Haïm Ravid, de son nom de naissance Victor Benillouche, n’est plus, à 84 ans. Il sera enterré aujourd’hui 27 mars au cimetière de Bat Yam, Ha-Komemiyut St, à 14h, la ville où il a le plus vécu. Il est parti brutalement après un combat de plusieurs années contre le crabe. Sa vie colle avec l’évolution du pays car il était sioniste jusqu’au bout des ongles et ne voulait jamais désespérer d’Israël malgré les grandes difficultés qu’il a connues dans les premières années. La vie était alors dure, très dure. Il aurait pu revenir à son point de départ, mais il a résisté par conviction parce qu’il était un gagnant et un vrai sioniste.
Il avait quitté sa Tunisie natale en 1957 à 17 ans, avec son groupe de l’Hanoar Hatsioni en direction du Kibboutz Kfar Darom, près d’Ashdod. Il a été le seul rescapé de son groupe à avoir supporté ce changement d’une nouvelle vie. Les conditions matérielles étaient loin de cadrer avec la propagande optimiste des envoyés de l’Agence juive, présentant le kibboutz sous un jour idyllique. Une fois arrivés, ils ont été lâchés dans la nature, seuls, sans aide et sans conseil et ont commencé à travailler dès le premier jour. C’était alors l’époque où le pays se construisait. Mais Victor a tenu bon parce qu’il était courageux et entouré de sa future femme Judith. Le courage a toujours été un élément fondamental dans sa vie mais il a su surtout exploiter toutes les occasions et tous les hasards. Il a été l’éclaireur qui a conduit toute sa famille vers Israël.
Il a montré son courage à Tsahal en tant que sous-officier lors des guerres de 1967, de 1973 et celle du Liban en 1982. Celle de Kippour l’avait beaucoup marqué car ses amis étaient tombés près de lui. D’ailleurs à la fin de la guerre, ses cheveux avaient blanchi tant il avait frôlé la mort de près, tout en restant philosophe. Mais il a perdu sa dernière guerre, celle contre le crabe. Il avait d’ailleurs dit aux médecins d’Ihilov «j’ai gagné trois guerres, je ne perdrais pas celle-là». Ce fut son dernier échec.
Après quelques années de kibboutz, il avait suivi des cours de comptabilité pour ouvrir son propre cabinet avec sa femme qui tenait les machines comptables. Il avait accepté une mission en Afrique, en Côte d’Ivoire, pour gérer les biens d’un haut personnage de l’État qui détenait le monopole des boulangeries qu’il réorganisa totalement et dont il apprit le métier. Selon les règles, il avait alors modifié son nom pour le rendre israélien, Victor Benillouche était devenu à cette occasion Haïm Ravid. Muni d’une expérience africaine, il se mit ensuite au service d’un grand groupe israélien de promotion immobilière au Zaïre.
L’expérience africaine était terminée pour retrouver ses enfants. La boucle était bouclée car il décida de rentrer au pays, muni d’un bagage original puisqu’il était devenu boulanger. Il ouvrit, dans un local de 20 m² à la rue Balfour à Bath-Yam la première boulangerie de baguettes, Baguet Hazav, la baguette d’or, qui ne désemplit pas. Le succès foudroyant lui a fait ouvrir une usine à Ashdod et à Rishon le Sion sur plus de 2.000 m². Tout le pays avait adopté sa baguette, typiquement française.
Un autre hasard le mit en contact avec un gérant de supermarché qui avait de grosses difficultés financières et qui lui proposa de prendre sa suite pour effacer ses dettes. Victor était un bon gestionnaire et il savait comment gérer. Il entreprit donc un nouveau métier. Ce fut le début de la grande aventure des supermarchés Victory, aujourd’hui une chaine de 70 unités à travers tout le pays, dirigées par ses enfants Eyal et Avi. Mission accomplie, Victor avait mis ses enfants sur le bon et droit chemin.
Il n’avait pas la grosse tête comme tous les parvenus. On n’aurait jamais pensé qu’il était à la tête d’une entreprise cotée à la bourse. Il avait vécu la plus grande partie de sa vie à Bath Yam, face à la mer qui lui rappelait sa Tunisie natale. D’ailleurs, son corps reposera au cimetière de cette ville. Il vivait simplement autour de ses petits-enfants et de ses amis fidèles, d’abord à Ashdod puis à Tel Aviv. Il y a un mois, nous étions entre amis à Eilat alors que la maladie n’avait pas encore pris le dessus. C’est là qu’il a commencé à constater alors que le crabe le dévorait mais il n’a rien montré pour ne pas briser l’unité de notre groupe, ses amis du Lalaland. De notre dernier voyage à Eilat avec Fred, il laisse à son entourage la seule et excellente image de lui en pleine forme, le souvenir d’un homme heureux. Mais nous, sans lui, nous ne le sommes plus.
Et comme dirait Gilbert Becaud, “Et maintenant que vais-je faire, de tout ce temps que sera ma vie, de tous ces gens qui m’indiffèrent, maintenant que tu es parti, et maintenant que vais-je faire, je vais en rire pour ne plus pleurer“.
Jacques Benillouche
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