Samuel Sandler. “Accepter le pardon, c’est trahir les miens”

Il était présent aux commémorations, aujourd’hui 20 mars 2022. Samuel Sandler, père et grand-père de victimes de Mohammed Merah à l’école Ozar Hatorah, s’est confié à Thibaut Calatayud d’Actu Toulouse.

Arieh, Jonathan, Gabriel et Samuel Sandler, lors d'un moment en famille.
Arié, Jonathan, Gabriel et Samuel Sandler, lors d’un moment en famille. (©DR)

Dix ans sont passés et il n’y a pas un jour où Samuel Sandler n’a cessé de penser à son fils Jonathan (30 ans) et ses deux petits-enfants, Arié (6 ans) et Gabriel (3 ans). Tous les trois, ainsi que la petite Myriam Monsonégo (7 ans), ont été sauvagement assassinés devant l’école juive Ozar Hatorah à Toulouse, le 19 mars 2012. Une date inscrite au fer rouge dans le cœur de ce père et grand-père. 

Quand on lui demande s’il va bien, l’ancien ingénieur aéronautique utilise sa réponse habituelle : « Je dis toujours que j’ai le mérite d’être en vie ». Avec son malheur, inimaginable pour le commun des mortels, il aurait pu se murer dans le silence. Pourtant, il s’est résolu à répondre positivement à la plupart des sollicitations médiatiques : « C’est toujours l’occasion de parler d’eux et de citer leurs prénoms ». Pour ne jamais les oublier.

“On se dit que ce jour-là, ils auraient dû faire ça…”

Samuel Sandler vit avec son épouse au Chesnay-Rocquencourt (Yvelines), près de Versailles. Il voyage aussi souvent en Israël, à Jérusalem, où il retrouve des amis et une grande partie de sa famille. S’il peut y avoir des sourires au quotidien, les moments ne sont jamais totalement heureux. 

“Il y a toujours des souffrances. C’est l’absence des êtres chers. Ce qui a été difficile pendant ces dix années, c’était surtout les anniversaires que l’on ne fête pas. C’est, par exemple, la majorité religieuse qui n’a pas lieu. Pour les garçons, ce sont des fêtes traditionnelles et habituelles. C’est une grande souffrance car on connaît bien les dates et on se dit que ce jour-là, ils auraient dû faire ça…”

“Le parallèle, c’est qu’on assiste à ces anniversaires, à ces fêtes, pour d’autres. La souffrance est d’autant plus grande qu’eux (Jonathan, Arié et Gabriel, ndlr) ne le font jamais. C’était une hantise permanente pendant ces dix années”, avoue-t-il.

“Jonathan a voulu rendre à l’école ce qu’elle lui avait apporté”

Quand on lui demande de décrire Jonathan, Samuel Sandler ne peut pas s’empêcher d’avoir un sourire empreint de beaux souvenirs. Puis il marque un silence avant de reprendre : “C’est une question qui est un peu délicate ! C’est dur de résumer la vie d’un être cher d’une trentaine d’années”. Malgré la difficulté de l’exercice, ce père s’en donne à cœur joie. Jonathan, il le connaissait par cœur. 

“On a eu deux enfants. Jonathan avait une sœur aînée qui s’appelle Jennifer. Ils nous ont apporté beaucoup de bonheur, l’un comme l’autre. Comme sa sœur, Jonathan a fait sa scolarité dans une école privée à Boulogne. Mais elle ne lui convenait par car c’était une école avec des effectifs d’une trentaine d’élèves par classe. Il avait besoin que l’on soit proche de lui”.

C’est comme ça que Jonathan croise la route d’Ozar Hatorah à Toulouse. “C’était des classes avec de petits effectifs, où les professeurs étaient toujours près des élèves. Si bien qu’il a terminé haut la main sa scolarité. C’est grâce à Ozar Hatorah », tient à rappeler ce spécialiste de commandes de vol à la retraite. “C’est la raison pour laquelle, après avoir fait des études de théologie en Israël, il est revenu à Toulouse pour rendre à l’école ce qu’elle lui avait apporté”.

Arié, un petit garçon solaire

En ce qui concerne Arié, le fils aîné âgé de six ans au moment du drame, le grand-père se souvient d’un garçon solaire.

“Un mois avant (l’assassinat, ndlr), ses parents nous l’avaient confié pour une semaine de vacances à Jérusalem. On a gardé de lui beaucoup de chaleur, une très grande affection”.

Samuel Sandler l’assure, les gens qu’il croisait étaient admiratifs du comportement d’Arié : “On avait un petit-fils qui était sage. Les gens se disaient : ‘Tiens ! On aimerait bien avoir un petit-fils comme lui’. Il ne faisait pas de caprices, rien du tout”.

“Le jour de l’assassinat, Gabriel avait une tétine à la bouche !”

Pour Gabriel, il ne peut d’abord pas s’empêcher de parler du drame. “Il était jeune. Il avait trois ans. Le jour de l’assassinat, il avait une tétine à la bouche”, souligne le retraité de 75 ans pour rappeler l’horreur du 19 mars 2012.

Rapidement, Samuel Sandler reprend sa description. Et la première chose qui lui vient, c’est la répartie qu’avait déjà le bambin du haut de ses trois ans. 

“Pour un enfant de trois ans, il avait une répartie assez remarquable. Il avait un penchant pour une boisson brune que vous connaissez bien. Je l’avais donc surnommé ‘Monsieur Coca’. Voyant que je buvais du café, il avait eu la répartie de m’appeler ‘Papi Café'”.

Comme la plupart des enfants, Gabriel aimait le sucre et les bonbons. À ce propos, son grand-père raconte une autre anecdote qui l’a marqué lors d’une réunion de famille :

“C’était à Toulouse. Dans la tradition juive, on laisse souvent pousser la chevelure des enfants jusqu’à l’âge de trois ans, puis il y a une coupe des cheveux. Ce jour-là, on pouvait lui couper ce qu’on voulait, du moment qu’il avait ses bonbons, on pouvait faire n’importe quoi !”, se remémore-t-il en riant.

“Je crois qu’on n’arrive pas à s’entraider”

Les souvenirs du passé provoquent des sourires. Mais la tristesse et le deuil du présent ne sont jamais loin.

“C’est très dur d’aller voir des spectacles. J’évite d’y aller parce que je pense toujours aux enfants qui ne sont pas là et qui n’ont pas l’occasion de participer à une joie quelconque. Je suis très mal à l’aise dès que je vais à une fête. Je pense automatiquement à eux car ils ne profitent d’aucune fête. De rien”.

Une situation qui pèse forcément sur le couple Sandler. “C’est très délicat d’en parler (avec son épouse, ndlr). Quand on en discute, je crois qu’on n’arrive pas à s’entraider. La seule chose qui nous aiderait, c’est si on pouvait faire en sorte qu’ils reviennent. On le vit très difficilement”, avoue le père de Jonathan.

Il évite d’en parler avec la petite Liora

Les mots ne pourront pas ramener les morts. Alors Samuel Sandler évite de trop parler en famille. Notamment avec Liora, la petite sœur de Gabriel et Arié.   

“C’est très délicat. J’ai tellement peur de faire une erreur que je n’en parle pas. À tort ou à raison, je ne suis pas psychologue. Mais elle a bien conscience de ce qu’il s’est passé”.

La preuve avec cette anecdote bouleversante qu’il raconte : “De manière générale, on dit toujours que les défunts sont au ciel. Alors naturellement, un jour en prenant l’avion, Liora m’a dit qu’elle était contente de retrouver son père et ses frères… J’ai beaucoup de petites anecdotes comme ça. J’ai beaucoup de peine pour elle car elle a passé son enfance à chercher son père et ses frères”.

L'école Ozar Hatorah où Myriam Monsénégo, Jonathan, Arié et Gabriel Sandler ont été assassinés par Mohammed Merah, le 19 mars 2012.
L’école Ozar Hatorah où Myriam Monsénégo, Jonathan, Arié et Gabriel Sandler ont été assassinés par Mohammed Merah, le 19 mars 2012. (©Archives / Anthony Assémat / Actu Toulouse)

Une décennie marquée par le procès

Les dix dernières années de la vie de Samuel Sandler ont aussi été marquées par le procès Merah. Démarré le 2 octobre 2017, il avait pour but de juger deux personnes : Abdelkader Merah et Fettah Malki.

Abdelkader Merah, le frère de Mohammed, était accusé de complicité dans les tueries de Toulouse et Montauban ainsi que d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Fettah Malki était quant à lui accusé d’avoir fourni l’arme et le gilet pare-balles au tueur au scooter.

En première instance, le frère de Mohammed avait été acquitté de l’accusation de complicité. Il avait été tout de même condamné à 20 ans de prison pour association de malfaiteurs terroristes. Fettah Malki avait quant à lui écopé de 14 ans de prison ferme. Un verdict qui n’avait pas été du goût de Naïma Rudloff, l’avocate générale. Elle avait donc fait appel de cette décision.  

Lors du second procès, le 18 avril 2019, Abdelkader Merah est condamné, pour les deux chefs d’accusation, à trente ans de réclusion criminelle. La peine de Fettah Malki est quant à elle passée de 14 à 10 ans ferme.

“Le marchand d’armes (Fettah Malki, ndlr), l’un de mes avocats l’avait surnommé ‘La Samaritaine’ car autrefois, du temps des grands magasins, on y trouvait de tout. Lui, c’était pareil ! Alors, vous allez me dire qu’entre une voiture et une arme ce n’est pas la même chose… Mais dans son esprit, c’était comme ça ! Plus d’une fois, il a pleuré. Je crois qu’il a compris les erreurs qu’il avait commises. Ce qui n’est pas le cas du frère et encore moins de la mère”.Samuel Sandler

Abdelkader Merah, un “être abominable”

“Au départ, quand on m’interviewait, je disais que je n’attendais rien des procès, que la seule chose que j’aurai pu attendre c’est qu’ils reviennent, qu’ils revivent”, témoigne aujourd’hui le grand-père d’Arié et Gabriel.

“Les premiers temps, j’y allais par solidarité avec les enfants. On parle d’eux, ce sont des gens responsables de l’atteinte à leur vie, donc la moindre des choses par rapport à leur souvenir c’est que je sois présent. Après, c’est presque devenu une addiction de venir. J’y allais tous les jours, même pendant le deuxième procès”.

Au cours des débats, il a été marqué par la mère de l’assassin. Et il ne mâche pas ses mots lorsqu’il évoque Zoulikha Aziri, la mère de Mohammed Merah. “C’est un être abominable, qui ne regrette jamais rien. Pas plus que le frère (Abdelkader, ndlr) d’ailleurs. Je n’ai jamais entendu la moindre parole d’excuse. Rien. Ce sont des êtres épouvantables”.

Un livre et des interventions dans les écoles

Ces dix années ont également été l’occasion pour Samuel Sandler de co-écrire un livre avec Emilie Lanez, intitulé Souviens-toi de nos enfants (2018, Grasset). Un ouvrage qu’il n’avait pas forcément prévu d’écrire.

“C’est vraiment le hasard. C’est Grasset (son éditeur, ndlr) qui m’a contacté. Je n’avais aucune intention d’écrire quoi que ce soit, pour des raisons assez terre à terre et familiale. J’avais une sœur journaliste qui a beaucoup écrit et traduit. Elle était littéraire. Moi, j’étais ingénieur, scientifique, jamais l’idée d’écrire ne me serait venue à l’esprit”. 

L’écriture de ce livre l’a-t-elle aidé dans son deuil ? “Ce n’est pas une thérapie en tant que telle. Mais ça me permet de parler des enfants. Grâce à ce livre, j’ai rencontré des gens, j’ai pu le présenter… Ma façon de les faire vivre, c’est de parler d’eux”, répète-t-il.

Samuel Sandler intervient également dans les écoles pour témoigner dans le cadre de la Région Ile-de-France et de l’Association française des victimes du terrorisme. “C’est assez remarquable. À chaque fois que je vais témoigner, je rencontre des jeunes… Ça donne un peu d’espoir !”

“On se pose la question de quitter la France”

Après cette tuerie, plusieurs Français de confession juive ont fait le choix de quitter l’Hexagone. Pas lui. “Malgré mon âge, j’étais en activité professionnelle. À l’époque, je considérais le travail comme un divertissement, dans le sens pascalien du terme. C’est-à-dire que ça vous empêche de penser et de réfléchir. Je voulais travailler jusqu’au dernier moment. J’ai pris ma retraite tard, à 69 ans passés”.

“Dans le livre (Souviens-toi de nos enfants, ndlr), en parlant de Jonathan et de ses deux garçons attendant la navette scolaire, j’ai une petite phrase qui dit : ‘C’est l’histoire d’une famille juive sur un trottoir de France’. Regardez ce qu’est une famille juive sur un trottoir de France : ma grand-mère déportée, mes oncles et tantes déportés, mes cousins déportés et la génération d’après assassinée”.

Désormais âgé de 75 ans, Samuel Sandler avoue envisager de quitter le pays pour aller s’installer définitivement en Israël : “Maintenant, le temps passant et sachant qu’une grande partie de la famille se trouve là-bas, on se pose la question. Mais davantage parce que nous sommes un peu seuls. Ce serait un regroupement d’affection”. 

“Accepter le pardon, c’est trahir les miens”

Au cours de cet entretien d’une trentaine de minutes, Samuel Sandler ne citera jamais le nom ou le prénom des personnes impliquées dans la tuerie. Un choix qu’il justifie : “Si je cite le nom, je leur donne une certaine humanité que je refuse”.

“Où nous habitons, les gens sont très catholiques. Certains ne comprennent pas pourquoi je ne pardonne pas. Quand je leur dis de regarder une sortie d’école, de regarder ce qu’est un enfant de trois ans, alors là, les gens comprennent tout de suite…”.

Il est formel : le pardon, ce père et grand-père ne pourra jamais l’accorder aux Merah. “D’une certaine façon, accepter le pardon, c’est trahir les miens”.

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