A J-26 de la “Commémoration” des attentats du terroriste islamiste Merah, TJ re-publie le Texte de Marie Brenner: “Paris en flammes” ( I )

PARIS EN FLAMMES

Depuis des années, Sammy Ghozlan, ancien commissaire de police, s’est donné pour mission de protéger la population juive de France. Mais confronté aux émeutes de l’été dernier (croix gammées au centre de Paris, slogans du type « Hitler avait raison » et attaques contre des synagogues), puis aux massacres dans les bureaux de Charlie Hebdo et dans un supermarché casher, Ghozlan a rejoint les milliers de juifs français en partance pour Israël. Marie Brenner (traduit de l’anglais par Emmanuelle Beaulieu). 

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« Comment peut-on laisser quelqu’un peindre une croix gammée sur la statue de Marianne, déesse de la liberté française, au centre même de la place de la République ?»

Voici la réflexion que se faisait le PDG d’une des marques de luxe les plus célèbres en juillet dernier, alors qu’un homme de grande taille, en chemise noire et keffieh, se hissa sur le piédestal de la statue de Marianne et y inscrivit une croix gammée au marqueur. Tout autour de lui, des milliers de manifestants en colère affluaient sur la place, munis de roquettes factices, brandissant des drapeaux palestiniens ou du Hamas, voire la bannière noire et blanche de Daech. Ici, à deux kilomètres à peine des Galeries Lafayette, le cœur du Paris bourgeois, les slogans : « MORT AUX JUIFS ! MORT AUX JUIFS ! » C’était le samedi 26 juillet 2014, et une manifestation pro-palestinienne virait en journée de terreur dans l’un des quartiers les plus à la mode de la ville.

« Faites quelque chose ! Vous ne voyez pas ce qui se passe ? » s’exclama le PDG à l’attention des policiers en faction sous les yeux la manifestation tournait à la frénésie. « Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? » réplique l’un des policiers, puis détourne la tête. Depuis des années, le PDG, militant antiraciste de longue date, se rend aux rassemblements de ce type pour voir quelles personnalités politiques et groupes d’extrémistes sont présents. (Pour des raisons de sécurité personnelle, le PDG en question a demandé à ne pas être identifié dans cet article). En France, les manifestations constantes forment l’un des piliers de la République, un droit sacré lié aux jambes de Voltaire. Mais les discours haineux constituant un délit – on peut exprimer son opinion, sauf si celle-ci constitue une injure à raison de la race, de la religion ou du sexe. La manifestation – contre la politique d’Israël à Gaza – avait été interdite par le gouvernement qui craignait l’explosion de violences, suite à plusieurs embrasements au fil des semaines précédentes. Mais si la police intervenait trop rapidement, les émeutes risquaient de se poursuivre tout l’été – banlieues en flammes, foules déchainées au cœur de Paris.

Des photographies et des vidéos de la croix gammée et de son auteur, des protestataires entonnant « Mort aux juifs » et des drapeaux palestiniens, du Hamas ou de Daesh ont été rapidement envoyés à plusieurs groupes de la communauté juive chargés d’évaluer les menaces. En début d’après-midi, certaines de ces images avaient été transmises à Sammy Ghozlan, ancien commissaire de police âgé de 72 ans qui a dépassé sa carrière à travailler dans les quartiers populaires et multiculturels autour de Paris. Ghozlan est un héros mythique des banlieues, affublé d’un surnom inoubliable : le « poulet » casher. […] Depuis quinze ans, il supervise le Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme – connu sous son acronyme, BNVCA –, un forum destiné à la communauté juive dont il est le fondateur et qu’il finance à l’aide de sa retraite de policier et de quelques donations. Son objectif est, ni plus ni moins, la protection des juifs de France.

L’année passée, les fréquents communiqués de Ghozlan – décrivant des attaques dans des parcs ou des écoles, des synagogues incendiées, des agressions dans le métro – ont saturé les boîtes de réception de journalistes du Monde , du Figaro et du Parisien, ainsi que des milliers de juifs de banlieue. Parfois au rythme de deux par jour, les bulletins d’information de Ghozlan paraissent confirmés par des chiffres solides : selon un groupe de vigilance, le Service de Protection de la Communauté Juive, ou SPCJ, qui publie des statistiques établies par le Ministère de l’ ‘intérieur français, 851 incidents antisémites ont été enregistrés en France en 2014, plus du double par rapport à l’année précédente. Ghozlan et ses 19 bénévoles sont sur la ligne de front dans les quartiers les plus sensibles, travaillant à rassembler des documents, à chercher des confirmations, à mobiliser la presse, la police ou la justice pour qu’elles soient concernées.

Tout juste deux semaines avant la manifestation du 26 juillet, les textes et messages de Ghozlan se firent incessants. À la veille du 14 juillet, le dimanche 13, il pista les centaines de protestataires qui déferlèrent dans le Marais, le quartier juif historique de Paris. Après un bref arrêt dans une synagogue vide de la rue des Tournelles, près de la Place des Vosges, ils se précipitèrent, munis apparemment de barres de fer, de haches et de drapeaux, en direction de la rue de la Roquette, une rue bordée de cafés et de boutiques situés à quelques pâtés de maison de l’appartement du Premier ministre, Manuel Valls. Leur objectif était la synagogue Don Isaac Abravanel. A l’intérieur, les 200 fidèles – dont le Grand Rabbin de Paris – entendent les hurlements de la foule, estimés à 300 personnes : « Hitler avait raison ! » « Juifs, hors de France ! » Audrey Zenouda, une policière qui se trouva à l’intérieur de la synagogue, appelée son père, officier de police à la retraite qui travaille avec Ghozlan au BNVCA « Fais quelque chose. Nous sommes terrorisés. »

« Je savais que si quelqu’un pouvait obtenir l’intervention des forces de l’ordre, ce serait Sammy et le BNVCA », me dit Zenouda plus tard. Seuls six officiers de police étaient de service pour maintenir l’ordre ce jour-là. « On attend l’arrivée des CRS », indiqué-t-on à un journaliste sur place. Au bout d’une heure, une brigade de l’anti-terrorisme délivra le Grand Rabbin, mais les autres fidèles restèrent enfermés derrière les portes de la synagogue, barricadées de l’intérieur à l’aide de chaises et de tables. A l’extérieur, des membres du service de sécurité et une dizaine de membres auto-formés appartenant à la Ligue de Défense Juive commencèrent à pourchasser les manifestants à l’aide de tables et de chaises prises aux terrasses des cafés alentour, une petite unité des forces de l’ordre leur prêtant main forte. Ensemble,

Presque aussitôt, les comptes rendus de la manifestation du 13 juillet allaient faire l’objet de contestations et de débats. Les chiffres analysés avec scepticisme (étaient-ils vraiment aussi nombreux ?) et des interrogations ont été soulevées sur les actes qui auraient pu provoquer une telle violence – comme si circulaire dans le centre de Paris munis de barres de fer et de haches avaient quoi que ce fût de normal. Dans certains milieux, on accuse même les juifs « de l’avoir cherché », comme d’habitude.

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Un rassemblement de plus d’un million de personnes en l’honneur des victimes des attentats terroristes à Charlie Hebdo et Hyper Cacher, Place de la République, Paris, 11 janvier 2015. Nicolas Gouhier/Abaca Press/SIPA USA.

Dans le rassemblement – ​​et les nombreux autres qui allaient suivre et transformer l’été 2014 en un été de haine à Paris – se référaient des représentants des partis politiques français, de gauche comme de droite. On estime la population musulmane de France aux environs de 5 millions, une force électorale non négligeable dans un pays de 66 millions d’habitants. (Le nombre de juifs français tourne autour de 500 000). Directeur des relations internationales du centre Simon Wiesenthal à Paris, Shimon Samuels (qui combat l’antisémitisme, le négationnisme et l’extrémisme et qui, à travers une fondation, aide à financer le forum de Ghozlan) assista à certains des événements du 13 juillet . Parmi les manifestants, il est reconnu dans la foule, un concierge du quartier, un employé de banque, ainsi que des membres du gouvernement socialiste actuel.

En visionnant les images après les faits, Ghozlan fut écœuré de reconnaître le visage de plusieurs alliés politiques avec lesquels il avait collaboré pendant des décennies, essentiellement dans le Neuf Trois, la banlieue nord de Paris sur laquelle il régnait autrefois en tant que commissaire de police . Le Neuf Trois est le nom hip-hop du département, qui a l’honneur de figurer, d’après sa réputation en tout cas, parmi les quartiers les plus violents de France. (Le nom vient des codes postaux de cette zone, qui commence tous par « 93 »). C’est également le département où Ghozlan a habité pendant 30 ans, dans une grande maison encadrée de haies sur l’avenue Henri Barbusse, dans la commune relativement paisible du Blanc-Mesnil.

Pour Ghozlan, juillet 2014 constitue le point critique, après des années d’intensification des violences antisémites : « Il n’y a pas eu de débat dans notre famille. Nous en avions tous conscience – il était temps de partir. Partir vaut mieux que s’enfuir », me dit Ghozlan. Il finirait par considérer les émeutes de l’été comme les événements précurseurs des catastrophes qui allaient se dérouler six mois après avec les attentats terroristes dans les bureaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo , à 800 mètres de la Place de la République, le 7 janvier 2015, puis, deux jours plus tard, à l’Hyper Cacher, une épicerie juive près de la Porte de Vincennes, dans l’est parisien.

À ce moment-là, la petite annonce de Ghozlan – une petite annonce que tous ceux qui le savent n’auraient jamais pensé possible – avait déjà été publiée : « Loue une maison, 4 chambres, 2 salles de bain, une terrasse, un jardin de 50m2 ». Deux jours avant l’attentat contre Charlie Hebdo , Sammy a annoncé ce qui, pour nombre de personnes, dont moi, était impensable : Sammy Ghozlan, un homme fier d’être français et le doyen des combattants contre les crimes antisémites à Paris, avait rejoint les milliers de juifs français en partance pour Israël.

Sépharade Le Columbo

Il y a plus de dix ans, je passai des semaines avec Ghozlan, à l’apogée de la deuxième Intifada, le soulèvement palestinien contre l’occupation israélienne qui avait démarré en septembre 2000 et dura plus de quatre années. Ghozlan avait récemment lancé le forum du BNVCA et travaillait à partir d’une pièce encombrée au fond d’une synagogue du Pré-Saint-Gervais. Quand je le rencontrai pour la première fois, à l’automne 2002, Ghozlan portait un grand classeur en plastique blanc débordant de comptes-rendus d’une page écrite sur la base de coups de téléphone qu’il avait reçus d’informateurs. Ce classeur contenait plus de 300 comptes-rendus : cocktails Molotov lancés sur des écoles juives, élèves traités de « sale juif », incendies, profanations, une femme juive battue dans un taxi.

Aujourd’hui, 12 ans plus tard, le classeur de Ghozlan est l’un des 50 qui a transféré les étagères de son bureau dans le centre de Paris. Je l’ai revu au printemps dernier, quand il était de retour en ville, après une opération d’un des tendons de la jambe. Le BNVCA continuait de fonctionner, avec Ghozlan aux manettes depuis Netanya, une ville balnéaire non loin de Tel-Aviv, où près de 2 000 juifs français ont immigré en 2014, et où Ghozlan a emménagé en décembre dernier, revenant à Paris toutes les six semaines environ.

Ghozlan ressemble à une version décatie d’Yves Montand, et la décennie qui s’était effacée depuis notre dernière rencontre n’avait fait qu’augmenter cette impression. Pour le reste, pas grand-chose n’avait pas changé. Il porte toujours son élégant veston et une chemise ouverte suggestive de son Afrique du nord natale. (Il est originaire d’Algérie.) Pendu en permanence au téléphone, comme avant, il donne des directives pour mener l’enquête sur des allégations d’antisémitisme, envoie des avocats bénévoles devant les tribunaux pour essayer d’empêcher des protestataires anti- payés de dévaliser les produits casher et payés des rayons dans les supermarchés. Il est également engagé dans une bataille juridique de longue date contre le comédien antisémite et négationniste Dieudonné M’bala M’bala, récemment condamné par le Tribunal correctionnel de Paris pour apologie d’actes de terrorisme. « Cette affaire m’obsède », me dit Ghozlan. « Je le poursuis depuis 10 ans ». Sur son iPhone, il me montre des dizaines de photos des fans de Dieudonné devant le magasin Hyper Cacher, après la sanglante prise d’otages du 9 janvier, faisant le signe de la « quenelle », un geste semble-t-il dérivé du Salut Nazi, inventé et popularisé par Dieudonné.

Deux mois s’étaient livrés depuis l’attaque, et Ghozlan voulait absolument essayer de comprendre ce qui s’était passé à l’intérieur de l’Hyper Casher, où un terroriste de 32 ans, du nom d’Amedy Coulibaly, qui avait grandi avec ses parents maliens dans une banlieue de Paris, avait abattu quatre personnes dans un quartier tranquille et bourgeois près de la Porte de Vincennes. Il avait une caméra attachée vidéo GoPro sur son torse pour filmer le massacre. Il aurait déclaré à ses otages : « Je m’appelle Amedy Coulibaly, je suis malien et musulman. J’appartiens à l’État islamique ». Une fois l’assaut terminé, quatre juifs français étaient morts, dont un jeune homme qui avait empoigné une arme que Coulibaly avait posé sur un comptoir parce qu’elle s’était enrayée. La veille, quand les médias annoncèrent la fusillade de Montrouge, Ghozlan suivait la situation de Netanya. Il coupait un instinct et contactait un ami proche d’une autre organisation juive qui habitait à proximité. « Cette attaque ce matin à Montrouge, lui écrivit-il, est-ce que tu peux vérifier si c’était près de l’école [juive] » ? La réponse arriva : « Tu as raison. L’école n’est pas loin. Des rumeurs circulent, mais tu te trompes. Nous y sommes, et l’école n’est pas visée. » Des comptes-rendus indiquèrent plus tard qu’une école juive à Montrouge aurait pu être en réalité la cible originale de Coulibaly. A Netanya, Ghozlan n’avait toujours pas déballé ses meubles qu’il s’organisait déjà pour retourner à Paris.

Revenir de manière permanente était hors de question, mais cela n’a pas été facile pour Ghozlan de déconnecter. « Je suis profondément français », me dit-il. « J’ai fait mon service militaire dans l’aviation. J’aime les valeurs de la France, sa culture, son histoire, sa cuisine, ses philosophes et ses artistes. Je n’avais jamais imaginé que je partirais un jour. J’ai mené le combat pendant 15 ans et toutes nos mises en garde n’ont servi à rien ». En 2014, environ 7 000 juifs ont quitté la France pour Israël, et cette année on a causé l’exode à 10 ou 15 000 personnes. L’Agence Juive Pour Israël a récemment rapporté qu’en 2014, 50 000 juifs français se sont renseignés sur les démarches à suivre pour immigrés en Israël, un chiffre stupéfiant. Dans de nombreux lycées publics de France, les élèves juifs se font insulter, des salles de classe sont vandalisées, des livres dégradés et des bagarres éclatent en cours à chaque fois qu’un enseignant tente d’évoquer la Shoah. Après les attaques contreCharlie Hebdo et le supermarché Hyper Cacher, sur une relation que des cours avaient été perturbés par des élèves musulmans refusant de participer à toute commémoration pour les victimes. D’après Shimon Samuels, environ 40 pour cent des élèves juifs de France sont inscrits dans des écoles juives et 35 pour cent dans des écoles catholiques. « C’est une situation sans précédent », me dit Ghozlan. « Nous sommes en terrain inconnu ».

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Sammy Ghozlan, photographié par Uriel Sinai, dans sa nouvelle maison, à Netanya, Israël. Uriel Sinaï.

Le téléphone de Ghozlan sonne. Quand il raccroche, il m’annonce que deux musulmans non identifiés ont pénétré dans une école juive du bien nanti 16e arrondissement. (Plus tôt cette semaine-là, il y avait eu un incident dans une autre école juive du 11e arrondissement, un quartier de jeunes professionnels, de politiciens et d’écrivains). « Comment est-ce que ces voyous ont pu entrer dans l’école » ? demande Ghozlan. « Ils ont fait le tour comme s’ils espionnaient ». L’école dans le 16e arrondissement a été évacuée et une équipe de démineurs a été déployée. « Rien de tout cela n’apparaîtra dans la presse », dit Ghozlan. « Les écoles ont peur de perdre encore des élèves ».

Comme 70 pour cent de la population juive de France, Ghozlan est sépharade, et il fait parti des Nord-Africains qu’on appelle pieds-noirs. Il a vécu à Constantine jusqu’en 1962 puis, à l’âge de 20 ans, il a fui le pays avec sa famille à la suite de la guerre d’Algérie, emportant avec lui « un sandwich et une valise », une expression utilisée par les pieds-noirs. Avec son épouse, Monique, une femme de petite taille, institutrice de maternelle, qu’il a rencontrée quand ils étaient tous les deux membres d’une association de la jeunesse juive en Algérie, il a vécu dans la maison au Blanc-Mesnil. Là, il y avait des chambres pour ses trois filles et son fils, et pour sa mère, qui ne ratait jamais un épisode de New York Police Blues.Quand j’ai rencontré Ghozlan pour la première fois, il m’a fait l’impression d’un Columbo sépharade. Au début de sa carrière de policier, il réussit à imposer l’ordre dans une partie des banlieues tellement violente qu’on le surnommait « Chicago ». Sa méthode consistait à proposer des cours de judo aux populations d’immigrés – dont beaucoup parlaient l’arabe, comme lui. On le chargea de s’occuper des jeunes délinquants, qui semblaient bien réagir à son style direct et son franc-parler que son père, ancien détective en chef à Constantine, lui avait appris, comme il me l’a expliqué.

Ghozlan assit sa réputation au sein de l’anti-terrorisme lorsqu’une bombe explosa dans la synagogue de la rue Copernic en 1980, une attaque dans laquelle 4 personnes trouvèrent la mort et plus de 40 furent blessées. Ghozlan a découvert que les auteurs de l’attentat étaient des sympathisants de la cause palestinienne, et non des néo-nazis comme la police l’avait d’abord suspecté. Il fut nommé commissaire en chef pour enquêter sur l’attentat antisémite majeur suivant, contre le restaurant Jo Goldenberg, célèbre établissement juif du Marais, où six personnes, dont américains deux, trouvèrent la mort et 22 autres furent blessées, en 1982. La carrière de Ghozlan au sein de la police – alors qu’il continuait à donner ses spectacles de Bar Mitzvah – le conduit finalement à diriger le commissariat d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis.

Ghozlan a reçu la Légion d’Honneur – la plus haute reconnaissance de l’État français. Mais sa frénésie a toujours fait de lui un excentrique, une nuisance pour l’ordre établi juif, largement séculaire, assimilationniste et vivant principalement dans les arrondissements privilégiés de Paris, qui voit en lui un banlieusard en quête de publicité, un juif agité. Aussi nobles que soient ses motivations, Ghozlan est perçu comme un casse-pieds avec ses bulletins d’information incessants, m’a-t-on expliqué il y a une dizaine d’années. Dans certains milieux, ce sentiment n’a pas changé.

Quand j’ai rencontré Ghozlan pour la première fois, il pestait contre le fait que son agence bidouillée de détectives avait affaire à un système juridique rigide français. Pour lancer des poursuites pour crime haineux en France contre un délit à caractère raciste – circonstance aggravante qui a pour effet d’augmenter la peine encourue – il devait apparaître devant un magistrat qui, en général, rechignait à qualifier d’acte antisémite le passage à tabac d’un rabbin dans le métro. Pour eux, m’expliquant à Ghozlan, il s’agissait d’une « simple agression », la plupart du temps commis par un musulman au chômage, agissant par frustration. Cela enrageait Ghozlan. « Je voulais démarrer une force de défense juive », me dit Ghozlan. L’un après l’autre, les juges lui assénaient : « Il n’y a pas de chef d’accusation antisémite applicable tant qu’il n’y a pas mort d’homme ». La position des organisations juives définies a toujours été : « Sammy, arrête de faire des vagues ». A l’époque, même David de Rotschild, le banquier, déclarait au Jerusalem Post que la vague d’attentats était sans doute l’œuvre de « néo-nazis, une population hostile, agressive, antisémite d’extrême droite… » bientôt changer d’avis.

Étrangers de nouveau

Douze ans plus tard – le sentiment, à Paris, de se trouver au cœur de la tempête, alors que le gouvernement de François Hollande tente de restaurer le calme après les manifestations de l’été dernier et les attentats terroristes du mois de janvier, attendus s’ajoutent une économie chancelante et un euro en baisse. Lorsque je suis arrivée en mars, l’ascension de Marine Le Pen, la Présidente du parti d’extrême droite le Front National, faisait l’une des journaux, tandis que Paris tentait toujours de se remettre des attentats terroristes de janvier. Il y avait des monceaux de fleurs et d’affiches dans les rues. Des tourbillons de touristes au Louvre, comme d’habitude, mais aussi des militaires armés, postés devant toutes les écoles et institutions juives, y compris dans le réfectoire d’une maison de retraite de la fondation Rotschild. Dans l’entrée de la synagogue de la rue Copernic – celle qui avait été la cible de l’attentat à la bombe en 1980 – de jeunes enfants passaient à proximité de mitraillettes. Spectacle troublant.

Manuel Valls, en tant que ministre de l’intérieur d’abord, puis Premier ministre, a lancé une série de déclarations musclées dans l’espoir d’endiguer le départ massif des juifs français. « L’antisionisme, c’est l’antisémitisme d’aujourd’hui » affirme-t-il, et déclare que « les Français juifs ne doivent plus avoir peur d’être juifs ». En avril, il déplorait le fait que « le racisme, l’antisémitisme, la haine des musulmans, des étrangers, l’homophobie augmentait de manière insupportable dans notre pays » et promit 100 millions d’euros destinés à combattre l’intolérance. Dix-mille soldats se virent déployés sur l’ensemble du territoire. Certaines banlieues ressemblent à des zones en guerre, dont, par moments aussi, Créteil, à l’est de Paris, où Valls fit sa promesse. En décembre dernier, Créteil fut le théâtre d’un crime brutal alors que l’appartement d’une famille juive était cambriolé. Le fils de 21 ans s’y est présenté avec sa petite amie. L’un des cambrioleurs, qui portaient des capuches, se serait exclamé : « Vous êtes juifs. Vous avez de l’argent partout chez vous ». Ils ligotèrent le jeune homme avec du scotch d’emballage et violèrent la jeune femme de 19 ans. Cinq mois plus tard, Manuel Valls a annoncé que la police française avait déjoué cinq attentats terroristes au cours des derniers mois grâce au renforcement de la politique sécuritaire. L’un d’entre eux concernait un Algérien qui, selon certaines sources, se serait blessé accidentellement avec une arme à feu et aurait appelé une ambulance. « La menace n’a jamais été aussi importante », déclare Valls.

L’ancien ministre des affaires étrangères, Roland Dumas, âgé de 92 ans et condamné en première instance puis relaxé en appel pour recel d’abus de biens sociaux pour avoir accepté des cadeaux de sa maîtresse, émissaire d’un géant du pétrole français– a critiqué Valls, bien qu’ils soient tous les deux membres du parti socialiste. « Il a des alliances personnelles qui font qu’il a des préjugés. […] Chacun sait qu’il est marié avec quelqu’un—quelqu’un de très bien je dirais—qui a de l’influence sur lui », déclare Dumas dans une émission d’information. L’épouse de Valls est la violoniste juive Anne Gravoin. Aussitôt, le centre Wiesenthal demanda au Président Hollande de se retirer à Roland Dumas de la Légion d’Honneur, comme l’État le fit pour John Galliano, le couturier britannique, lorsqu’il s’était déchaîné verbalement contre les juifs.

La France à la population juive la plus importante d’Europe (et la troisième du monde, après Israël et les Etats-Unis) et a toujours été considérée comme le laboratoire pour observer la situation en Europe. Mais les juifs représentent moins de 1 pour cent de la population française. Malgré cela, selon le SPCJ, les juifs sont la cible de 51 pour cent de tous les actes racistes en France. Le pays est devenu la source majeure d’immigrés en Israël.

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Le piédestal de la statue de la République marqué d’une croix gammée lors d’une manifestation de soutien aux palestiniens qui vire à l’antisémitisme, Paris, 26 juillet 2014. Etienne Laurent/EPA/Corbis.

Certains remettent en question ces terribles statistiques. « Est-ce que vous pouvez imaginer qu’un philanthrope de New York se trouve ici la semaine dernière et qu’il nous a dit qu’il était venu nous offrir une aide ‘humanitaire’ » ? a dit Sacha Reingewirtz, le président de l’Union des Etudiants Juifs de France, qui a remporté un procès contre Twitter en 2013, obligeant la société à communiquer à la justice les données en sa possession de nature à permettre l’identification des auteurs de tweets antisémites en France. Reingewirtz, diplômé d’Oxford et de la Sorbonne, a essayé de minimiser le fait que des croix gammées ont fait leur apparition dans les facs. Les juifs établis de Paris vivent depuis longtemps une forme de double vie ; la religion en France est traditionnellement considérée comme une question privée.

« Il y a un sentiment de fierté. Une réticence à partager nos sentiments et nos peurs ».

C’est précisément cette attitude que Ghozlan combat depuis des décennies, une attitude qui semble bien persistante, compte tenu du climat actuel à Paris. La section antiterroriste de la police judiciaire tente aujourd’hui de lutter contre ce qu’on appelle en France la « troisième vague d’antisémitisme ». La première vague des années 90, venant de l’extrême droite, s’est transformée en croisades néo-nazies, qui visaient non seulement les juifs de France mais aussi la population croissante de musulmans, isolée dans les grands ensembles de banlieue. La seconde vague vint de l’extrême gauche – prenant ses racines dans des positions pro-palestiniennes et anti-sionistes – et émergea pendant la première et la deuxième Intifada, avec quelques éruptions dans les années 90 et au début des années 2000. La troisième vague a été propulsée par la montée en puissance récente de Daech, s’est métastasée via les réseaux sociaux et les milliers de sites web et, en France, a commencé à se développer localement au sein d’une population vulnérable de jeunes musulmans . Un expatrié juif américain, habitant avec sa jeune famille dans un quartier calme du Neuf Trois, juste de l’autre côté du Boulevard périphérique par rapport à Montmartre, m’a dit : « On a l’impression qu’il n’y a que deux choix possibles pour un jeune homme des cités : vendre de la drogue ou se tourner vers l’Islam ».

Les musulmans assimilés français – comme les juifs assimilés – parlent en privé de se trouver soudainement enfermés dans le carcan d’une identité musulmane, qu’ils soient religieux ou non. Sartre à un jour écrit : « C’est l’antisémite qui fait le Juif ». On peut dire la même chose des musulmans, comme le documentariste et romancier Karim Miské – né en Côte d’Ivoire et qui n’a pas été élevé dans l’Islam – l’a écrit dans Le Monde : « C’est l’ islamophobe qui fait le musulman ». Nouveau, Miské, qui a reçu une bourse du PEN britannique pour son roman Arab Jazzet habite dans le bigarré 19e arrondissement, se trouve dans le Marais avec sa fille de 12 ans quand un homme bien habillé l’a regardé d’un œil menaçant et lui dit : « Boum ». « Le drame, c’est que nous sommes maintenant piégés dans une identification à la religion », m’a-t-il déclaré. « Franchement, c’est du racisme ».

Je suis allée rendre visite à une famille juive du 6e arrondissement, un quartier où l’existence des juifs est aussi assimilée et privilégiée qu’on peut l’imaginer à Paris. La fille de 18 ans, une élève de terminale qui prévoit d’aller faire ses études en Angleterre m’a demandé : « C’est vrai que si je vivais en Amérique je pourrais porter une chaîne avec une petite étoile de David ou un sweatshirt de l’université israélienne de Technion ? »

« Que se passerait-il si tu le portais dans ce quartier » ? lui ai-je demandé en retour. « Tu crois que tu serais agressée ? »

« Ce serait l’angoisse », m’a-t-elle répondu. Cette adolescente était sûre qu’on la regarderait de travers et qu’elle serait harcelée, peut-être même que cela entraînerait une bagarre. J’ai souvent entendu le mot « angoisse » à Paris. Aussi bien établi soit-on en tant que juif, m’a-t-on expliqué, on n’a plus le loisir de se sentir invisible. C’est comme si les juifs de France étaient de nouvelles forces à vivre dans un ghetto d’identification culturelle. Et cela, malgré les profondes traditions françaises d’égalité et de fraternité, sans parler de la « laïcité » – cet engagement farouche en faveur d’un sécularisme strict. Comme un membre d’une famille juive l’a récemment dit à la journaliste Anne-Elisabeth Moutet du Telegraph : « Depuis quand sommes-nous redevenus des étrangers » ?

« Personne d’Autre ne mourra »

Le neuf janvier, le jour de l’attentat contre l’Hyper Cacher à la porte de Vincennes, les sirènes de Paris ne se sont pas tues. La nièce de Ghozlan, une avocate, était en route pour l’Hyper Cacher quand elle a rencontré une amie juste à l’extérieur du magasin. Il était 13 heures. Elles se sont arrêtées pour bavarder. Soudain, un africain musclé l’a dépassée avec son sac à dos. Il l’a heurtée à l’épaule. Quelques instants plus tard, elle a entendu des coups de feu. Elle a appelé son oncle. Il se trouve que Ghozlan connaissait le propriétaire du magasin. Il lui a envoyé un texto et s’est mis à appeler toutes les personnes qu’il connaissait dans la police parisienne.

12 jours plus tôt, le 28 décembre, Ghozlan avait eu un pressentiment de mauvais augure et avait lancé l’un de ses nouveaux avertissements : « Le prochain attentat aura lieu dans une entreprise ou un magasin juif non surveillé. Le BNVCA exige que tous les magasins juifs soient surveillés 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 ». Un associé lui a dit : « Tu vas trop loin, Sammy ».

Dans les comptes rendus journalistiques sur l’attentat à l’Hyper Cacher, un homme est désigné sous les termes « otage non identifié ». Je l’ai rencontré à Paris, plusieurs semaines avant que les juges français ne demandent aux otages de ne pas parler des événements qui se sont déroulés dans le supermarché. Son récit n’a jamais été rendu public. Pendant les cinq heures où Coulibaly a retenu 19 personnes en otage, André, comme il tient à ce qu’on l’appelle, a été le seul à se retrouver de longs moments en tête à tête avec le preneur d’otages. Quand il a fini par être libéré avec les autres otages qui avaient survécu, il a passé plusieurs heures à se renseigner sur les services de l’anti-terrorisme. On l’a félicité pour son sang-froid ; il a rédigé un témoignage de 10 pages et a rencontré le Premier ministre Valls lors d’une réception. 

Peu de temps après…

André a 43 ans et travaille comme informaticien pour plusieurs clients, parmi lesquels des cabinets d’avocats et des banques. Il est juif, mais non religieux, et ne mange pas casher. Il avait entendu parler de Sammy Ghozlan, mais n’avait jamais accordé d’attention particulière au BNVCA Comme tout le monde à Paris, il avait été pas mal secoué par l’attentat dans les bureaux de Charlie Hebdoet, le vendredi 9 janvier, sa petite amie et lui prirent la décision de ne pas sortir ce week-end là. L’Hyper Cacher est connu pour ses hors-d’œuvre – taboulé, houmous – préparés le jour même sur place. Quelques instants après être entrés dans le magasin pour acheter des hors-d’œuvre pour le week-end, ils ont entendu des coups de feu et se sont prévenus au sous-sol avec d’autres clients du magasin pour se cacher. Quelques minutes plus tard, un autre client est arrivé en courant et leur a dit : « Il va tous nous tuer si vous ne remontez pas ». André et sa petite amie sont remontés avec les autres et ont découvert les cadavres, du sang accidentellement sur le sol et un Coulibaly en colère : « Est-ce qu’il y a quelqu’un qui s’y connaît en informatique ici ? »

Pour André, l’africain au visage lisse était à l’évidence « un gars des banlieues ». Il eut le sentiment immédiat que Coulibaly avait une double personnalité. Il lui fit l’impression d’être à la fois un étudiant peu sûr de lui et un terroriste de date fraîche, comme s’il tirait ses connaissances du manuel de Daesh qui inspire des djihadistes en herbe, issus de milieux sociaux défavorisés, à se métamorphoser en monstres capables de décapitation. « Cela leur donne un sentiment de pouvoir », commente André. Il devenait clair pour André que, malgré tout son entraînement, Coulibaly ne possédait pas les compétences techniques nécessaires pour accomplir ce qui apparaissait comme une tâche essentielle : le téléchargement des images du carnage qu’il avait enregistrées avec sa caméra GoPro, le montrant en train de massacrer quatre personnes dans les premières minutes de l’attaque. « Il voulait pouvoir les diffuser immédiatement sur des sites djihadistes », a expliqué André. De manière tout aussi urgente, Coulibaly sera en mesure de naviguer sur internet pour regarder les actualités. « Ce qui était urgent, c’était que ses images étaient téléchargées pendant qu’il se trouvait dans le magasin, pour déclencher d’autres attentats dans Paris ».

Coulibaly s’était précipité à l’intérieur du magasin avec au moins une Kalachnikov, une mitraillette Scorpion, deux pistolets Tokarev, des couteaux, des munitions et un ordinateur portable couleur argent, avec des instructions expliquant comment télécharger ses images, et ce qu’ il devait dire aux médias. Mais ce qu’il n’avait pas apporté, c’était l’équipement lui permettant d’être connecté à internet sans Wifi. L’Hyper Cacher n’avait pas de Wifi. En outre, Coulibaly avait oublié d’emporter son chargeur, et son portable n’avait plus de batterie. Dans le bureau de l’épicerie, sa frustration augmentait. « Il voulait absolument se connecter », dit André. André se porte volontaire pour l’aider. Au cours des cinq heures qui suiventrent, André fit des allers-retours entre le bureau et le magasin tandis que Coulibaly oscillait entre rage et calme. À un moment, Coulibaly interrogea les otages et apprit qu’André n’avait jamais mis les pieds dans l’Hyper Cacher avant. « Waouh, c’est pas de chance », s’exclama Coulibaly.

André est un homme haché, aux mains délicates et aux grands yeux expressifs. Il est facile de comprendre pourquoi Coulibaly ne l’a pas trouvé menaçant. Sa taille, cependant, masque sa force physique et sa discipline. Le jour où nous nous sommes rencontrés, il portait des tennis en daim violet et une écharpe de soie grise enroulée autour du cou. Sa tâche initiale consista à connecter Coulibaly à Internet. « Tu es sûr de savoir ce que tu fais » ? lui demanda Coulibaly, tout en tournant autour de lui avec ses armes. « J’essayais simplement de me résumer », raconte André. « Je lui expliquais ce que je faisais au fur et à mesure. Je l’appelle toujours ‘monsieur’ et je m’adresse à lui en le vouvoyant, une façon de lui témoigner mon respect. Je voulais qu’il reste calme. Je savais qu’il avait déjà tué quatre personnes et j’en fis ma mission : personne d’autre ne mourra. Je lui ai dit : ‘On n’a pas besoin de Wifi. Je peux vous connecter à Internet.’ » André attrapa un câble de l’imprimante de l’Hyper Cacher, l’utilisa pour brancher l’ordinateur de Coulibaly sur la connexion Internet du magasin et ouvrit un navigateur Web. Il aurait pu utiliser une application qui n’aurait pas laissé d’empreinte – comme Tails, le choix d’Edward Snowden – mais un navigateur, comme le savait bien André, est facilement identifiable.

Très vite, Coulibaly eu accès aux trois chaînes d’information qu’il avait réclamées, France 24, Canal+ et BFMTV, le réseau d’information principal du pays, que Coulibaly était déterminé à contacter. André était toujours à ses côtés. « Mets-moi en contact avec le service des informations », lui ordonna Coulibaly, mais il contient son portable tourné de manière à empêcher André d’apercevoir directement l’écran. Ce que celui-ci a réussi à voir fut un ensemble d’instructions complexes que Coulibaly avait téléchargé et essayé de suivre. Finalement en ligne avec BFMTV, Coulibaly se lança dans une déclaration décousue à propos de sa mission pour venger le Prophète et tuer les juifs. Quand il raccroche, il continue à parler à André et, de temps en temps, aux autres dans le magasin. Il autorise les otages à déjeuner. « Je vais vous servir », lui dit André, ce qui mit Coulibaly en colère. « Je ne t’ai pas donné cet ordre », rétorqua Coulibaly.

Les autorités suivent une partie des paroles prononcées par Coulibaly ce jour-là lorsqu’elles réussissent à intercepter un téléphone Samsung Galaxy que Coulibaly avait emprunté à l’un des clients, mais beaucoup ont été perdus. À André, il admet qu’il avait tué la policière à Montrouge et qu’il opérait en collaboration avec Cherif et Said Kouachi, les frères responsables du massacre à Charlie Hebdo.« Il m’a dit : ‘Il y a beaucoup de gens comme moi qui se prépare maintenant dans les pays arabes.’ Il m’a déclaré, à moi et aux autres aussi : ‘Je suis pas fou. On comprend le Coran. On comprend le bien et la voie à suivre.’ » André a trouvé que Coulibaly employait un français peu évolué, dépourvu de subjonctifs. Pourtant, au téléphone avec les médias français, il se mit à parler un français plus soutenu, comme s’il avait répété un discours plus formel.

Ce qu’André ne révélait jamais à Coulibaly était qu’en fait, au début de sa carrière, il avait enseigné dans une banlieue sensible. « La France était différente à l’époque », me dit-il. « Dans les années 90 nous n’avions pas de problèmes. J’avais des élèves qui me rappelaient Coulibaly. Ils fonctionnaient en dehors du système. Nous étions formés pour travailler avec eux. » La première étape, explique-t-il, consistait à toujours leur témoigner notre respect. « Je savais les écouter et ne pas discuter avec eux. Je ne les tutoyais pas. Pas avant qu’ils commencent, eux, à me tutoyer ».

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L’imam progressiste, Hassen Chalghoumi, s’adressant aux fidèles à la synagogue de Sarcelles à l’occasion d’un service œcuménique, Sarcelles, France, 21 juillet 2014. Aurélien Meunier/Getty Images.

André ne raconta pas à Coulibaly un autre fait essentiel de sa vie : au nombre de ses clients, il en comptait qui avaient leurs entrées dans des ambassades étrangères. la chambre froide Depuis au sous-sol de l’Hyper Cacher, il avait envoyé des textos à ses contacts. La section anti-terroriste a gardé son téléphone, m’a-t-il dit, mais André a recomposé une version de ses messages : « Très urgent. Attentat terroriste à Hyper Cacher. Déjà des morts ». Il remarque qu’il n’avait que deux barres sur son Samsung Galaxy et avait peur que le message ne passe pas. Il en envoya rapidement un autre : « Suis en bas dans chambre froide ». Et encore un autre : « Suis à Hyper Cacher Porte Vincennes. Quelqu’un avec arme et déjà des morts ».

Plusieurs fois cet après-midi là, Coulibaly, finalement calme, demanda à André : « Tu comprends pourquoi je fais ça ? Tu comprends pourquoi je suis là ? Je suis là parce que le Prophète m’a donné un ordre. Je suis là pour empêcher la guerre dans les pays arabes ».

« Je lui ai répondu : ‘Je comprends ce que vous dites’. J’ai pris un ton neutre, comme un prof. Je voulais qu’il me regarde dans les yeux et qu’il voie que je n’étais pas en colère. J’ai ajouté : ‘Je suis là et je vais essayer de vous aider’. » André pense qu’il espère partager un peu de sa conviction ou peut-être entendre ce mot qui en français marque la connivence : « Exactement » !

En revivant la scène, André se met à trembler légèrement. Il consulte un psychologue depuis janvier, comme sa petite amie, qui ne peut toujours pas prendre le métro. Il a peur d’être reconnu et craint pour sa vie. « Il disait sans cesse : ‘Je ne suis pas responsable. Je dois le faire. Ça n’a rien de personnel. Il voulait que je reconnaisse son point de vue d’une manière ou d’une autre. Et ce qui l’avait conduit à devoir faire ça. Il avait besoin d’être entendu ».

Au revoir, Paris

La question la plus juive dérangeante au sein de la communauté française est en même temps la plus évidente : « Est-il temps de partir » ?

J’ai posé la question à Roger Cukierman, le président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, ou CRIF, le groupe qui chapeaute les organisations juives séculaires de France. Je m’attendais à ce qu’il esquive la question, mais, en guise de réponse, il s’est mis à passer en revue certaines des horreurs qui se sont abattues sur les juifs d’Europe au cours de la dernière décennie : l ‘affaire Ilan Halimi, un vendeur de téléphones portables kidnappé, brutalement torturé et tué dans une banlieue de Paris par un gang en 2006, parce qu’il était juif ; l’assassinat, en 2012, de trois petits enfants et d’un adulte, tués à bout portant à l’école Ozar Hatorah, à Toulouse, par Mohamed Merah ; le massacre de 2014 au musée juif de Bruxelles ; l’attentat mortel à la synagogue de Copenhague en février de cette année. En mars dernier,New York Post , en tenue de camouflage de Daesh, en train de prononcer une condamnation à mort, tandis qu’un garçon pré-pubère à côté de lui appuyait sur la gâchette lors d’une exécution filmée de l’arabe renvoyée de 19 ans , Mohammed Musalam. Et puis il ya les émeutes. Comme Cukierman l’a déclaré au Telegraph l’été dernier : « Ils ne crient pas : ‘Mort aux Israéliens’ dans les rues de Paris. Ils crient : ‘Mort aux juifs’ ».

Pour mieux comprendre pourquoi Ghozlan a décidé de partir, j’ai décidé d’aller rendre visite à son ami et collègue, Yossi Malka, homme d’affaires à la retraite qui travaille pour le BNVCA Malka m’a retrouvée à la station de Stains , une banlieue du Neuf Trois. Si l’on ne savait pas où l’on se trouvait, on aurait pu se croire dans le Bronx. Ce sont les mêmes grands ensembles gris, la lessive en train de sécher sur les balcons.

Malka portait une veste en cuir usée, une cravate chic et un borsalino – ce qui pour moi est l’uniforme des banlieues – et m’a conduite à Sarcelles, une ville à 20 minutes de distance qui fait partie de ce qu’on appelle la Ceinture rouge, un ensemble de villes de banlieue qui ont été dirigées par des maires historiques communistes ou socialistes, mais qui aujourd’hui cèdent de plus en plus de terrain au Front National. « Ce n’est pas le Paris de Woody Allen », remarque Malka tandis que nous nous approchons d’une petite synagogue bénéficiant d’immeubles peu élevés couronnés d’antennes satellites. « Ce Paris-là n’existe plus ».

Sarcelles, en bordure du Neuf Trois, est parsemé de petites maisons, de centres commerciaux, de grands ensembles et de marchés, et représente le premier arrêt pour les marocains, algériens et tunisiens de la classe moyenne qui, comme la famille de Ghozlan, ont immigré en France dans les années 60. Pendant des décennies, c’était une zone tranquille, mélange vibrant de citoyens français et d’immigrés, cherchant tous à se frayer un chemin dans un pays qui se souciait peu de leurs identités spécifiques.

« Bienvenue à la synagogue la plus menacée de France », me dit Malka tandis que nous pénétrons dans une petite allée à Garges-lès-Gonesse, une ville de banlieue proche de Sarcelles. « Regardez-moi ça », s’exclame-t-il en pointant le doigt à travers le pare-brise. « Toute la journée, ils lancent des choses – des melons, des ordures, des pierres, des bouteilles ». Une grosse camionnette de la section anti-terroriste, Vigipirate, est garée à l’extérieur.

A Garges, en juillet dernier, une semaine après les échauffourées de la rue de la Roquette, dans un abribus, une imposante affiche publicitaire pour des sucettes avait été recouverte d’un long graffiti :

PALESTINE VIVRA, PALESTINE VIVRA.

MANIFESTATION:

GARE GARGES-SARCELLES, DIMANCHE 20 JUILLET 2014.

VENEZ NOMBREUX !

DESCENTE AU QUARTIER JUIFS À SARCELLES.

VENEZ ÉQUIPÉ : MORTIER, EXTINCTE[UR], MATRAQUE.

Les autorités françaises intervinrent et les manifestations pro-palestiniennes envisageaient pour le week-end, qui promettaient clairement une nouvelle vague de violences antisémites, étaient interdites. Mais rien n’est en forme. Le samedi 19 juillet, des milliers de manifestants sont apparurent dans et autour de Paris, brûlant des voitures, attaquant des bus. A quatorze heures le lendemain, une foule de plusieurs centaines de personnes se massa dans l’étroite rue près de la synagogue de Garges, et les premières pierres firent voler en éclats la fenêtre ornée d’une étoile de David. Des marteaux s’en prient au cadenas de la porte ; les marques étaient toujours visibles lors de ma visite en mars. La police refuse d’intercéder. Ghozlan fut averti immédiatement, mais parvenait à peine à entendre ce qu’on lui disait, par-dessus ce qui était devenu le cri de rassemblement habituel : « MORT AUX JUIFS ! » Leur destination suivante : le centre commercial de Sarcelles et sa grande synagogue, deux pâtés de maison plus loin, un autre arrêt sur la sinistre route de Malka.

Ghozlan envoya un texte collectif : « Urgence à Sarcelles. Magasins attaqués. Synagogue aux mains des manifestants. La police ne va pas à Sarcelles ». Dans l’heure, une pharmacie était en flammes. Puis des centaines de manifestants traversèrent en courant la place centrale en direction d’un marché juif, et celui-ci aussi partit en flammes. Puis en direction de la synagogue. Ghozlan textait furieusement tous les membres de la Ligue de Défense Juive des environs pour qu’ils se rendent à la synagogue et la permettent, tout en conseillant à la population générale d’ « éviter Sarcelles ».

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Un militaire français posté devant une synagogue à Lille, France, 12 janvier 2015. PhotoPQR/Voix du Nord/Newscom.

Des informations télévisées montraient la police se tenant immobile et passive pendant près de deux heures, avant que les renforts n’arrivent avec des gaz lacrymogènes. (La veille, la police avait déjà utilisé des gaz lacrymogènes et arrêté 38 personnes). Avec l’aide de la Ligue, ils parvinrent à repousser les manifestants. Plus tard, les policiers ont déclaré qu’ils attendaient de recevoir l’autorisation : la police française des instructions strictes de ne pas intervenir sans menaces de violences réelles. Quand les jeunes de la synagogue sortent, ils se mirent à entonner « La Marseillaise » pour remercier la police de les avoir sauvés. Dans la foule, Malka aperçut plusieurs officiers de police en train de pleurer. « Ces choses ne devraient plus se passer en France », déclare l’un d’entre eux à Malka. Plus tôt cet après-midi là,

Quand j’interrogeai Ghozlan sur cette journée, ses yeux se remplissent de larmes. « J’ai revécu mon enfance. En Algérie, les français disaient qu’ils nous protégeraient. Et puis les foules sont arrivées et ont mis le feu aux entreprises juives et nous avons dû nous enfuir ».

Les premières choses que Ghozlan a emportées avec lui en novembre dernier sont ses instruments de musique – deux violons et un piano. Puis il a trié des centaines de lettres et de photos de famille. Il a expédié une commode Louis XVI et un bureau, mais a laissé la plupart des autres meubles aux locataires, une famille d’immigrés qui a été la première à répondre à l’annonce pour la maison de l’Avenue Barbusse au Blanc-Mesnil que Ghozlan avait fait construire dans les années 70. Aujourd’hui, ses voisins juifs sont presque tous partis ; deux-tiers des membres de sa synagogue, plus bas dans la rue, ont déménagé. Ses trois filles se sont déjà installées en Israël.

Ce qui a surpris de nombreuses personnes, c’est la détermination de Ghozlan à émigrer. Il a résisté aux tentatives de dissuasion de son ami et voisin, Hassen Chalghoumi, l’imam de Drancy, originaire de Tunisie, qui s’est installé dans cette ville de banlieue voisine du Blanc-Mesnil en 1996. Il a été un allié de Ghozlan pour la plus grande partie de la décennie passée, participant aux joyeux dîners de Shabbat de ce dernier, et invitant Ghozlan à des déjeuners à sa mosquée. « Je lui ai répété des centaines de fois : ‘Tu ne peux pas partir’ », m’a dit Chalghoumi. « Sammy refusait de discuter ».

Chalghoumi est grand et imposant, faisant preuve d’une certaine exubérance de caractère. « Le monde a changé le 11 septembre », m’explique-t-il. « A l’aéroport, on me demande souvent de sortir de la file d’attente ». Mais l’imam réagit de façon virulente quand je mentionne le mot « islamophobie ». « Je n’utilise pas ce mot », me dit-il. « Cela met trop en avant un aspect de victimisation ».

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Le terroriste Amedy Coulibaly, sur un cliché tiré d’une vidéo enregistrée par lui avant l’attaque à l’Hyper Cacher.

Chalghoumi prononça un discours au Mémorial de la Shoah à Drancy en 2006. Peu de temps après, sa maison fut vandalisée, et ce qui était à l’intérieur endommagé ou détruit. Lors d’un office en 2009, Chalghoumi parle de la nécessité de respecter les juifs et leur culture multi-centenaire. Le lendemain, environ 200 protestataires se sont réunis à l’extérieur de sa mosquée, prenant à partie toutes les personnes qui ont voulu y entrer. De nombreux manifestants brandissaient des panneaux : LA MARIONNETTE DES JUIFS. En compagnie de membres d’une organisation juive, il se rendit en Israël avec 20 autres imams en 2012. À son retour, une foule de protestataires l’attendaient à l’aéroport. En 2013, alors qu’il se trouva en Tunisie avec sa famille, il se fit agresser près d’une mosquée. Ses filles étaient avec lui et ne s’en sont pas encore remises.

J’ai retrouvé Chalghoumi dans une chambre d’un hôtel Hilton qui lui avait été fourni, me dit-il, par des « amis juifs » — les propriétaires de l’hôtel. Il était accompagné de trois gardes du corps. Il avait ensuite rendez-vous avec le Grand Rabbin de Bruxelles et, bientôt, me dit Chalghoumi, il devait retourner en Israël. Son téléphone sonne aussi souvent que celui de Ghozlan. L’un des appels ce jour-là l’information que le gouvernement français se prépare à fermer plusieurs sites web islamistes prônant le terrorisme. « Bravo », s’exclama-t-il. « C’est un début ».

Il sort son iPhone et me montre des dizaines de sites racistes, dont de nombreux qui le désignaient comme cible. Soudain, j’entends des cris. Les images sur l’écran étaient celles de manifestants massés contre lui à Drancy. Le problème en France, pense Chalghoumi, « est le financement étranger des mosquées, où les imams viennent souvent d’Arabie saoudite ou du Qatar. Pourquoi le gouvernement n’arrête-t-il pas la chose ? Personne ne surveille ce qui se passe. Tous les imams ici devraient être formés en France ».

Quand Ghozlan était à l’hôpital, Chalghoumi vint lui rendre visite – le seul de ses amis, me dit plus tard Ghozlan, qui fit l’effort. L’imam pense toujours avoir une chance de convaincre son ami de revenir à Paris. « Je ne renonce pas », me dit-il. « Je vais le faire changer d’avis ».

Pendant toute la seconde partie de l’année 2014, Ghozlan et le BNVCA se trouvèrent en suractivité, publiant une masse de nouveaux comptes-rendus : des pancartes dans le Neuf Trois qui proclamaient : HITLER AVAIT RAISON ; un élève juif de 16 ans hospitalisé après avoir été violemment agressé par quatre africains ; des groupes faisant le salut nazi au mémorial de la Shoah ; le cambriolage et la viole à Créteil. Un nouveau classeur blanc doit être produit.

Le jour de Noël, Ghozlan apprit qu’un pistolet à air comprimé avait détonné dans un fast-food juif du 19e arrondissement, juste quelques jours après une attaque similaire contre une synagogue. Puis, le lendemain, la même chose, dans une synagogue non loin, et une imprimerie. Ghozlan insista pour publier un communiqué de presse. Puis il lança l’alerte prédisant de nouvelles attaques contre des magasins juifs, 12 avant que Coulibaly n’entre dans l’Hyper Cacher.

Ce jour de janvier, le PDG d’une société du secteur du luxe qui avait assisté à la dégradation de Marianne par une croix gammée au mois de juillet précédent, a reçu un coup de téléphone hystérique de sa fille. Elle avait appris sur Facebook que l’un des cousins ​​de son père était enfermé dans le magasin. Son père s’est déjà avéré dans un parking près des Champs-Elysées, en train d’enfourcher sa moto pour essayer de franchir les barrages de policiers à la Porte de Vincennes.

A l’intérieur du bureau de l’Hyper Cacher, Coulibaly voulait à tout prix contacter la police. Il exigea qu’André compose le numéro. Coulibaly entendit le message enregistré : « Si vous voulez joindre ce bureau, composez le 1. Si vous voulez joindre cet autre bureau, composez le 2 », me dit André. « Coulibaly s’emporta : ‘Quelle merde. Rien ne marche dans ce pays’ ». Il avait réussi à joindre la télévision française, mais il n’était pas au bout de ses peines. Il voulait télécharger ses images de GoPro mais, m’expliqua André, « son logiciel était un très vieux Adobe Flash Player. Peut-être que si le Flash Player avait fonctionné, je n’aurais jamais été dans ce bureau tout ce temps. À un moment, il nous a tous demandé nos noms et notre religion. Et ce que nous faisons dans la vie. J’ai dit : ‘Je suis bricoleur. C’est pour ça que je m’y connais en informatique. À ce moment-là, il a saisi son arme et il a commencé à la charger. J’ai pensé, ‘C’est la fin’ ».

Dans l’Hyper Cacher cet après-midi là, André vit que le téléchargement de Coulibaly de ses sept minutes de carnage avait appelé, bloqué à 87 pour cent. Puis il entend des bruits qui produit de l’extérieur. Sa petite amie et lui se cachèrent sous le comptoir de la caisse. Coulibaly était allé dans un coin du magasin pour prier. Quand la brigade anti-terroriste mitrailla le magasin, Coulibaly mourut instantanément. Tandis qu’André et les autres otages, y compris le cousin du PDG de la société de luxe, se précipitaient à l’extérieur, sur leur dit : « Ne regarde pas sur le côté ». Dans la confusion, André ne remarque pas le corps sans vie de Coulibaly près des caisses.

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L’Hyper Cacher dans l’est de Paris, 16 janvier 2015.

Nicolas Comte, président du syndicat Unité SGP de la police, s’est révélé dans la foule à l’extérieur de l’Hyper Cacher. Massif, il ressemble à un présentateur télé et est le visage de la police française. Lorsqu’il s’exprima, il mentionna que les problèmes de la communauté juive lui paraissaient cruciaux. « Pourquoi ? » lui demandai-je. Il hésite. « Je ne le dis pas à beaucoup de gens, mais ma femme est juive, et mes enfants aussi ». Comte est catholique. Il n’avait rencontré Sammy Ghozlan qu’une seule fois, lorsqu’il s’était rendu dans la synagogue de ses beaux-parents au Blanc-Mesnil. « Je ne le connaissais que de réputation. Pour moi c’est un héros », me confia Comte.

Comme beaucoup d’autres personnes dans sa situation, Comte vit maintenant « une sorte de double vie » en France, comme il le dit. « J’ai expliqué à mes enfants : ‘Ne confiez à personne que vous êtes juifs. C’est une affaire privée’. Mais mon plus jeune fils, qui a récemment fait sa Bar Mitzvah, insiste pour porter une petite étoile de David. Je lui ai fait part de mes inquiétudes. Je l’avertis : “Il faut que tu fasses attention”. Maintenant, quand je vais à la synagogue, je prends un pistolet avec moi que je mets dans la poche de mon manteau pour que personne ne la voie. On en est là ».

Peu de temps après l’attentat contre l’Hyper Cacher, des représentants du Ministère de l’intérieur se rendirent Avenue Henri Barbusse, au Blanc-Mesnil. Ils étaient venus prévenir Ghozlan qu’il aurait dorénavant un garde du corps posté devant sa maison à toute heure du jour et de la nuit. Les locataires de Ghozlan les informèrent : « M. Ghozlan a quitté la France », et leur transmirent sa nouvelle adresse en Israël.

© Marie Brenner

https://www.vanityfair.com/news/2015/07/paris-en-flammes

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Marie Brenner est rédactrice en chef à Vanity Fair.

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