Quand un musulman dénonce l’islamisme, il passe pour un traître. Que de lâcheté devant tant de courage !
Pourquoi les musulmans de France sont-ils encore peu nombreux à faire front contre l’islamisme en France ? La question est taboue et provoque la grimace : “Pourquoi est-ce à moi de démontrer ma francité ?” dit-on. C’est-à-dire, pourquoi l’assignation à la confession là où je suis dans la citoyenneté naturelle ?
Le “front” du refus de se justifier glisse vers le front du silence à chaque grande démonstration de force de ce fascisme qui sait faire le buzz, le mort et le tueur. Le dernier épisode est celui de la fameuse émission de télévision sur Roubaix et ce qu’il en coûte à sa présentatrice et à un acteur associatif de ce quartier. Pour ce dernier, le procès est encore plus virulent et la condamnation à la mort, virtuelle pour le moment, plus radicale. Et pour quelle raison, aux yeux des juges assassins ? La trahison. De quoi ? De l’appartenance, de la communauté, de l’origine sublimée, de la mémoire, de la guerre décoloniale imaginaire… En France, qu’un “musulman” de croyance ou de culture dénonce l’islamisme est synonyme de grande solitude. On se retrouve entouré de gardes du corps plus que de ferveur et d’encouragement des “siens”, soumis à la quarantaine communautaire et discrètement disgracié.
“Dénoncer l’islamisme, c’est dénoncer l’islam”, a-t-on fini par faire croire. Équivalence fausse mais accréditée par les islamistes, forts d’une chaîne de propagande et de culpabilisation très efficace. Ensuite, dénoncer et s’opposer ouvertement à l’islamisme, c’est prendre le parti de la France et donc trahir une appartenance. Par un surréaliste raisonnement rétrospectif, on veut que la guerre de décolonisation ne soit pas encore finie et que défendre la citoyenneté française soit toujours signe de ralliement à l’ennemi. Séquence inconsciente, travaillée durement et ouvertement par le discours islamiste, confortée “intellectuellement” par les radicaux du décolonial permanent et de la culpabilité excitante. On y réitère un récit communautaire permanent et très conditionnant. Donc le héros qui dénonce l’islamisme est un traître, il est perçu à travers un jugement d’exclusion pour courtisanerie intéressée auprès de l’ennemi. On confond, par l’absurde, la revendication d’une citoyenneté entière et pleine pour le musulman avec la difficulté de l’obtenir. L’exclu n’étant pas français à parts égales, on lui «vend» l’identité religieuse comme identité refuge.
Braver la peur. L’autre faux-fuyant plus élaboré est celui qui oppose à l’obligation de dénoncer l’islamisme l’argument que c’est une forme d’autostigmatisation. Pourquoi est-ce à moi de le faire parmi tant d’autres ? Ne suis-je pas suffisamment français, justement, pour devoir le prouver encore ? Réponse : non. Une citoyenneté, si elle n’a pas à être démontrée, se doit d’être défendue comme un acquis, et l’islamisme en acte la menace. Il ne s’agit pas de prouver qu’on est bon musulman, mais de défendre une république qui le permette et permette son contraire. L’islamisme, s’il se nourrit de ralliement, se nourrit aussi de passivité.
“Il faut dire à voix plus haute que l’islamisme est un fascisme, non une identité ni une confession.”
Les choses changent-elles tout de même ? Oui, on le voit. On ose parler et témoigner à visage découvert comme le fit Amine Elbahi à Roubaix après Zone interdite. On ose signer, pétitionner, affirmer une distance, mais il faut encore et encore faire plus : dire à voix plus haute que l’islamisme est un fascisme, non une identité ni une confession. Oser contester ouvertement le récit communautaire, la clause de silence et de consentement au nom de l’appartenance. Dire “Non, je suis français” ou “J’aime ce pays qui m’accueille et je le défendrai ouvertement” et ainsi braver la peur, la lâcheté.
Habillée de mille arguments, cette clause reste ce qu’elle est : un manque de courage. Ceux qui prétextent le droit à l’islam sans rien dire sur l’islamisme de quartier ou international seront un jour sommés d’être plus musulmans que ce qu’ils sont et, là, ils le paieront.
Ceux qui, musulmans de croyance ou de culture, dénoncent la prise en otage islamiste de quartiers français sont des héros, et c’est tout le malheur : ils devraient être le commun, l’habituel, le généralisé.
© Kamel Daoud
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