Simone Rodan-Benzaquen. Dénazification de l’Ukraine ? Mais de quoi parle-t-on ?

Il y a 15 jours, Vladimir Poutine a lancé une guerre unilatérale contre l’Ukraine. Lors de sa déclaration à la télévision, il a justifié son attaque en affirmant vouloir « protéger les personnes victimes de génocide de la part de Kiev » et « arriver à une dénazification de l’Ukraine ».

Ce n’est pas la première fois que Poutine avance l’argument de la présence de « nazis » chez son voisin pro-occidental. Déjà en 2014, lorsque la Russie a annexé la Crimée, ces allégations étaient présentes dans le discours officiel.

Toutefois, aussi absurde que l’idée d’une « dénazification » puisse me paraître, je vois cet argument revenir souvent, de François Asselineau en passant par des personnalités proches de l’extrême droite mais aussi sur des réseaux sociaux par des simples citoyens. Alors de quoi parle-t-on?

Tout d’abord le nom d’Azov revient souvent. Ce bataillon est une unité d’extrême droite, supplétif aux forces armées ukrainiennes. On en retrouve officiellement les premières traces en mai 2014, quelques mois après l’annexion de la Crimée par Moscou. À l’époque, ce bataillon était composé de quelque 800 volontaires ukrainiens, tous principalement originaires de l’Est occupé par la Russie. Aujourd’hui, il est bel est bien actif, mais ses hommes ne représentent qu’environ un centième de l’armée ukrainienne.

Ensuite il est vrai que la situation ukrainienne est propice au développement d’un récit national s’appuyant sur des références positives au Rus de Kiev (principauté russe fondée au 9ème siècle) mais aussi, plus récemment, à la période de la collaboration et à l’Armée insurrectionnelle du leader ultranationaliste Stepan Bandera. Ce révisionnisme historique présente sous un jour héroïque les collaborateurs ukrainiens au régime nazi, ayant participé à la Shoah et commis de nombreux crimes, mais considérés par certains comme des héros nationaux face aux soviétiques.

Mais la réalité est surtout aussi que l’Ukraine est un pays complexe, sans doute imparfait, mais qui fait face à un dictateur sanguinaire qui cherche à redessiner non seulement les cartes de l’Europe mais à détruire l’ordre mondial actuel.

La réalité est aussi qu’aucun pays démocratique n’est exempt de groupes nationalistes d’extrême droite. Ce que les élections de 2019 en Ukraine ont surtout révélé, c’est un total rejet de l’extrême droite ukrainienne, qui n’a recueilli que 2 % des suffrages – un résultat dérisoire comparé aux scores de l’extrême droite ailleurs en Europe, y compris en France ou en Allemagne. Ce qui est vrai est que l’Ukraine a voté pour une président juif, dont le ministre de La Défense est juif et qui a décidé de mener son pays à la liberté et la démocratie.

Ce qui est vrai aussi c’est l’attachement très fort de la large communauté juive ukrainienne à son pays, une communauté qui est aujourd’hui obligée de se cacher sous les bombes, de voir ses institutions être détruites et de s’enfuir.

Cette communauté a aussi été écoutée, tant il y a eu des avancées considérables dans la lutte contre l’antisémitisme dans le pays, notamment par le durcissement de la loi, votée au Parlement l’année dernière, qui prévoit désormais des sanctions pénales sévères envers les actes et discours antisémites.

Et enfin, ce qui est vrai aussi et avant tout c’est que l’autocrate Poutine n’a certainement pas de leçons à donner aux ukrainiens en matière de « nazification », non seulement parce qu’il massacre aujourd’hui en Ukraine, comme il l’a fait auparavant en Tchétchénie, en Géorgie, en Crimée, au Donbass et en Syrie, non seulement parce qu’il est l’ennemi de l’Europe en soutenant et finançant notamment  des partis d’extrême droite européens, non seulement parce qu’il est en train de supprimer toutes les libertés en Russie pour promouvoir une propagande génocidaire, mais parce qu’il utilise lui-même les troupes djihadistes du dictateur Kadyrov ainsi que des centaines de mercenaires du sinistre groupe Wagner, dirigé par un de ses proches, Dimitri Outkine, un homme nostalgique du IIIe Reich.

La réalité est que l’analogie nazie a peut-être sa place dans le conflit actuel, mais pas celle que le Kremlin voudrait lui donner. L’agression de Poutine contre l’Ukraine ressemble à l’attaque d’Adolf Hitler contre la Pologne en septembre 1939 : Le récit nazi des griefs, les fausses allégations de persécution de minorités, les tentatives de fournir un prétexte pour une attaque, sont tous présents dans la guerre de Poutine.

L’Ukraine actuelle, comme la Pologne à l’époque, s’est battue avec courage contre une armée numériquement et technologiquement supérieure qui l’entourait de trois côtés. La défense de Kiev rappelle la défense de Varsovie. À nous de faire en sorte que l’histoire soit bien différente.

©  Simone Rodan-Benzaquen

Simone Rodan-Benzaquen est Directrice France de l’American Jewish Committee, et directrice AJC Europe.

Elle chronique sur Radio J lors du « Grand journal » de Steve Nadjar à 14h25

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1 Comment

  1. Dans la mesure où les islamistes et les indigénistes sont les nouveaux nazis, ce n’est pas l’Ukraine qu’il faudrait denazifier mais toute l’Amérique du Nord et l’Europe de l’ouest ! Et ce n’est pas Poutine avec son armée de bras cassés qui va venir nous en libérer…

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