Tribune Juive

Raphaël Nisand – Yeshiva de Bussière la présomption d’innocence bafouée

On pourra dire et écrire ce que l’on veut, le traitement judiciaire de la Yeshiva de Bussière est choquant. Il est même incompréhensible et laisse augurer des jours difficiles pour les Yeshivot et les écoles juives.

Dans la méthode tout d’abord ; d’après les comptes rendus de journalistes ce sont pas moins d’une centaine de gendarmes accompagnés de la procureure de la République de Meaux qui ont investi les lieux sans crier gare le 31 janvier au matin.

Ce déploiement de force pour moins d’une soixantaine d’élèves et 17 encadrants adultes semble totalement inhabituel et disproportionné.
Tout aussi disproportionnée et franchement inhabituelle l’invitation par les autorités, de la presse aimablement conviée à cette descente de gendarmerie. C’est ainsi qu’ont pu circuler des photographies de cet évènement avec la Yeshiva investie par moultes camionnettes de gendarmerie dont l’une bloquant l’entrée de la propriété.

Il faut savoir qu’une enquête pénale normale sauf urgence ou crime flagrant ne commence pas comme ça.

Le directeur aurait pu être simplement convoqué pour s’expliquer à la gendarmerie. De même il aurait été possible d’effectuer une perquisition mais dans ce cas précis ce sont tous les adultes présents qui ont été embarqués en garde à vue.

Cette garde à vue a été prolongée au maximum possible, 4 jours et 10 des 17 adultes ont été relâchés sans qu’aucune charge d’aucune sorte soit retenue contre eux.

10 innocents ont donc été ainsi privés de liberté pour rien pendant 4 jours. C’est une des grandes injustices de ce dossier. Etre enseignant dans une Yeshiva devient un métier à risque.

Cet énorme déploiement eût été peut-être compréhensible s’il avait avéré et stoppé de très graves crimes . Mais ce n’est pas le cas puisque le parquet qui avait ouvert une information du chef de séquestration en bande organisée, un crime, a du y renoncer dès la garde à vue.

17 adultes ont été placés en garde à vue et on allait voir ce qu’on allait voir laissait entendre la procureure dans sa conférence de presse.

Au bout de plusieurs jours de garde à vue les 17 adultes ont été relâchés sans aucune détention provisoire et le chef de mise en examen criminel n’a pas été retenu. Exit donc la séquestration …

Je suis un avocat et je sais trop ce que représente pour un justiciable une garde à vue. Ce sont des conditions de détention rudes où on vous enlève lacets et ceinture et où vous êtes placés dans des geôles.

Là, ça a duré 3 à 4 jours !

Il reste bien sûr de nombreux délits potentiels : violences aggravées, privation de soins, abus de faiblesse et même pour deux responsables des faits de travail dissimulé, d’emplois d’étrangers ou encore des soupçons de blanchiment.

Le juge d’instruction enquêtera comme il se doit mais on sait d’ores et déjà que la montagne accouchera d’une souris au plan judiciaire.

Même si certains de ces délits existent et qu’ils aboutissent à des condamnations, ils ne justifiaient en aucun cas un tel déploiement de force ni cette publicité en forme de pré jugement . Ceci d’autant plus que les faits dont se plaignaient certains élèves avaient été portés à la connaissance des autorités plusieurs mois avant que n’éclate l’affaire, et que donc aucune urgence particulière ne justifiait un traitement aussi brutal.

Une fois de plus, une fois de trop ? la présomption d’innocence a été bafouée, cette fois-ci au détriment d’une institution juive contrainte de fait à la fermeture, entrainant ainsi naturellement un questionnement sur l’ensemble des institutions juives aux yeux de l’opinion. Un verrou s’est levé.

Certains se sont empressés de hurler avec les loups mais on est en droit de se demander si cette démonstration n’avait pas un but : expliciter la justice distributive de l’exécutif. Un coup sur les mosquées salafistes, un coup sur une Yeshiva prétendument sectaire ou irrespectueuse des règles.

S’il y a eu sectarisme ou irrespect des règles, on aurait aimé que cela soit prouvé comme l’exige la présomption d’innocence, et non étalé devant l’opinion dans un tel branle bas médiatique.

Que l’on y prenne garde, les enfants juifs ont déjà des difficultés à rester scolarisés dans de nombreuses écoles publiques et pas seulement dans les territoires perdus de la République. On a donc aujourd’hui le plus grand besoin des écoles juives qui doivent fonctionner dans la sérénité.

Les yeshivot et écoles juives bénéficiaient d’un respect de bon aloi. Cet épisode politico-judiciaire clôt cette période.

Qu’on le veuille ou non, dans cette affaire il y a eu de la brutalité, une brutalité destinée à jeter l’opprobre (avec un certain succès) sur les juifs observants et sur les écoles privées plus généralement. Détestable précédent.

Raphaël Nisand                                                                                                      Avocat au Barreau de Strasbourg

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