Karin Albou. Procès des attentats du 13 Novembre.

En ce mois de Février, l’audition des accusés du procès des attentats du 13 Novembre se poursuit. Parmi ces accusés, il y a ceux qui ont rejoint l’Etat Islamique en Syrie, dont j’ai déjà parlé dans un premier article, et dont l’engagement djihadiste fait peu de doute. Et ceux qui ne sont pas partis en Syrie mais ont conduit (entre autres faits) à l’aéroport leurs comparses. Accusés de « Participation à une Association de Malfaiteurs Terroriste » (Amri, Asufi, Chouaa, Oulkadi) ils encourent vingt ans de réclusion et ont à peu près tous la même ligne de défense : hommes gentils et serviables, ils ne savaient pas de quoi il en retournait.

Mais dans ce box, il y a aussi des accusés qui encourent davantage, c’est-à-dire la réclusion à perpétuité, tels Salah Abdeslam et Mohammed Bakali, qui pourtant font partie de ceux qui ne sont pas allés en Syrie.

Il sera difficile de savoir qui est Mohammed  Bakali car il a exercé son droit au silence. Comme d’autres accusés avant lui, il n’a pas répondu aux questions du Président. On aura donc de cet homme une vision transversale, grâce aux témoignages de ses proches, d’abord son ex-femme  (dont le Président a lu les différentes dépositions car elle n’est pas venue témoigner) qui déclare qu’ »il serait bien incapable de tuer quelqu’un ». Puis son grand-frère,  un homme barbu, solide et bien campé sur ses jambes. Il nous en dresse un portait assez attendu en le décrivant comme quelqu’un de calme, serviable et intelligent mais d’un peu naïf,  le qualifiant même de « pigeon de service« . Très vite, du fait des questions de la Cour et des avocats mettant ce témoin sur le grill, ses réponses prennent une tournure défensive et personnelle, comme s’il était lui-même accusé. Il se justifie en nous tenant quasiment un prêche sur l’Islam, se servant de la barre comme d’un minbar (estrade de mosquée), expliquant que ni la pratique ni les apparences extérieures ne sont la clef pour aller au paradis car « seul compte l’Islam du cœur « Ce n’est pas parce qu’on porte un niqab ou une longue barbe  qu’on va aller au paradis et inversement une femme en jupe peut aller au paradis si elle fait de bonnes actions.  » Lorsque le président lui demande s’il avait remarqué chez son frère des signes de  radicalisation, il rétorque : « Ce qui est ressenti comme radical pour vous ne l’est pas forcément pour moi. Quelqu’un qui essaye de faire sa prière à l’heure et qui fait le ramadan est-ce un signe de radicalisation ?  (…)  tous ces mots en ism qui ont été créé je ne les comprends pas, comme radicalisme, takfirisme, salafisme » qui, explique t-il, est juste une manière orthodoxe de pratiquer l’Islam.

Tout ouïe, on en oublie presque Bakali, muet dans son box, pour lequel le frère prêcheur n’a d’ailleurs aucun regard. Pourtant, ces paroles, au bon sens assez évident, ne seraient-elles pas aussi adressées à ce frère accusé, lui suggérant ainsi son fourvoiement vers les « Khawarij, des gens qui ont une fausse idée de l’Islam, avec des soi disant califes » ? Ou bien serait-ce un moyen de nous faire comprendre qu’il n’est pas fondamentaliste même s’il porte une longue barbe car il ne faut pas se fier à l’apparence extérieure ? Qu’un homme rigoureusement pieux n’est pas forcément djihadiste et que les djihadistes ne sont pas forcément les plus orthodoxes dans leur pratique.

Puis l’air de rien ce témoin remet en question devant la Cour la loi sur le port du niqab en France et en Belgique, pointe la différence entre les pays laïcs à l’européenne et les pays anglo-saxons comme l’Angleterre où il s’est exilé, souligne qu’en tant que musulman rigoriste il n’a pas le droit de vivre ici en toute liberté.

Encore une fois le procès prend une tournure politique

Encore une fois le procès prend une tournure politique, soulevant la question de l’assimilation à la française, si elle est vivable pour ce type de croyants « à signes ostentatoires ». Le témoin finit par dire son malaise devant les questions de la cour et des parties civiles qu’il ressent comme agressives et rejoint un moment son frère dans son désir de silence. « Si vous continuez comme ça je ne vais plus répondre », lâche t-il, fâché. Il finit par justifier le silence de son frère par le fait que « on est préjugé« . « Qui est on ? » lui demande alors un avocat des parties civiles …

Deux jours plus tard, un autre incident de ce type survient pendant le témoignage de l’épouse de Mohammed Amri, l’un des deux hommes ayant ramené en voiture Salah Abdeslam de Paris à Bruxelles le lendemain des attentats. Rapidement, une frustration monte du côté des avocats des parties civiles car elle ne répond pas franchement aux questions et couvre visiblement son mari, qu’elle décrit comme gentil, serviable et peu pratiquant. Certaines aberrations font frémir et l’enfoncent dans ses probables mensonges, dont le plus palpable : le lendemain des attentats, le 14 Novembre, ils n’auraient pas parlé de ce qu’il s’était passé à Paris. Elle lui aurait préparé des œufs, « il était très fatigué car il avait ramené un copain en voiture … » ajoute t-elle.

Dicussion à propos du « principe de contradiction »

La journée se clôt avec la question posée par Me Olivia Ronen sur l’attitude à avoir avec les témoins : étant donné que la plupart ne se présente pas, elle suggère qu’il faudrait peut-être éviter de les agresser et de leur faire ressentir que c’est aussi leur procès. Sinon comment espérer les voir à la barre ?  Le peu qui viennent ne viendront plus du tout et le procès risque de devenir un long monologue de la Cour avec elle-même, les accusés ne parlant plus et les témoins ne venant plus …

Le Président fait remarquer qu’il s’agit là du principe de contradiction dans les débats et non d’agressivité. Mais on peut se demander ce que ce procès historique va devenir si les témoins ne viennent pas et les accusés ne parlent pas ?

Salah Abdeslam? Il a décidé de parler en ce jour du 9 Février…

Les coaccusés Osama Krayem, Mohamed Abrini, Mohamed Amri et Salah Abdeslam (à droite). Benoit PEYRUCQ / AFP

On aurait pu s’attendre au même scénario avec Salah Abdeslam qui exerce lui aussi son droit au silence depuis cinq ans et dont les trois témoins ne se sont pas présentés non plus. Mais voilà il a décidé de parler en ce jour du 9 Février. Et en plus avec une certaine sincérité. Venus assister en foule à ce miracle de la parole, les journalistes ont rempli la salle d’audience, d’ordinaire quasiment vide. De leur côté, les salles réservées au public, encombrées de longues files d’attente, étaient inaccessibles. Un silence solennel s’est installé lorsque l’audience a commencé pour écouter ce personnage, érigé ainsi au rang de star du terrorisme. Est-ce parce qu’il est le seul parmi les auteurs des attentats du 13 Novembre  à être en vie ?

Pourtant, comme il le déclare lui-même d’emblée, ce n’est pas lui qui a tiré. Il a ( juste ?) conduit une voiture et déposé les kamikazes devant le stade de France : « Je n’ai tué personne. Même pas une égratignure. » Il déploie sa ligne de défense avec une voix douce et posé, un calme auquel on ne s’attendait pas, lui qui avait ouvert le procès en clamant avec véhémence qu’il était un soldat de l’Etat Islamique. Les témoignages des familles de victimes et des survivants qu’il a entendus pendant trois mois l’ont sans doute calmé ou fait réfléchir. Il est habillé d’une chemise blanche qui vient confirmer les paroles de sa mère et de son ex compagne (lues par le Président puisqu’elles ne sont pas venues) affirmant qu’il est un garçon gentil et sensible. Et effectivement il répond avec sincérité et sensibilité et seul son regard perçant un peu fixe laisse entrevoir que tout n’est pas si simple chez lui.

Cette image de gentil garçon commence à se fissurer lorsque l’avocat général lui demande  s’il était au courant  des exactions de la Brigade des  immigrés dont faisait partie son meilleur ami Abaoud, comme par exemple les décapitations  d’enfants récalcitrants au régime. Il répond : « C’est pas vrai, j’y crois pas à ça. J’ai adhéré à l’EI car il faisait des choses bien, pas des choses mal. C’est de la calomnie. »

Ces gens ne se vivent pas comme des monstres mais comme des justiciers ou des révolutionnaires

Du gentil garçon il devient soudain un homme en proie au déni, qui essaye de croire coûte que coûte en une action qui serait révolutionnaire et juste. Car ces gens ne se vivent pas comme des monstres mais comme des justiciers ou des révolutionnaires. Ils sont prêts à toutes les distorsions pour convenir à cette image. Les exemples dans l’Histoire que Salah Abdeslam invoque pour défendre sa position ne font que l’enfoncer dans cette bouillie conceptuelle. Il explique que les Résistants durant la deuxième guerre mondiale étaient appelés des terroristes et sont devenus des héros après coup. Il lui semble impossible de catégoriser les choses, comme par exemple de hiérarchiser la souffrance et de faire la différence entre sa souffrance en détention (bien réelle, on n’en doute pas) et celle des victimes. Pourtant quand on lui pose la question de savoir s’il croit en la responsabilité individuelle, il acquiesce et admet qu’il a une responsabilité dans les attentats. Autant il parvient à faire la différence ( et à l’expliquer à la Cour) entre le Djihad défensif et offensif – concepts qu’il n’a d’ailleurs pas inventés, le concept de guerre juste ayant été déjà pensé  par Aristote, Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin – autant il semble incapable de comprendre qu’il existe une différence entre la souffrance d’une victime (qui n’a aucune responsabilité dans la cause de sa souffrance car elle a subi et non choisi l’acte qui la fait souffrir) et la souffrance de quelqu’un qui a une responsabilité dans la cause de sa souffrance (comme de participer à un attentat et de se retrouver en prison)

Salah Abdeslam explique ainsi son adhésion à l’EI comme un engagement politique et non religieux, déclenché par sa sensibilité et son empathie pour les victimes des bombardements, position déjà pensée par Saint Augustin qui évoque  « la défense du prochain comme raison suffisante pour recourir à la force »: Abdeslam confie : « Parfois je rentrais chez moi et je pleurais  en pensant à mes frères en Syrie.  La communauté musulmane est comme un seul corps. Si l’un souffre c’est tous qui souffrent. Le Djihad défensif est une obligation. »

Il confirme que c’est bien l’émotion qui l’a guidé. « Je ne regardais pas l’Occident. Je regardais le régime de Bachar el Assad et le massacre qu’il faisait à son peuple. » Il cite aussi, parmi les musulmans opprimés auxquels il s’identifie,  lesOuïghours – peut-être a-t-il vu le documentaire passé la veille sur Arte, la télévision étant sa seule fenêtre sur le monde dans les conditions de détention drastiques qu’est le placement à l’isolement – sans mettre en perspective la différence de condition de vie des musulmans en Chine et en Europe.

Lorsque Me Claire Josserand-Schmidt souligne qu’à l’époque des attentats il avait 26 ans, l’âge de certaines victimes qu’elle représente, qu’il était donc jeune, et lui demande : « Vous ne sentez pas qu’on a pu forcer votre sentiment, vous instrumentaliser ? » il n’adhère pas. Elle poursuit et souhaite savoir s’il s’était documenté, s’il savait que Bachar El Asad, au moment des Printemps arabes avait fait sortir de prison des Islamistes, participant ainsi à créer l’EI, qui est né dans un chaos. « Est-ce que vous avez mis tout cela en balance avec les images de bombardements que vous voyiez. » Elle lui fait remarquer que parmi les 70 pays de la coalition, il y avait des pays musulmans. « Ils n’appliquaient pas la Charia« , soutient-il. Elle lui rétorque : « L’Arabie Séoudite et le Qatar … quand même … vous ne vous êtes pas posé la question pourquoi il y avait des pays musulmans parmi la coalition ? » Il clôt le débat par un aphorisme : « La vérité est là où se dirigent les flèches : 70 pays contre un seul, l’EI. »

Salah Abdeslam n’est pas un repenti

Au vu de ses réponses, on aura compris que Salah Abdeslam n’est pas un repenti. Cet homme défend toujours l’Etat Islamique et justifie le terrorisme comme un acte de résistance. Il appelle les Revenants (ceux qui ont fui l’EI) les Renégats. Et pourtant, première contradiction, il a renoncé à commettre un attentat. Il avoue s’être reconnu dans les paroles des victimes et dans leur souffrance car explique-t-il, il aurait pu être à leur place à ces terrasses de café : « J’étais comme eux,  je mettais une chemise, je me parfumais. Alors aller dans le même café et se faire exploser … » D’une certaine manière lui aussi est un revenant … mais se considère t-il comme un renégat ?

Cet homme, dont le patronyme signifie « esclave de la paix », est habité d’une deuxième contradiction que pointe l’avocate : la différence entre son mode de vie peu religieux et son combat auprès de l’Etat Islamique pour vivre selon la Charia : à quoi bon se battre pour un Etat Islamique si soi-même on ne vit pas selon la Charia ? Il ne répond pas puis finit par murmurer : « C’est une bonne question.« 

Cet homme, qui confie à la Cour qu’il a peur du jugement de Dieu, lance ensuite qu’il est fatigué. Car effectivement cela doit être épuisant de se maintenir à ce point dans le déni. Il faut beaucoup d’énergie psychique pour entretenir un déni, pour continuer à croire malgré toutes les évidences que son combat a été juste, pour admettre que le sens qu’il a cru donner à sa vie est un leurre. Sera-t-il capable un jour de comprendre qu’il s’est fourvoyé, qu’il a été manipulé, que son frère et ses amis sont des assassins et non des justiciers, et qu’à ce titre ils risquent non pas de finir au paradis comme il l’espère (toujours maintenant … ) mais en enfer s’il existe ? En attendant, il semble peiner à maintenir en place cette logique émaillée de contradictions, à éviter que tout son système s’effondre.

Et comble de provocation pour certains, cet homme a même invité les victimes après le procès à venir le voir, afin d’établir un dialogue qui pourrait, dit-il, les aider à cicatriser leurs blessures. Là aussi on peut le croire sincère dans son désir de dialogue. Sauf qu’il fait peut-être appel aux victimes pour cicatriser ses propres blessures, et peut-être tenter de se faire pardonner ses égarements … et ses omissions.

Un Procè découpé en tranches temporelles

Car qu’en est-il de son voyage éclair à Patras en Grèce avec Dahmani,  dont l’itinéraire ressemble fortement à celui qu’avait fait Bilal Chatra, chargé par Abaoud de partir en reconnaissance sur la route des migrants, entre l’Europe et la Syrie ? Cette question est cruciale car ce voyage prouverait qu’il a été missionné par Abaoud pour le compte de l’EI et qu’il avait joué comme Bilal Chatra ce rôle d’éclaireur pour organiser le retour de Abaoud en Europe.

Mais le procès étant découpé en tranches temporelles, il faudra attendre encore pour en savoir davantage sur ce jour tragique du 13 Novembre.

Pour Info: Le procès ne reprendra pas avant le 22 février à cause de deux nouveaux cas de Covid parmi les accusés, vient d’annoncer le Président Jean-Louis Périès lors d’une audience express, en l’absence des accusés.

© Karin Albou

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Karin Albou

Karin Albou, auteur et réalisatrice, a écrit et réalisé dès 2002, à un moment où personne n’avait pressenti l’ampleur des actes antisémites qui allaient frapper la France,  » La petite Jérusalem« , qui sortira en salles en 2005 et raconte… Sarcelles. Elle a également écrit et réalisé « Le chant des mariées » qui se situe pendant l’Occupation nazie de la Tunisie. 

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