À l’approche du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, l’exposition « Son œil dans ma main. Algérie 1961-2019. Raymond Depardon / Kamel Daoud » offre un témoignage unique sur l’Algérie en 1961 puis en 2019, à travers le regard de deux grands artistes : l’un français, cinéaste et photographe, revisitant ses photos d’Algérie ; l’autre algérien, journaliste et écrivain, né en 1970, après l’indépendance de son pays.
« Raymond Depardon photographie ce qu’il voit à la jonction de ce qu’il ne voit pas. Je regarde ce que je ne vois pas, en croyant savoir ce que cela signifie. Son œil dans ma main. Son corps est ma mémoire. Ce qui m’intéresse chez le photographe, c’est son corps, son errance, son voyage : je me glisse en lui, j’épouse ses mouvements,son regard, sa culture, ses préjugés peut-être, mais aussi sa singularité. Errance de déclic en déclic ».
Kamel Daoud, extrait du livre « Son œil dans ma main. Algérie 1961-2019 », Barzakh/Images Plurielles, 2022
Un témoignage unique sur l’Algérie de 1961 et de 2019 à travers le regard de deux artistes : le photographe, cinéaste Raymond Depardon ainsi que l’écrivain, chroniqueur Kamel Daoud. Tout est parti d’un projet de livre, porté par un tandem d’éditeurs indépendants : la couverture verte pour Barzakh à Alger et la bleue pour Images Plurielles à Marseille. L’idée d’une exposition intitulée Son œil dans ma main a fait ensuite son chemin. Elle est à découvrir jusqu’au 17 juillet 2022 à l’Institut du monde arabe à Paris. Dans une scénographie baignée par un dégradé de couleur bleue évocateur de la Méditerranée, les deux hommes se répondent en écho : deux mondes, deux regards. Des textes inédits de Kamel Daoud côtoient des photos méconnues prises lors des “temps morts” des négociations d’Evian en 1961. À l’époque, Raymond Depardon est l’un des rares journalistes à être accrédité auprès de la délégation algérienne, qui est installée côté suisse, au bord du lac Léman. Kamel Daoud, extrait du livre Son œil dans ma main. Algérie 1961-2019 (aux éditions Barzakh / Images Plurielles) : Qu’est-ce que je ressens, moi, décolonisé, quand je contemple une photo de cette époque, de ce passé qui, sur injonction, a été décrété contemporain -pour- toujours ? Qui suis-je dans ce miroir qui devrait me refléter, et qui cependant m’efface pour toujours au présent ?
En 1961, le tout jeune Raymond Depardon réalise plusieurs reportages photographiques à Alger, puis à Évian, pendant les premières négociations pour mettre fin à la guerre d’Algérie. Près de soixante ans plus tard, avec le désir de publier ces photographies dans une perspective algérienne, il rencontre Kamel Daoud.
Porté par Barzakh, la maison d’édition algérienne de l’écrivain, un projet d’ouvrage à quatre mains prend forme : un beau livre faisant entrer en résonance photographies « algériennes » de 1961 et textes inédits de Kamel Daoud. Celui-ci a dans l’idée d’écrire des textes très différents, presque disjoints des photos ; il s’agira de méditations ou de rêveries sauvages. Par ailleurs, des « comètes » – une explication de l’image, un commentaire, une fulgurance inspirée par une photographie… – accompagneront une sélection de photos choisies par l’artiste.
Raymond Depardon retourne en Algérie en 2019 et y réalise une série de photos, à Alger puis à Oran, ville où habite Kamel Daoud.
Les éditions Barzakh proposent alors à l’Institut du monde arabe de monter une exposition à partir du livre. Son président Jack Lang est immédiatement séduit : la sortie du livre s’accompagnera d’une exposition éponyme, sensible, avec des images rares et des textes inédits qui se répondront en écho tout en pouvant être vues ou lus séparément : deux mondes, deux regards indépendants et pourtant complémentaires qui s’enrichissent mutuellement…
Installée dans deux espaces, l’exposition présente 80 photographies de Raymond Depardon et cinq textes inédits de Kamel Daoud. Elle comprend trois sections : Alger 1961 ; Évian-Bois d’Avault 1961 / Oranie 1961 (niveau -1) ; Alger et Oran 2019 (niveau -2). Dans des salles rehaussées d’un dégradé de bleus évocateur de la Méditerranée, au fil d’une scénographie fluide qui facilite le passage entre les deux médiums, le visiteur navigue entre les grands textes, suspendus comme autant d’installations, et ménageant une transparence qui permet de deviner les photos à travers eux. Textes et photographies sont encadrés à l’identique pour en souligner l’égale importance. Les « comètes » sont traitées comme autant de petites œuvres, formant une ligne d’horizon vers laquelle tend le regard.
Un « texte d’exfiltration » guide le visiteur vers la sortie ; et un film inédit avec Raymond Depardon et Kamel Daoud, Kamel et Raymond (22′), réalisé par Claudine Nougaret pour l’exposition, conclut le parcours.
Son œil dans ma main. Algérie 1961-2019, Raymond Depardon/Kamel Daoud, coéd. Barzakh/Images Plurielles, 23 x 24 cm, 232 p., 134 photos en bichromie, couverture rigide, toilée, marquage à chaud, 35 €, sortie 4 fév. 2022.
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