants vivent cet effroi sans moi.
En revenant ici, j’ai retrouvé un nouveau pays. La météo a changé. De l’hiver, nous sommes passés à l’été. De la quiétude, nous sommes passés à la peur. Soudain, ma fille ne veut plus prendre le bus. Soudain, ma voisine à la fac à laquelle je demande si le Sinaï c’est dangereux me regarde, cynique « tout est dangereux ici, même le café que tu iras te chercher à la pause ». Soudain, les sorties qui avaient été décalées en raison du corona ou des intempéries sont ajournées par peur du terrorisme.
Soudain, je comprends que sortir d’Israël, c’est toujours prendre le risque de revenir dans un pays au visage changé. Soudain, ne pas être là une semaine, ce n’est pas seulement perdre son hébreu, ses réflexes de survie ou sa capacité à s’émouvoir.
Sortir d’Israël, c’est lire une histoire en ayant sauté un chapitre important. C’est avoir des trous de mémoire et avoir à pleurer en décalé.
Peut-être que le destin m’exclue de tout ça, car il me sent trop fragile pour les vivre.
Peut-être que ma place est de rester ‘hors du monde’, pour le regarder, l’analyser sans l’affronter.
Pourtant, j’étais là la semaine de Charlie, j’étais même de passage à Paris le soir du Bataclan. Tandis que jamais la France ne m’épargne, Israël tient à mettre ses mains sur mes yeux. Pour que je ressente encore plus fort.
© Nathalie Ohana
Nathalie Ohana est Créatrice du programme de développement personnel Haim Rabim (www.haimrabim.com)
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