Les éditions Perrin/Tempus publient en format de poche la biographie de Stefan Zweig (1881-1942) par l’écrivaine Dominique Bona.
Il faut le dire d’emblée, ce livre est un chef d’œuvre, passionné, admirablement écrit dont les 500 pages se lisent d’une traite. Issu d’une famille juive de la bourgeoisie aisée de Vienne, le personnage est profondément attachant. Dans un milieu qui sublime l’intelligence, la culture, la littérature et la beauté, il parcourt l’Europe et s’attache aux plus grands noms de la vie intellectuelle, se lie d’une amitié profonde avec Emile Verhaeren son premier mentor, Freud, Romain Rolland, Jules Romains, Paul Valéry, Hermann Hesse, Thomas Mann … Klaus Mann, Joseph Roth et Erich Maria Remarque.
D’un tempérament, discret presque timide, d’une immense courtoisie, il cultive la douceur de vivre, la tolérance, le goût des voyages, de l’amitié et du secret au cœur de sa sensibilité : « Au lieu seul où agit le secret commence aussi la vie. »
Il se fait connaître dès l’adolescence par un recueil de poèmes, sillonne l’Europe, écrit des nouvelles, donne des conférences délivrant un message de paix et de fraternité, pour lui primordial dans la période d’après-guerre, dévastée par la folie humaine, convaincu que la réconciliation entre les peuples passe par une unité de sentiment, de volonté, de pensée et de vie et plaide incessamment pour que naisse une culture européenne. Il aime passionnément l’Autriche, son pays démantelé après la Première guerre mondiale, s’installe dans une maison à Salzbourg avec son épouse Friderike, mère de deux fillettes ; mais il n’y est pas souvent présent, voyageur infatigable et multipliant les conquêtes féminines. Autrichien mais aussi Français de cœur, comme si la langue et la culture françaises étaient pour lui une autre patrie.
Le succès lui vient principalement de ses grandes biographies, dont deux en particulier, celle de Fouché qu’il décrit comme l’archétype du politicien retors et inventeur du système totalitaire, et de Marie-Antoinette sa compatriote reine de France martyrisée par la Révolution, pour qui il montre la plus grande compassion et admiration. « Les heures étoilées de l’humanité » qui rappellent les plus grands moments de l’histoire (grandes découvertes, etc.), l’un de ses chefs d’œuvre, le montrent tourné vers l’espérance.Publicités
A partir des années 1930, ses amis écrivains lui reprochent de ne pas prendre plus directement position face à la montée des systèmes totalitaires. Lui, viscéralement attaché à la liberté, déteste aussi radicalement le fascisme que le communisme. Il s’exprime à travers ses ouvrages historiques mais répugne à prendre part directement à la mêlée. Il se brouille avec l’un de ses amis les plus proches, Romain Rolland, en raison de la sympathie de ce dernier pour le communisme soviétique.
La montée du nazisme le pousse à quitter l’Autriche dès le milieu des années 1930. Alors que la plupart de ses compatriotes sont persuadés que le nazisme ne menace pas directement l’Autriche, lui voit venir, dès la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne, la perspective de l’Anschluss et de l’entreprise hitlérienne d’extermination des Juifs. Il s’installe à Londres sans parvenir à convaincre ses proches de le suivre. Extrêmement sensible, tourmenté, il vit la marche de l’Europe à l’apocalypse comme l’effondrement définitif d’une civilisation qui était toute sa raison d’être et qui ne renaîtra jamais. Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il effectue de nouveaux périples aux Etats-Unis et au Brésil, comme dans la fuite éperdue d’une époque qu’il ne supporte pas. Le déchaînement de la barbarie nazie envers ses frères et sœurs juifs, la vision de Paris occupé par l’armée allemande lui inspirent une violente horreur dont il ne pourra jamais se remettre. Après un ultime chef d’œuvre, peut-être son plus beau livre selon Dominique Bona, le joueur d’échec, dépressif, il se donne la mort au Brésil avec sa compagne de l’époque.
© Maxime Tandonnet
Fin observateur de la vie politique française et contributeur régulier du FigaroVox, Maxime Tandonnet a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019).
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