Discours prononcé à l’occasion de la 31ème Journée du Livre Politique, à l’Assemblée nationale, le 12 février 2022
En ce premier quart du XXIe siècle, les mouvements de l’histoire ramènent notre vie politique à l’authentique. Il est possible que nous ne parvenions pas à prendre la mesure du tournant qui s’opère, trop absorbés que nous sommes par le désir de ne pas rompre le cours tranquille de nos existences, cette existence que l’on mène dans des nations libres, pacifiées et prospères depuis si longtemps que l’on finit par confondre ce « depuis si longtemps », qui n’aura duré qu’une vie humaine, avec un « pour toujours ». L’idée que la liberté nous est donnée pour toujours résulte de l’habitude que nous avons prise d’en jouir. Cette idée est une illusion propre aux sociétés jouissant de la liberté. On ne s’habitue pas à la tyrannie, mais on s’habitue à la liberté, et c’est d’abord pour cela que celle-ci est précaire.
Nous avons d’ores et déjà quitté ce monde engendré par le dénouement de la Seconde Guerre mondiale, quand s’ouvrait alors un cycle de transition démocratique qui aura duré jusqu’aux premières années du XXIe siècle. Or, nous entrons dans une nouvelle grande séquence de l’histoire. Depuis une vingtaine d’années, on observe un processus inverse, semblable à un nouveau cycle, mais, cette fois, un cycle de transition autoritaire. Et la régression n’épargne pas les ensembles démocratiques qui paraissaient pourtant plus solides. En témoignent des gouvernements et des partis politiques, au sein de l’Union européenne, qui remettent en cause l’État de droit, assumant vouloir détacher l’idée démocratique de l’idée de liberté, en se revendiquant de la « démocratie illibérale » souvent présentée sous les traits d’un « souverainisme ».
De nouveau, les États totalitaires s’engagent contre nos libertés
Notre fragilisation ne passe pas inaperçue. Des tensions nouvelles apparaissent avec les régimes autoritaires. Elles ne sont pas sans rappeler la guerre froide, puisque ces puissances récusent un modèle politique fondé sur l’entrelacement des libertés individuelles et des libertés collectives. Peut-être la guerre entre les États totalitaires et les États démocratiques n’aura-t-elle pas lieu, ou pas maintenant. Peut-être a-t-elle déjà commencé. Mais, en politique, les recours à la guerre, à la violence, sont des formes de l’authentique, l’ultima ratio. L’épreuve de vérité. Or la tyrannie ne manque jamais de détermination pour combattre la liberté, tandis que la liberté se montre souvent hésitante lorsqu’il s’agit de combattre la tyrannie.
La crise qui s’ouvre est nouvelle, et il existe au moins une grande différence avec la guerre froide. La plupart des régimes autoritaires ne rejettent pas l’économie capitaliste, surtout pas la globalisation. La nouvelle économie et ses innovations non seulement ne déstabilisent plus les régimes hostiles aux libertés mais elles les enrichissent et les renforcent. Le meilleur exemple nous est fourni par la Chine, dont la montée en puissance a été accélérée par son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001.
N’en doutons pas, ces États autoritaires sont convaincus qu’une page se tourne, que le temps est venu désormais pour eux de mettre la main sur le monde, que le cycle historique de la liberté approche de son terme. Les tyrans sont pressés d’en finir avec le monde libre dont la présence est un défi à la pérennité de leur modèle. En témoigne la nécessité qu’ils éprouvent d’emprunter le qualificatif « démocratique » pour qualifier leur système. C’est ainsi que la Chine de Xi Jin Ping prétend accomplir la démocratie dans la construction d’une « démocratie socialiste aux caractéristiques chinoises » que Pékin oppose à la « démocratie à l’américaine ». De plus, en qualifiant son modèle de « démocratie globale », la Chine n’en vante pas seulement l’efficacité pour les Chinois, elle ambitionne explicitement d’en faire un modèle pour le monde. Les tyrans sont pressés d’en finir avec la liberté car elle menace de se propager chez eux, comme l’une des conséquences de leur enrichissement par la globalisation, et dans l’avènement de classes moyennes éduquées, bientôt en quête d’émancipation.
« L’islamisme est un fascisme »
« L’islamisme est un fascisme. Il faut le combattre pied à pied », affirmait avec force le candidat du Parti communiste à l’élection présidentielle Fabien Roussel, le 26 janvier 2022. En effet, voilà deux décennies, depuis le 11 septembre 2001, que l’islamisme est en guerre ouverte contre nos libertés, contre la liberté d’opinion et la liberté de la presse, contre l’égalité entre les hommes et les femmes, contre la liberté de choisir qui l’on est ou qui l’on veut aimer. Au pays de la liberté, Mila est toujours privée de libertés. Au pays de l’égalité, Mila est toujours recluse. Au pays de la fraternité, Mila est toujours menacée de décapitation. Un nombre, en constante augmentation, de nos compatriotes sont placés sous protection policière, parce qu’écrivains, parce que journalistes, parce qu’avocats, élus, universitaires, parce que Juifs, parce que musulmans en lutte contre l’islamisme, tous pour avoir exprimé leurs opinions, pour avoir fait leur travail, leur devoir, pour avoir exercé leurs libertés. Et les Juifs parce que Juifs. Mesure-t-on vraiment que, depuis février 2006, onze Français ont été assassinés parce que juifs, et tous victimes de meurtriers de confession musulmane ? Ilan Halimi, le 13 février 2006, Gabriel Sandler, 3 ans, Arié Sandler, 6 ans, leur père Jonathan Sandler et Myriam Monsénégo, 8 ans, le 19 mars 2012, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada, le 9 janvier 2015, Sarah Halimi, le 4 avril 2017, Mireille Knoll, le 23 mars 2018. En mars 2022, la France commémorera les dix ans des massacres perpétrés par Mohammed Merah. Sommes-nous disposés à prendre la mesure de cette décennie qui aura vu, en France, 55 attentats islamistes coûter la vie à 298 personnes ?
En une dialectique redoutable, les ennemis de la liberté, violemment opposés les uns aux autres, se confortent mutuellement. Dix ans qui auront vu la suspicion et les amalgames peser lourdement sur l’ensemble des musulmans. Une décennie au profit de la surveillance, des règles d’exception adoptées dans l’urgence, mais dont l’inscription dans le droit commun demeure une tentation qui saisit tout pouvoir, même démocratique, autant qu’un désir qui s’empare de tout peuple, même épris de liberté. Oui, le conflit des identités et des religions, le populisme, l’autoritarisme, le racisme et l’antisémitisme n’ont jamais autant parcouru nos sociétés démocratiques que depuis les années 1930.
La numérisation, une nouvelle menace pour nos libertés
Mais nos libertés sont encore mises au défi par le surgissement d’un espace public numérique et transnational. Cette fois, la cause du bouleversement ne vient pas d’un pays extérieur au monde démocratique, elle ne vient pas d’une puissance étrangère, ni même d’un pays hostile aux valeurs libérales. Au contraire, il s’agit d’innovations technologiques remarquables développées par des entreprises dont les performances résultent précisément de l’usage des libertés : ce sont les Big Tech companies. Pourtant, si elles font progresser extraordinairement l’intégration du plus grand nombre dans l’espace médiatique, les plateformes numériques ont acquis un pouvoir éminemment problématique. Que deviennent nos libertés si les législations émanant d’assemblées élues sont impuissantes à les réguler et incapables de les garantir ? Que deviennent les démocraties si la protection institutionnelle des libertés passe silencieusement des parlements, élus et pluralistes, aux mains de ces entreprises non nationales occupant une position monopolistique ? Il devient difficile de ne pas reconnaître en elles une expression contemporaine de ce « despotisme doux » dont Tocqueville redoutait l’avènement.
Le monde n’est pas seulement globalisé. Il est aussi désormais digitalisé. Si le code est le nouveau matériau avec lequel se tracent les frontières, les limites, s’aménagent les espaces et se construisent les institutions et les systèmes, alors comment dire avec certitude quel est notre régime politique ? Où se situent ces pays dans lesquels on vit libres si leurs frontières sont constituées de code et qu’il ne nous est pas permis de le connaître ? Si nous vivons dans le code et si nous ne sommes pas les artisans et les propriétaires du code, où vivons-nous, sous quelle loi ? Depuis quelle souveraineté pouvons-nous encore assurer nos libertés ?
Une partie de l’université désire la censure
Et que dire du risque, dont nous pouvons palper la réalité, que la liberté d’opinion ne soit plus épargnée là où elle doit être sanctuarisée, c’est-à-dire à l’université ? L’université qui a la charge de préparer les générations qui porteront, défendront et déploieront la liberté dans le monde de demain. Qui, sinon l’université ? Inévitablement, le déclin de la liberté académique menacerait tout l’édifice de nos libertés. L’université perdrait sa raison d’être si elle ne réagissait pas contre la spirale mortifère de l’intolérance, de la censure, et bientôt de la violence. Le combat contre les inégalités injustifiées, les luttes contre les discriminations ont toujours été des causes indissociables de l’exigence de liberté. Aujourd’hui, dans un retournement d’un cynisme vertigineux, c’est au nom de ces mêmes causes que des minorités hyperactives prétendent vouloir réduire nos libertés.
L’écologisme doit défendre la démocratie représentative
On ne peut ignorer l’enjeu du réchauffement climatique. On sait que l’efficacité de la mobilisation contre le réchauffement climatique est d’autant plus grande que le régime est plus démocratique, par la pression que les gouvernés exercent sur leurs gouvernants. Le succès de la lutte contre le réchauffement climatique sera donc non seulement fonction de la pérennisation du modèle démocratique mais aussi de sa diffusion planétaire. Défendre la liberté dans le monde, c’est défendre le climat.
Cependant, la lutte contre le réchauffement climatique ne peut devenir impérative au point de risquer nos libertés. On relève déjà, dans certains textes de l’écologisme, l’apparition et le développement d’une idée de gouvernement qui, au nom de l’impératif climatique, n’hésite plus à envisager de limiter le rôle de l’élection dans la décision publique, au motif que les électeurs ne seraient pas suffisamment disposés aux efforts contenus dans des programmes écologistes plus pressants. Le climat ne peut pas être plus important que la liberté. Il est absurde, irresponsable, contradictoire ou inacceptable de prétendre placer le climat au-dessus de la liberté. L’élection et le suffrage universel sont autant des expressions que des réalisations de nos libertés individuelles et collectives.
Il faut à nouveau défendre la liberté
Œuvrons à la croissance économique, à l’innovation scientifique et technique. Garantissons et déployons les ressources et les richesses par lesquelles nous répondrons aux exigences de progrès social et humain. Le monde démocratique doit renouer avec l’ambition de la puissance, y compris de sa puissance militaire, afin de garantir sa sécurité dans un monde peuplé d’États plus dangereux et qui, à l’évidence, nous jugent plus faibles. Menons la lutte contre l’ignorance et la lutte contre la désinformation. Il n’y aura pas de régime démocratique si nous ne sommes plus capables d’assurer au plus grand nombre l’éducation et l’information que requiert l’exercice de la liberté.
Enfin, il faut dire que le goût de la liberté n’est pas européen, qu’il n’est pas occidental. Il est le propre de l’humanité. C’est d’ailleurs pourquoi il faut tant d’artifices, tant de violence, tant de dogmes, politiques et religieux, pour empêcher l’humanité d’accéder à sa condition. Les autocrates savent, et parfois mieux que nous, combien est puissante l’aspiration humaine à la liberté. Eux redoutent la liberté plus que tout. Nous, nous en jouissons, encore et malgré tout. Et s’il faut réapprendre à défendre nos libertés, s’il faut réapprendre à se battre pour la liberté, c’est certainement pour la transmettre aux générations futures, mais c’est aussi pour que puisse y accéder la part immense de l’humanité qui y aspire aujourd’hui, souvent dans la crainte et en secret, et qui a tout autant que nous le droit de vivre libre.
© Dominique Reynié
Fondapol
Née en 2004, la Fondation pour l’innovation politique contribue au pluralisme de la pensée et au renouvellement du débat public. Elle s’inscrit dans une perspective libérale, progressiste et européenne.
Lieu d’expertise, de réflexion et de débat, la Fondation s’attache à décrire et à comprendre la société française et européenne en devenir.
Analyse en grande partie inepte. La désinformation vient à 95% des principaux médias y compris ceux (C dans l’air) auxquels participe Reynié qui a toujours fait de la propagande européiste. En ce qui concerne l’islamisme il fait partie des gens pas très futés qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes…
C’est pas faux ! Pour poursuivre, il faut tout de même regarder la Une (https://www.franc-tireur.fr/grand-remplacement-autopsie-dun-fantasme) du média Franc Tireur de M. Christophe Barbier, éternel habitué de C’est dans l’air, où l’on voit un membre du Klu Klux Klan dont le sourire est un Z. C’est vraiment de l’artillerie de pacotille … que dénonçait courageusement Laure Mandeville dans cette même émission.