« Il a forcé, planté la graine s’en est allé laissant une adolescente de 17 ans sur le carreau.
Je suis le fruit d’un abus sur mineure, enfant caché pendant six mois, objet de réflexions à mi-voix ou clamés à l’heure des repas familiaux : « Lui -Tu enclenches la marche arrière et on n’en parle plus ».
Balloté entre regrets, rejets ou tentatives d’amour avorté, j’assiste impuissant aux flirtes nombreux et déçus d’une jeune Maman désireuse de refaire sa vie. J’en paye le prix au point que je suis incapable à cinq ans d’avoir une scolarité normale : je me pisse dessus au bout de trente minutes de présence en classe épuisant je ne sais combien d’institutrices…
Une grand-mère, un lopin de terre dans le midi de la France et le tour est joué. J’apprendrai à lire seul, parachuté dans une classe de CE2, ma grand-mère ayant réussi à convaincre le prof de tenter un bout d’essai…
Je m’accroche, les livres sont mes meilleurs amis et je suis bientôt capable de m’épuiser des journées entières en leur présence, dévorant tout, absolument tout ce qui me tombe sous la main.
J’oublie ainsi que Maman n’est pas venue me voir depuis un an puis deux puis six…
Manou, ma grand-mère, tente tant bien que mal de calmer ma révolte face à cet abandon.
Manou, la Bible dans une main, dans l’autre un plan de pavot…
Bobo avant l’heure sur mille mètres carrés de jardin.
Un car pour habitation où je passe mes premières années puis une paillotte en simples canisses recouvertes de plastique et « isolée » par des couvertures.
Une soupe et un morceau d’emmental en hiver. En été c’est plus frugal il y a les tomates du jardin…
Manou, ses feux d’herbes qu’elle me pousse à franchir d’un saut, d’un seul… Manou, naturo naturiste, m’offrant sa cinquantaine de tendresse, de colères et d’espérance : « Tiens-toi droit, Loïc, un homme qui marche courbé n’a aucune autorité, Ne baisse jamais les yeux si tu es dans ton droit et en toute occasion sache clouer le bec des adultes par un français irréprochable : Tiens, par exemple, on ne dit pas « ça » mais « cela », on ne dit pas « pas » mais « point » …
Cette enfance, ce lopin de terre, cette grand-mère qui m’inculque avec rigueur un Français des années trente, c’est mon univers, celui que je n’ai pas choisi mais avec lequel je dois composer.
Et je vais très vite décoder les forces et faiblesse des adultes afin de recomposer ma vie. »
A ceux qui désirent comprendre pourquoi je suis devenu lawyer et banquier d’affaires.
© Loïc Henri
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