Heureux comme un Français en Israël? L’alyah, du rêve à une réalité parfois compliquée
“Israël est devenu un luxe que beaucoup n’ont plus les moyens de s’offrir”
“L’an prochain en France”. Le phénomène des émigrants qui quittent Israël constitue un véritable tabou, une chose dont on parle peu, et presque en chuchotant. Preuve en est avec la difficulté d’obtenir des données fiables sur le sujet. Alors que chaque arrivée de “olims” comme on les désigne (nouveaux immigrants) est largement médiatisée et commentée par les autorités, les départs, eux, sont entourés d’une sorte d’omerta. Si bien qu’il existe une véritable bataille de chiffres selon que l’on s’adresse aux organismes gouvernementaux, aux associations d’aide à l’intégration ou à celles qui fournissent une aide sociale. D’après certaines sources, ces départs concerneraient 20% à 25% des immigrants français arrivés en Israël ces 15 dernières années, tandis que l’Agence juive estime ces retours à moins de 10%.
L’aspect financier, un véritable défi
Quelles que soient les statistiques qu’on leur accole, les retours en France (yerida en hébreu ou descente), le plus souvent motivés par la trop grande pression financière, sont une réalité incontournable. Entre les opportunités professionnelles restreintes dues à la langue ou aux diplômes, les salaires souvent divisés par deux ou par trois par rapport à la France et un coût de la vie particulièrement élevé, de nombreux olims ont beaucoup de mal à joindre les deux bouts.
Ces difficultés sont aussi souvent renforcées par le fait qu’ils ont du mal à accepter la nécessaire baisse de leur niveau de vie. “Il n’est pas toujours facile pour une famille qui immigre de France de comprendre que pour s’en sortir financièrement, elle doit renoncer à avoir deux voitures ou à manger des produits français qui coûtent deux fois plus cher”, souligne à i24NEWS Ariel Kandel, le directeur général de Qualita, organisme qui soutient les olims de France dans leur intégration. Il affirme ainsi que “le secret de l’intégration est l’adaptation”.
Même constat pour Samantha Assuli, fondatrice de l’association du Cœur des mamans, qui assure que ce changement des mentalités est particulièrement ardu. Elle pointe aussi le piège des paiements différés (les fameux “tashloumim”), qui se font même au supermarché. “C’est souvent un véritable engrenage pour les olims qui n’ont pas l’habitude de gérer ces paiements en plusieurs fois, et se retrouvent ensuite avec des dépenses impossibles à couvrir”, dit-elle.
Alors que l’association qu’elle a fondée fournit différentes aides aux personnes touchées par un accident de vie, Samantha Assuli relate que les immigrants de France sont encore plus fragilisés depuis la crise du coronavirus. Celle-ci a en effet entraîné des pertes d’emplois, une augmentation supplémentaire du coût de la vie, et une baisse de l’euro par rapport au shekel qui touche de plein fouet les pensions de retraite. “Dernièrement, le pouvoir d’achat des retraités originaires de France a drastiquement baissé, si bien que nous en sommes venus à aider même cette population”, indique-t-elle à i24NEWS.
La vie chère est l’une des raisons majeures qui a décidé Laura à quitter Israël dans les prochains mois. Bien que cette jeune femme célibataire de 35 ans n’ait pas eu de difficultés pour travailler, les prix qui ne cessent de monter lui apparaissent de plus en plus intolérables. “Le coût de la vie est un énorme problème ici. Tout est beaucoup trop cher, à commencer par les loyers. A Tel-Aviv où je vis, il faut débourser 5.000 shekels (1.400 euros) pour se loger dans un trou à rats”, dit-elle.
Cette situation, qui pousse également de nombreux Israéliens de souche à s’exiler, notamment en Allemagne, n’est pas appelée à s’améliorer, alors qu’une nouvelle hausse de l’électricité, de l’essence et de certain sproduits alimentaires vient d’être annoncée.
Elie, reparti en France en novembre dernier après avoir vécu 12 ans dans le pays , affirme également qu’Israël est devenu un luxe que beaucoup n’ont plus les moyens de s’offrir. Ce célibataire dans la trentaine, qui travaillait en horaires décalés à Tel-Aviv mais n’avait pas les moyens de s’y loger, souffrait d’un véritable isolement social. Si bien qu’il a finalement décidé de faire ses valises pour retrouver ses proches.
L’autre écueil que mettent en avant Laura et Elie est celui de la mentalité israélienne, à laquelle ils n’ont pas réussi à s’habituer. Ils pointent “l’agressivité et le manque de savoir-vivre des gens”, qui leur pesaient de plus en plus. “Il faut se battre pour tout”, disent-ils. Pour ces deux Français, le jeu n’en valait simplement plus la chandelle.
La nécessité d’une aide sur mesure
Dans un contexte où beaucoup de Juifs de France expriment un regain d’intérêt pour l’alyah, en raison des restrictions sanitaires liées au coronavirus qui les ont éloignés de leurs proches vivant en Israël, mais aussi après l’onde de choc provoquée par l’affaire Sarah Halimi, le député Yomtob Kalfon est bien décidé à œuvrer pour l’intégration des olims.
Ce parlementaire d’origine française issu du parti Yamina de Naftali Bennett, a fait voter dernièrement un plan d’aide sans précédent de 30 millions de shekels, destiné spécifiquement aux immigrants de France, en sus du budget du ministère de l’alyah.
Les acteurs impliqués auprès des olims relèvent en effet que les besoins particuliers de l’immigration de France n’ont jamais été suffisamment pris en compte : l’Etat a longtemps pensé que les Français, perçus comme plutôt aisés financièrement, sauraient se débrouiller par eux-mêmes, et s’est contenté de leur fournir le panier d’aides standard, contrairement à ce qu’il a fait par exemple avec les immigrants de Russie ou d’Ethiopie. “Le pays doit faire des efforts supplémentaires. Il doit avoir un plan d’intégration plus proactif vis-à-vis de l’alyah de France”, martèle Ariel Kandel.
Ceci posé, le député Yomtob Kalfon souligne néanmoins la nécessité de régler un malentendu de départ chez les olims. “Les immigrants de France arrivent avec des revendications, et s’attendent à ce qu’on leur déroule le tapis rouge. Mais il est indéniable que le rapport du pays à ces nouveaux arrivants a changé : en raison notamment de son ‘miracle économique’, Israël compte beaucoup moins sur ses immigrants qu’avant”, affirme-t-il à i24NEWS.
Si le directeur général de Qualita et le député de la Knesset clament de concert que l’Etat hébreu ne sera jamais un Etat Providence sur le modèle français – ce que les olims ont souvent du mal à intégrer – ils appellent toutefois celui-ci à prendre ses responsabilités. Il est urgent, disent-ils, de mettre en place des mesures de soutien supplémentaires, telles qu’une aide au loyer pendant la première année, ou la gratuité des activités extrascolaires pour les enfants, afin d’éviter qu’ils ne traînent dans la rue après l’école qui finit tôt et ne tombent dans la délinquance, comme c’est trop souvent le cas.
La fameuse question de l’équivalence des diplômes est un autre cheval de bataille pour le député de la Knesset. Après les victoires obtenues ces dernières années suite aux actions de lobbying pour les médecins et les pharmaciens, qui sont désormais exemptés d’examens pour exercer, il espère faire avancer le dossier des infirmières et celui du secteur paramédical. “Cela nécessite de lutter contre le corporatisme existant dans certaines professions, qui perçoivent les immigrants comme une dangereuse concurrence, mais nous progressons”, affirme-t-il.
Ariel Kandel fait également le vœu que l’Etat lève les obstacles liés au protectionnisme et aux monopoles, afin de permettre à plus d’entreprises françaises comme Optical Center ou Décathlon de s’installer en Israël. “Le bénéfice serait double : cela faciliterait l’intégration professionnelle des olims, tout en faisant baisser les prix grâce au développement de la concurrence”, explique le directeur général de Qualita.
Le rêve sioniste fragilisé
Comme le souligne Yomtob Kalfon, chaque départ d’immigrant, outre le drame personnel qu’il exprime, constitue également un véritable préjudice pour l’image d’Israël auprès des Juifs de diaspora. C’est encore plus vrai à l’ère des réseaux sociaux, où tout se sait et se propage à vitesse grand V.
Cette très mauvaise publicité joue à n’en pas douter dans la réticence de certains Juifs français face à l’alyah. Alors qu’un sondage IFOP publié ces derniers jours montre que 75% d’entre eux ont déjà subi des insultes ou des violences antisémites, nombreux sont ceux qui choisissent de faire profil bas ou de se “ghettoïser” un peu plus, plutôt que de s’installer en Israël. Le sionisme, l’antisémitisme ou la menace terroriste, qui poussaient beaucoup à envisager de partir, a laissé la place à un pragmatisme souvent dicté par les nécessités économiques et la peur de “galérer” en Israël.
“Aujourd’hui je ne pousse plus les gens à faire leur alyah, et quand ils souhaitent la faire je leur recommande de bien s’y préparer”, dit Samantha Assuli du Cœur des mamans. “On aime profondément ce pays, mais sa réalité n’est pas facile. Il faut avoir les épaules solides.”
En 1976, Yitshak Rabin, alors Premier ministre, avait déclaré à l’occasion du Jour de l’indépendance que ceux qui quittaient Israël “étaient des faibles”. Il avait omis de préciser que la plupart de ceux qui repartent le font avec le cœur brisé, et le sentiment d’avoir échoué. Si comme beaucoup le pensent, Israël est devenu un “luxe” et qu’il n’est plus en mesure d’être un foyer d’accueil pour tous les Juifs, alors ces départs n’expriment ni une faiblesse ni un échec individuels. C’est l’échec du pays tout entier, et une tache sur l’idéal sioniste.
© Johanna Afriat
EXACT. Le sionisme est victime de son succès…Enfin, économique….
Et ça ne s’arrangera pas.
Puisque la « alyah » d’origine USA, pour l’instant modeste, pourrait croitre vues des évolutions sociales et politiques là-bas.
Certains s’attendent à un million de juifs américains qui arriveraient pendant la prochaine décennie ; avec le pouvoir d’achat et les compétences reconnues de cette population, même s’il s’agit surtout du segment plutôt pratiquant religieusement.
C’est peut-être bon pour le pays ; mais sur cette surface restreinte exercerait une pression inédite sur les coûts de la vie.