Ils ne se connaissent pas encore, mais s’estiment mutuellement.
L’un vit sur la côte Est des USA, près de Boston, mais ses parents viennent d’un shtetl de Russie.
Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1976, même si quand il était étudiant à l’Université de Chicago, le directeur du département d’anglais lui avait certifié « qu’un juif ne pourrait jamais saisir l’essence de la littérature anglaise. »
Il s’agit de Saul Bellow.
L’autre, c’est l’écrivain israélien Aharon Appelfeld .
Il est né à Czernowitz, dans une famille germanophone. Ses parents ont disparu pendant la Shoah, lui, enfant, a réussi à survivre en se cachant dans les forêts d’Ukraine. Il émigre en Palestine mandataire en 1946, où il apprendra l’hébreu et deviendra l’un des plus grands écrivains de langue hébraïque.
De passage à New-York, il demande à rencontrer Saul Bellow.
C’est Philip Roth qui va organiser cette rencontre.
Appelfeld parle très peu l’anglais.
Bellow pas du tout l’hébreu.
Mais soudain, les deux se mettent spontanément à parler en yiddish.
C’est au tour de Philip Roth de ne rien y comprendre.
Mais il raconte :
« Qu’y avait-il de différent chez ces deux hommes tandis qu’ils conversaient inlassablement en yiddish ?
Tout.
Leur comportement tout entier, leurs mimiques changeaient. Leur rapport à leur propre visage changeait. Chacun ressemblait comme par magie à une nouvelle version de lui-même et paraissait être entré en possession d’une dimension de lui-même jusque-là inactive…
On avait l’impression que quelque chose de leur interaction si vive et si émouvante donnait accès à la strate la plus profonde et la plus subjective de leur être, comme si avec le yiddish ils parvenaient à faire remonter à la surface les mots qui leur permettaient de donner libre cours à tout ce qui était resté jusque-là indicible. »
Le yiddish est une langue internationale que j’ai utilisé dans les années 80 & 90 dans mes affaires. Il m’a souvent tiré d’affaire. J’ai même parlé en yiddish avec l’ambassadeur Rosen au State départment en 1989