Alors que l’Ukraine est sous les bombes, et que cette guerre est un déchirement pour tous les amoureux de l’est, je cherchais des trajectoires de vie de français en Russie pour expliquer à quoi ressemblait ce pays avant la guerre. J’ai pu retrouver sur les réseaux sociaux un des rares ex-maoïstes français qui a « bien tourné », le plus connu du tout-Paris à Moscou, Jean Michel Cosnuau. Son parcours très particulier est un condensé de tout ce pourquoi ce pays attire autant qu’il révulse entre monde de la nuit et fréquentations politiques et littéraires. Je voulais voir comment lui avait vécu le basculement dans la guerre. Je m’attendais à trouver un poutiniste convaincu. Quand…
A Moscou en 2016, on croisait des personnages à l’âme russe.
J’avais rencontré Jean Michel Cosnuau à Moscou pour l’interviewer après avoir lu son premier livre, Froid devant, préfacé par son ami Carrère, narrant son job de conseiller d’un ancien ministre de Mitterrand, l’ouverture de clubs de rock, de restaurants de luxe, et de clubs libertins dans cet immense Far-West qu’était la Russie des années 90. Il était alors en résidence surveillé et son sulfureux club mêlant fréquentations littéraires, politiques, « ravissantes danseuses » et autres « occasionnelles » avait fermé suite à une descente du FSB.
Cosnuau est un homme trop russe pour la France, fuyant vers l’Oural, où l’air semble plus dense en oxygène — comme si rester à Paris allait petit à petit le transformer en crétin des Alpes. L’esprit français confond mesure et médiocrité, à Moscou, la démesure était créativité. Cosnuau sur ces principes n’a pas fait semblant. Le jour de l’interview, il revenait du restaurant, la balise de son bracelet électronique à la main. « Ça n’est pas précis. Ils ne voient rien bouger à 500 mètres. Parfois j’invite les flics qui me surveillent à manger avec moi. » Le personnage était d’une tranquillité stupéfiante et semblait trouver ça normal.
Interpol Russie
En 2022, Cosnuau est inchangé. On le sent tenace sans être rancunier. Avec une grande simplicité, il m’explique avoir été au cœur d’une querelle entre l’ancienne génération du FSB et la nouvelle, l’USB-FSB, département anti-corruption. « Naturellement, anticorruption en Russie, ça veut dire substituer des nouveaux mecs aux anciens mecs, et mettre en place un nouveau toit (protection mafieuse), du racket quoi… Ce département monté par Igor Setchine fait l’objet de rentes telles que certains considèrent qu’il a privatisé un tiers du FSB. » En Russie on ne cherche pas seulement l’argent pour accumuler mais pour constituer des monopoles puissants, pour asphyxier ses adversaires. On saisit alors que les sanctions économiques vont d’avantages faire souffrir les pauvres et les classes moyennes que les oligarques. L’oligarque n’est pas au million près.
«Quinze jours après mon passage sur Arte chez Pozner, la police m’a arrêté et mis sous bracelet électronique pendant 10 mois. Mes contacts dont un député ont fait remonter mon cas jusqu’à Poutine. En vérité c’était le propriétaire du club qu’il visait. Ça lui a coûté 2 millions d’euros pour sortir de taule. Pendant un séjour à l’hôpital, la police a fait une descente chez moi. Ils m’ont volé 100.000 euros et des montres. Je me suis mis en colère et j’ai organisé mon évasion.»
Le soir de Noël, il négocie son passage par la Biélorussie vers l’Estonie après avoir négocié son passage à la frontière. La Russie le met sur la liste rouge Interpol. Il est arrêté au Maroc à l’aéroport, et mis en prison pendant 10 mois. Il est logé avec des islamistes, des militaires. « Je me suis plutôt bien comporté, sauf un jour où un Marseillais, Mohamed – prénom typiquement marseillais – m’a provoqué parce que je jouais aux échecs pendant la prière avec un Anglais. Je l’ai tiré par la barbe et je l’ai mis par terre. »
Le dossier Interpol mentionne trafics de drogue et d’êtres humains. « Tout était bidon. Les trafiquants de la prison me surnommaient Pablo Escobar parce que la police avait retrouvé 5,7g d’herbe dans mon appartement. Les filles ? Soudoyées par la police pour faire tomber le club à Moscou, avaient récupéré de l’argent marqué. J’ai été ramené en Russie par la police. J’ai passé les 5 derniers mois de détention à a, prison de sinistre mémoire, qui faisait passer la prison marocaine pour le club Med. Mon procès a duré 5 minutes, on m’a fait plaider coupable et je suis sorti.»
« Aimer la Russie aujourd’hui, c’est dire que Poutine doit partir »
Comme tout le monde, Cosnuau se dit qu’il y eut des prémices au basculement, qu’il a refusé de voir. « Aujourd’hui une partie de la communauté française expatriée est en plein syndrome de Stockholm. Ils ont épousé la cause russe et les réflexes soviétiques qui vont avec au lieu de dire que Poutine n’est pas la Russie. Bien sûr, l’Occident s’est fourvoyé quand Poutine a demandé à être intégré à l’OTAN. Maintenant qu’est-ce que ça change ? Il aurait pu faire un feu d’artifice sur la Place rouge après avoir proclamé l’indépendance des républiques de Lougansk et Donetsk, au lieu de ça il a bombardé Kiev. Poutine a un côté Don Corleone, « Tu m’as manqué de respect» c’est vrai mais ça ne justifie rien. Il a sauté à pieds joints face aux provocations américaines. Au fond il a montré son envergure de petit mafieux de Saint-Pétersbourg. » Le Donbass ? « C’est devenu un conflit de basse intensité. Il est à peine entretenu des deux côtés pour de la propagande, et récupérer des crédits d’armements»
D’autres prémisses étaient bien là : la société civile est restée apolitique par fatalité, par désintérêt, manque d’éducation et peur. Les clubs de la nuit ont également fermé, les uns après les autres. «On a vu peu à peu l’espace de liberté se refermer. »
« Où sont les cygnes blancs ? Ils sont partis. Et les corbeaux ? Ils sont restés. » Marina Tsvetaïeva
« Il faut stopper Poutine» La ligne rouge serait de « raser Kiev, les russes commenceraient à se poser des questions, et là, les américains seraient forcés d’intervenir. » En 2016, Cosnuau était contre les positions antirusses de l’OTAN et surtout le bombardement de Belgrade. « Les Américains et les Chinois sont les gagnants de cette histoire. » Quand on aime la Russie, on a envie de faire payer cela très cher à Poutine. Les russes aussi. Ils élaborent les théories les plus folles à son sujet : « certains pensent que son entourage lui aurait sciemment transmis de fausses informations afin de précipiter sa chute. »
Invité en Géorgie par Jacques Von Polier, il est tombé amoureux de Tbilissi où il a retrouvé une partie des charmes de la Russie qu’il a connu : un mélange entre libertarisme et éducation soviétique. Cosnuau reste un homme de gauche libertarienne, même si les français qu’il a rencontrés en Russie sont majoritairement de droite. La catégorisation est une obsession française qui ne l’intéresse pas. Sur place, les mouvements antirusses n’ont pas duré. La police veille. « Plus de 20.000 jeunes russes ont fui en Géorgie depuis le début des manifestations. Ils arrivaient déjà avant. Cette génération ne supporte plus Poutine. Soit on l’arrête, soit ça devient la Corée du Nord. »
De temps en temps, la paranoïa ressort : « certains pensent que la Russie finira par se sentir légitime à récupérer l’intégralité de la Géorgie à cause de l’arrivée de réfugiés. C’est lié à l’imprévisibilité de Poutine. » J’y vois un signe que la russophonie en tant que communauté survivra à la folie de cette guerre.
Cosnuau projette d’ouvrir un restaurant russian and ukrainian friendly+ sur le modèle du Normandie Niemen à Moscou tandis qu’il termine d’écrire le Chœur invisible sur le basculement de la Russie…
L’article a été relu par Cosnuau mais permet au lecteur de se poser lui-même toutes les questions.
© Laurine Martinez
Laurine Martinez est chanteuse lyrique en fin d études, diplômée de sciences pipo Paris, russophone.
Témoignage à prendre avec beaucoup de recul. J’en ai ou entendu d’autres qui disent à peu près l’inverse _ sauf bien sûr en ce qui concerne la corruption, qui est LE problème numéro 1 en Russie où elle est endémique.
Une « Science pipo » fascinée par un pathétique escroc. La bourgeoisie rance ne nous déçoit jamais.
Un beau témoignage sur le niveau de corruption morale de certains de nos russophiles français. Alain Besançon a d’ailleurs bien relevé la fascination de la bourgeoisie intellectuelle française pour la déglingue interlope typiquement russe.
Ami d’enfance de Jean -Michel, j’aimerais trop le revoir ou du moins échanger avec lui . Déjà très jeune ensemble avec son frère Joël nous partagions cette passion pour la musique et le Rock à travers des groupes nommés L.S.D Twenty Five et CHE . J’ai d’ailleurs les photos de cette époque ! Si tu lis mon message J. Mi . Je te transmets toute mon amitié. So long ! . JF Peyresblanques
Bonjour Monsieur.
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Laurine Martinez
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Salut JF, c’est dingue je suis allé hier à un concert en Georgie d’un groupe de reprise de Pink Floyd qui a joué l’intégrale de dark side of the moon, et je me suis rappelé que nous l’écoutions en boucle dans cette petite baraque dans le sud !
Mieux vaut un Français russifié qu’un Français wokisé !… Par contre la phrase « l’esprit français confond mesure et médiocrité » est complètement erronée, sauf si bien sûr l’on parle de la « France » (si tant est qu’on puisse appeler ça la France) d’aujourd’hui, où la bêtise complète et l’absence totale de morale sont devenues des facteurs de réussite, y compris dans le domaine de la « culture ». Mais on peut en dire autant de nos pays prétendument « amis ». Je n’ai jamais autant aimé la Russie que depuis qu’elle est diabolisée _ de même que je n’ai jamais autant aimé Israël que depuis que toutes les haines s’acharnent dessus.