Les Occidentaux restent prudents quant à la désescalade russe
Où que l’on regarde les rapports de force entre puissances mondiales, on ne peut qu’observer une inquiétante fuite en avant vers le pire. Analyses.
Serait-il déjà minuit moins le quart dans le siècle qui vient à peine de commencer ? Le siècle précédent avait déjà joué en 1956 à Budapest puis en 1968 à Prague ce que Vladimir Poutine tente de rejouer en Ukraine. C’était au temps de l’URSS. Comment peut-on imaginer de nouveau un scénario pareil aujourd’hui ? Faut-il retourner plus loin en arrière pour prendre la mesure des projets de reconquête au nom du passé impérial, de la parenté de langue, de culture, de religion ?
Les marches de l’Empire, une approche anachronique ?
Du règne des tsars à celui des soviets, l’Ukraine s’est toujours située aux marches de l’Empire. Comment un homme aussi roué que Poutine peut-il considérer que l’ordre géopolitique la Russie des tsars puis celui de l’URSS serait toujours d’actualité, près de trente ans après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’empire soviétique, alors que, mondialisation oblige, l’internet, les gazoducs, les flux financiers électroniques et autres merveilles contemporaines, il y a désormais sur la planète des royaumes sans frontières bien plus riches que ceux qu’un nationalisme borné a su engendrer ? Qu’est-ce que la possession des Sudètes ou le couloir de Dantzig ont apporté comme plaisirs supplémentaires à l’Allemagne ? Qu’est-ce que le projet d’élimination des ennemis supposés de la germanité a apporté de plus au supposé génie aryen? On connaît la suite.
En contrepoint la volonté américaine d’inscrire l’Ukraine dans l’OTAN, c’est à dire dans une alliance militaire pensée au temps de la guerre froide avec l’URSS, peut symétriquement être ressentie par les Russes comme un dispositif agressif semblable à celui que les soviétiques avaient eux-mêmes imaginé en installant des missiles à Cuba en 1962. L’OTAN n’est pas une organisation caritative, mais une machine de guerre contre un ennemi potentiel situé sur son flanc Est. Avec la disparition de l’URSS, a-t-elle toujours la même pertinence ?
Les meilleurs ennemis du monde
Tandis que deux régimes autocratiques majeurs, la Russie et la Chine, se trouvaient rivaux, voilà que la crise actuelle entre Russie et Occident, vient de les rapprocher. La Chine lorgne sur Taïwan, a déjà fait main basse sur le Tibet, sur Hong-Kong, rééduque ses opposants. Poutine fait enfermer ou éliminer ses opposants, les journalistes critiques comme Anna Politkovskaïa ou Alexeï Navalny. Xi Jinping met en cage les Ouighours et il y a désormais à Lhassa davantage de Chinois que de Tibétains. Commerce international oblige, l’Occident s’est parfaitement accommodé de cet ethnocide et nombreux sont les ex-leaders européens à être salariés ou actionnaires des entreprises russes. On le sait, l’argent n’a pas d’odeur…
Le tempo politique des démocrates n’est pas celui des régimes autoritaires. En cinquante ans de règne la dynastie des Kim a su doter la Corée du Nord d’une puissance militaire qui la sanctuarise. Missiles balistiques et bombes atomiques obligent les démocraties à la prudence dans leurs relations. La course à la bombe atomique, tant désirée par les mollahs iraniens, présente des périls aussi grands sinon plus grands, tant la part d’irrationnel religieux nourrit les choix politiques. Négliger l’offensive planétaire de l’islam radical serait une erreur d’appréciation considérable, tant les règles du jeu du jihad sont autres que celles qui opposent Etats-Unis et Russie. Une guerre en Europe ne ferait que donner des ailes à cet autre impérialisme.
Qui est l’ennemi principal ? Qui est l’ennemi secondaire ?
Aujourd’hui la temporalité politique des démocraties est de l’ordre de cinq ou dix ans entre deux passages de relais grâce à au respect partagé des mécaniques électorales tandis que chez les autocrates la durée minimum dépasse les dix ans avant qu’ils ne daignent profiter d’une retraite bien méritée. Dans les pays du sud, dans les ex colonies de l’Occident, seuls Gandhi ou Mandela avaient réussi à proposer à leurs peuples une sortie de la domination coloniale sans leur imposer une violence symétrique.
L’ONU, un théâtre de farceurs
En Birmanie, en Algérie, en Syrie, dans la plupart des pays arabes, en Turquie, en Corée du Nord, en Iran et dans d’autres endroits de la terre, seuls comptent les rapports de force. Les castes, les mafias, les tribus, méprisent les désirs de liberté, les volontés populaires d’émancipation. Les printemps arabes ne furent qu’une illusion passagère, très vite écrasée par des pouvoirs d’abord soucieux d’assurer la pérennité de leurs rentes. De rares et fragiles éclaircies, comme les accords d’Abraham entre Israël et quelques pétromonarchies corrigent l’appréciation qui précède.
L’ONU, dont la mission essentielle consiste à réguler les rapports entre les Etats, n’est plus qu’un théâtre de farceurs dont son Conseil des droits de l’homme est la plus parfaite caricature : seul Israël serait responsable et coupable du malheur arabe, et c’est Amnesty International qui vient cautionner cette sinistre forfaiture. La Syrie, grande alliée de la Russie, et responsable du gazage de milliers de Syriens n’a jamais été inquiétée par les Etats-Unis sous la gouvernance d’Obama. Les Kurdes, seuls alliés de l’Occident contre l’Etat islamique, ont été abandonnés à leur sort sous la présidence de Trump. Les bonzes tibétains peuvent toujours s’immoler par le feu, cela n’empêchera pas la fiction de l’innocence sportive aux Jeux olympiques à Pékin.
Dans l’affaire ukrainienne, les démocraties de l’Ouest semblent défavorisées par cette montée en puissance des autocrates tant elles dépendent elles-mêmes des produits chinois ou du gaz russe. En Afrique, Poutine agit par mercenaires interposés pour mieux en chasser la France, l’Iran fait de même au Yémen, au Liban, au Vénézuela. Si le chaos généralisé devient la nouvelle donne des relations internationales, ce n’est même plus le « choc des civilisations » qui en serait le moteur, mais plutôt les ambitions folles de quelques-uns ou les délires fanatiques de quelques autres.
Seul l’énoncé clair du prix à payer des tentatives d’agression peut ralentir cette fuite en avant vers le pire. Si le mot civilisation a encore un minimum de sens il devrait caractériser la primauté absolue du droit sur la force et que l’usage de la force obéisse au droit. Comment les Russes peuvent-ils oublier ce qui les a unis aux Américains, aux Européens, contre le nazisme?
Mettre de la raison et de la fermeté là où le bon sens semble aujourd’hui faire singulièrement défaut à certains est la seule politique possible. S’il n’est pas encore minuit dans le siècle, le temps presse.
© Jacques Tarnero
Essayiste et documentariste, Jacques Tarnero est l’auteur de Décryptage, Autopsie d’un mensonge, et de l’ouvrage Le nom de trop: Israël illégitime ?
Va falloir peut-être lui rappeler, qu’il y a un siècle, nos prédécesseurs :
– Etaient pris dans les affres de la grippe « espagnole », contre laquelle ils n’avaient ni remède ni vaccin et qui a fait des dizaines de millions de morts.
– Venaient de sortir de la boucherie de la « grande guerre » ; MAIS ils l’appelaient ainsi car ils ignoraient qu’elle n’était que le préambule d’une bien pire, bien plus « grande ».
– Et j’en passe et des pires…
Tarnero semble dire, au fond, que « c’était mieux avant ».
MAIS que nenni. Avant, nous étions plus jeunes ; moins expérimentés, peut-être. C’est tout.