La Chronique de Michèle Chabelski. Ces dames en mocassins Céline

Bon

  Mercredi

    L’égoïsme n’est pas l’apanage des très jeunes…

    Nous l’allons montrer tout à l’heure…

   Un bus à l’heure de pointe…

    L’ingénieur en chef des bus a réservé quatre places pour les handicapés.

  Vu le nombre d’embardées des bus parisiens d’aujourd’hui , elles ne sont pas surnuméraires…

  Je suis installée sur une place haute située sur une roue…

Une sorte de piédestal de bus… D’où je contemple le monde à mes pieds…

 Monte un vieux monsieur qui peine à marcher malgré sa canne, et dont un œil est fermé derrière ses grosses lunettes…

  Je me lève aussitôt, car les quatre places réservées sont occupées par d’élégantes passagères d’âge mûr…

  Il m’explique gentiment qu’il ne peut accepter, car le siège est trop haut et il ne peut pas se hisser dessus…

   Silence dans l’habitacle.

     Les quatre passagères des places réservées observent attentivement leurs chaussures devenues essentiels centres d’intérêt…

   Je demande à l’une d’entre elles si elle peut avoir l’obligeance de céder sa place au monsieur.

Elle ne répond pas, les trois autres ne bougent pas…

  Je réitère ma question…

    Toujours pas de réponse.

     J’explique alors aux trois personnes que je constate qu’elles sont probablement sourdes ou muettes mais que ce handicap n’est pas répertorié dans les priorités assises…

  Une des femmes se lève et dit je descends de toute façon…

   De toute façon…

   Les trois autres n’ont pas fait un geste…

   Le monsieur s’est péniblement installé en me regardant d’un air désolé…

   L’égoïsme institutionnalisé…

    L’irrespect, l’incivilité, sur une ligne de l’ouest parisien…

     Personne n’a réagi, un vieux préjugé rance a nourri ma rage…

   J’aurais probablement éprouvé moins de colère devant trois ados en baskets et sweat à capuche relevée…

  Résignation devant les éléments d’une société en décomposition…

  Les jeunes sont égoïstes et mal élevés. Fermez le ban.

  Mais de valides dames chics, installées indûment sur des places réservées aux handicapés, alors qu’on vilipende une jeunesse autocentrée , ça parle d’une société en mocassins Céline parfois aussi indigne qu’un môme en baskets Nike …

 Elles étaient peut-être handicapées toutes les quatre…

  Le nombre de gamins assis abîmés dans les jeux vidéo de leur portable, qui ne jettent pas un cil autour d’eux et n’abandonnent bien évidemment leur place à personne, m’impose un silence rageur, alors que je brûle de les déloger…

 Mais quatre toupies ayant installé leur fondement et leur collier de perles sur des sièges réservés à des handicapés et qui font semblant de ne pas remarquer un monsieur en grande difficulté, ça réveille en moi une violence insoupçonnée…

 Une petite réfugiée ukrainienne ne parlant pas un mot de français vient d’intégrer l’école des loulous…

 On imagine la somme de peurs et de souffrances endurées par cette petite fille…

 Plusieurs enfants l’ont invitée à déjeuner ou à venir jouer chez eux pour l’aider à s’intégrer…

L’empathie et la générosité sont inversement indexées sur l’âge, apparemment…

   Que cette journée de printemps pimpant rallume l’étincelle de l’espérance dans un monde en feu où l’on regarde mourir des innocences piétinées…

   Car les définitions se modifient rapidement de nos jours, dedans dehors, autorisé, prohibé, plaire, déplaire,  agresser, se défendre, vivre, mourir, sont des mots qui vont très bien ensemble dans une société où marcher sur la tête est devenue une norme qu’il va falloir transmettre à nos petits qui apprennent classiquement à avancer sur leurs petits pieds et à tendre la main à qui en a besoin…

  Enfin, pas toujours en fait…

    Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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