14 ANS DÉJÀ …
Dans un voyage, le plus long est de franchir le seuil. Voilà pourquoi j’ai pris la poudre d’escampette.
Lorsque je me rappelle aujourd’hui la Belgique, le monitoring de mes sentiments est à plat. Il ne réagit pas. Il ne réagit plus. Une longue ligne tire un trait. D’un passé. Dépassé.
A vrai dire, les Belges n’étaient pas les pires. Ils l’étaient tous. Le sont encore. La Belgique est un pays comme un autre. Avec des plus. Avec des moins. Il n’était pas le mien. Tout simplement. Plus le mien.
On n’était pas dans l’coup.
Nous, on ne voulait pas
Nous, on ne savait pas
Et tous les braves gens disent
« C’est pas qu’on n’les aime pas, mais »
« C’est pas qu’on n’les aime pas, mais »
…
Mais moi, je me demande
Pourquoi toujours ce « mais » ?
J’ai pris mes jambes à mon cou. A la première occasion. Lorsque j’ai pris conscience. Qu’ils ne nous aiment pas. Et que cela serait toujours comme ça.
Que les bonnes volontés ne suffisaient pas. Que la volonté n’était pas là.
Mais quoi… c’est le passé
Le passé… ressassé…
Pourquoi ? pour des ragots
Ou bien quoi ? … quelques mots
Sur les murs d’un métro
La porte d’un lavabo…
Il n’y a vraiment pas
De quoi fouetter un chat
(paroles/interprète – Philippe Clay – Les Juifs)
Je me suis tiré. Quand, choqué, j’ai entendu ma fille dire : « Je ne veux pas me retrouver à bord d’un train d’Europe ». Comme si une deuxième Shoah était possible.
Je l’ai regardée. Elle avait tout pour elle. La beauté, la jeunesse, la vie devant elle.
J’ai pleuré. Des larmes intérieures. Pour qu’elle ne les voie pas. Je me suis dit que ce n’était pas juste. Mais que c’était un fait. Que nous étions redevenus des cibles. Faciles. Vivantes. Sur lesquelles on peut tirer. La haine de l’autre. En invoquant la liberté d’expression. Pour défendre la liberté de haïr. Et si l’antisémitisme est un délit. Sans conséquences. Il est surtout une tolérance. Zéro qui n’existe pas. Sinon dans des mots de circonstances. Lors d’issues dramatiques.
Soixante ans de retenue. Ou quelques mots sur les murs d’un métro…
Et l’antisémitisme de plume repeint les quotidiens. D’une valse de mots odieux. Aux propos fallacieux. Empreints d’une vieille tradition. Au fiel de la mauvaise foi. Transformant la réalité des faits. Taisant les informations qui ne soutiennent pas le parti. Pris. D’une indignation qui n’existe pas. Ou comment donner une impression de légitimité. Au terrorisme. De la pensée… Unique, ma foi.
Soixante ans de retenue. Ou quelques mots sur la porte d’un lavabo…
Et des harangues à vomir. A travers les rues de Belgique. Des saynètes sauvages. Avec l’appui de politiques. D’un militantisme féroce. Eculé. Rappelant l’état d’esprit des autodafés de l’Inquisition. Les processions religieuses précédant les pogroms de l’Europe de l’Est. En remettant au goût du jour la fable archaïque. De la fausse accusation de crime rituel. Du Juif assoiffé de sang. Ou de l’Israélien buvant le sang des victimes.
Comme avant. Comme toujours. Pour se donner le droit de tuer. Il faut préparer l’opinion. Avec des faux. Grotesques. Appris à l’école de l’Eglise ou du nazisme.
Ou la nouvelle équation. A la mode. Celle où l’Etat d’Israël, nouveau Juif des nations. Où personne ne s’offusque ou ne s’indigne des menaces de l’effacer de la mappemonde.
Comme Hitler avait promis d’effacer les Juifs auparavant.
Soixante ans de réserve. Pour s’abandonner à nouveau. Où quelques mots sur les murs d’un métro… la porte d’un lavabo… Sont devenus. Redevenus. « Mort aux Juifs ! ». Comme une incontinence. De perte de paroles. Un lâcher des sphincters. Une logorrhée des vocables. D’une diarrhée fréquente. Abondante. D’une nouvelle constante. Ou du sempiternel retour. D’une répétition. Des « courre » d’Europe. Ou de son ADN.
Où dans ses rues. Ou ses adresses. L’appel à égorger les Juifs ou terminer le travail d’Hitler n’est plus un interdit. Interdit. Et où de minis « Nuit de cristal » se passent au grand jour.
Et si le Juif est devenu une insulte incontournable des cours d’école ou des univers cités aux diners en ville, l’Europe n’en est pas moins le chaland du commerce ou de sa flagornerie.
© Win Freddy
Extrait du manuscrit Le Porteur de Fantôme. Non publié à ce jour
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