L’auteur de « Limonov » se trouvait dans la capitale russe au début de l’invasion de l’Ukraine. Il raconte pour L’OBS la folle semaine qui a suivi : l’impact des sanctions sur la vie des Russes, leur sentiment de vivre un grand bond en arrière, et la terrible angoisse qui les étreint chaque minute un peu plus.
“Quand j’étais petite, je rêvais que je me cachais dans la cave d’une maison bombardée, à moitié en ruine. J’entendais, dehors, des rafales de mitraillettes. Ceux qui tiraient, c’étaient les nazis. J’avais peur qu’ils me trouvent et me tuent comme ils avaient tué ma famille. Depuis le début de la guerre, je refais ce rêve, mais il est pire. Parce qu’il y a un moment où je comprends que c’est moi la nazie, et je me réveille en criant”.
Ce qu’elle me raconte là, Irina l’a écrit sur sa page Facebook – cette scène a lieu au temps où il y a encore Facebook ; au moment où je la raconte, cinq jours plus tard, c’est fini, plus de Facebook.
Sa mère l’a appelée, terrifiée, la plupart de ses amis se sont désinscrits de son compte.
« Le monde entier nous hait maintenant, nous les Russes », dit Irina, et j’essaie de la réconforter, je lui dis que les gens, enfin, les gens, je ne sais pas, mais beaucoup de Français comme moi sont parfaitement capables de faire la différence, d’abord entre les Russes et leur président devenu fou, ensuite entre les Russes qui soutiennent leur président devenu fou et ceux que sa folie épouvante.
[…]
Mais l’impression que j’ai eue en suivant cette manif, c’est que ces gens étaient venus s’opposer à la guerre par principe, pour l’honneur, pour surmonter leur peur, et c’est beau, mais que pratiquement tous, et ça me donne envie de pleurer de terminer cet article comme ça, ils savent que c’est foutu.
© Emmanuel Carrère
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Emmanuel Carrère est écrivain, scénariste et réalisateur français.
Incroyable article , intéressant , nécessaire . nous avions besoin de savoir ce qui se passe chez nos amis russes
Merci
Emmanuel Carrere
Grand journaliste .
humain et courageux .