La Chronique de Nickie Caro Golse. « anéantir », de Houellebeck

« Certains lundis de la toute fin de novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la port ».
Première phrase de ce roman, phrase houellebecquienne s’il en est qui plonge par avance le lecteur à la fois dans l’univers connu de son auteur avec son lot de petites misères humaines, et dans l’empathie avec le héros du texte. Nous renouons immédiatement avec l’écrivain, nous nous installons confortablement dans nos vieilles habitudes de lecture de son œuvre: nous allons nous désespérer en jouissant amèrement de notre propre désespoir, dans une sorte de masochisme réconfortant. Point de surprise…

« Non, mon chéri. » Elle le regardait dans les yeux, souriante à moitié, mais quelques larmes brillaient sur son visage. « Nous aurions eu besoin de merveilleux mensonges. »
Dernière phrase ciselée de toute la tendresse du monde… Phrase inattendue en cet univers coutumier.

Qu’a-t’il pu se passer durant les 736 pages qui séparent ces deux phrases pour que le morne désespoir initial se transmue en cette douce lumière, nostalgique certes, mais empreinte d’infinie délicatesse?
Toute l’intrigue tourne autour de Paul, un homme de 50 ans « pas marrant du tout, franchement austère même, mais…raisonnable. » Il vit à Bercy, un de ces lieux sans âme chers à l’auteur, ce no man’s land à la désespérante et plate monotonie. Son couple s’émiette dans le silence des mots et la fatigue des corps.: « le naufrage de leur couple se déroule dans les conditions de civilisation optimale ». Tout est en place pour parachever un constat de vie aux accents schopenhauriens sur un monde qui n’est qu’une souffrance déployée.
Mais, une série d’accrocs vont venir déchirer cette existence grise et désabusée et, telle une parousie, cette vie égratignée, lacérée, déchiquetée, se recompose miette par miette pour renaître à l’amour. La sacralité de l’existence illumine la renaissance du héros.

Évidemment, « anéantir » (sans A majuscule, comme pour montrer la banalité du terme!) demeure un roman politique dans la tradition de l’auteur et les thématiques houellebecquiennes continuent de tisser l’oeuvre: les arcanes des ministères, la morosité des fonctionnaires, les ruses des journalistes, et cet aspect du roman nous fait sourire…jaune.

Évidemment, « anéantir » fait la part belle à la solitude, à l’angoisse de vivre, à l’angoisse de mourir et le lecteur est étreint de cette insoutenable anxiété consubstantielle à l’écriture de l’écrivain. Les pages consacrées aux mouroirs modernes que sont les EHPAD sont exemplaires de cette terreur devant le grand Rien, devant « l’anéantissement ».

Pourtant, au travers de ce grand récit foisonnant, luxuriant et sombre, se mettent à luire des étincelles d’humanité et d’espérance. Les phrases se déploient dans une inattendue douceur et enveloppent le lecteur, les personnages sont tendres, vivants, incarnés.

Une fois de plus, notre génie littéraire se joue de nos questions existentielles, une fois de plus, il interroge ce monde au bord du néant, mais, pour la première fois, d’une écriture racée et dans une puissance d’analyse qui force le respect, il évoque la possibilité d’une île sur laquelle l’humanité pourrait s’échouer, non plus pour s’y anéantir mais peut-être pour se « sauver », au sens chrétien du terme.

Un immense roman donc, dans la tradition de l’inspiration houellebecquienne, mais traversé ça et là d’orages baudelairiens et qui s’achève non plus dans le gouffre mais sur les rivages de l’amour.

Michel Houellebecq. « anéantir ». Flammarion. 736 pages

© Nickie Caro Golse

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