Le jovial Mansour Abbas, si courtisé par les chaines de télévision de la gauche « morale », a construit une machine de guerre d’un genre nouveau pour déconstruire l’Etat d’Israël. Il ne s’agit plus de l’attaquer frontalement, du dehors, mais de l’ouvrir du dedans, en retournant ses propres armes (la démocratie) contre lui-même: par la voie parlementaire et avec l’accord du Pouvoir déconstruit. Il ne s’agit plus de promouvoir la quête d’un Etat palestinien ou d’un Etat binational mais plutôt de mettre ces modèles en œuvre au sein-même d’Israël, dans des termes nouveaux.
Ce faisant, Abbas applique parfaitement la méthode des Frères Musulmans que nous connaissons bien (mais pas la gauche), à savoir jouer de façon cynique le jeu de la démocratie pour aboutir au Pouvoir et y mettre un terme ensuite.
Pour comprendre cela, il faut écouter, en même temps qu’Abbas, le discours du numéro deux du parti Raam, Ibrahim Hijazi (seule la chaine 14 nous a fait entendre sa rhétorique).
Il faut rappeler le climat dans lequel ces développements se produisent. Depuis l’opération « Gardien des murailles », le Hamas s’est intitulé le « défenseur des Arabes israéliens » et a lancé à Israël diverses mises en garde de ne pas faire tel ou tel acte sous menace de réveil du Front de Gaza ou d’émeutes. Cette mise en garde a touché avant tout Jérusalem et suscité le tir de missiles dans sa direction, mais, désormais, le Hamas a ouvert un front intérieur au sein d’Israël parmi les Arabes israéliens et ceux de Judée -Samarie, susceptibles de fomenter en temps de guerre un soulèvement contre leurs concitoyens juifs et bien sûr les arrières de l’armée. C’est cette potentialité qui nourrit l’audace et la force du parti islamiste au sein d’une coalition prête à tout pour garder le pouvoir. En choisissant de ne pas détruire le pouvoir du Hamas pour éviter de gérer lui-même le territoire de Gaza, Israël s’est mis sous la dépendance de la centrale terroriste au prix de la précarisation de la sécurité intérieure de tout le pays. Les Palestiniens ont compris cela comme un aveu de faiblesse d’Israël.
Mais, avec les émeutes du Néguev, les choses sont allées très vite, sans doute trop vite pour le « plan par étapes » de Mansour Abbas. Il a dû déclarer, sur le terrain-même des émeutes, que les émeutiers luttaient pour défendre leur droit à la terre (qui n’est aucunement leur propriété selon le verdict répété d’une Cour suprême pourtant de peu de « sensibilité » nationale).
Du coup, on voit mieux le lien entre la loi de l’électricité et cette révolte. Elle statuait implicitement sur la propriété nationale-bédouine des terres sur lesquels ont été construites les maisons illégales des particuliers à raccorder au réseau. C’est en vertu de ce droit supposé national (une « nation » bédouine) que les Bédouins se sont révoltés contre l’opération de plantation du KKL qui représente la puissance publique sur les terres domaniales.
A la lumière de ce qui s’est passé dans le Néguev depuis l’opération de Tsahal à Gaza, il est clair que la revendication de la proto-nation bédouine concerne bien plus que le terrain de la plantation incriminée mais toute la région du Néguev. Agressions des habitants juifs à Birsheva, vols, holdup, gymkhanas meurtriers sur les routes, caillassage des voitures et des bus, blocages sur les routes, siège d’une ville, sont autant de marquages du territoire revendiqué et une démonstration que l’Etat n’y est plus le maître et que les Juifs n’y ont plus leur place.
Les Bédouins révoltés lancent à la population arabe citoyenne d’Israël une invite objective à une affirmation nationaliste contre l’Etat « des Juifs ». Quoique pour l’instant en restant dans l’Etat des Juifs, dans les limites municipales et régionales, en occupant plus fortement les structures déjà mises en place par le multiculturalisme décérébré de ce qu’est devenue la société israélienne.
On a pu en avoir un avant-goût avec les réactions de cette population durant la dernière opération à Gaza, avec les pogroms contre les Juifs dont les activistes ont été capables, avec les régions d’Israël à éviter même pour Tsahal.
Demain on peut s’attendre à ce qu’éclatent des émeutes nationalistes dans ces zones où la sécurité n’est plus du côté des « Juifs ». Toute la Galilée est concernée, des zones de Jérusalem et, en plus grand, la Judée-Samarie. C’est tout le pays qui fout le camp!
Plutôt qu’être vaincu dans une guerre classique, par le terrorisme ou un plan américano-européen, l’Etat peut l’être de l’intérieur, sous forme de démembrements successifs, chacune des régions (que j’identifie à des « hamoulot ») obtenant une forme d’autonomie territoriale, échappant à l’Etat, inéluctablement au profit de l’Autorité palestinienne et du Hamas. Un réseau de noyaux territoriaux, de « nations » locales, couvrirait alors tout le territoire entre le Jourdain et la mer, les Juifs eux-mêmes étant répartis selon leur « migzarim » (« secteurs » ultra-orthodoxes, sioniste religieux, laïciste, traditionnaliste etc.), ramenés ainsi au rang des hamoulot qui structurent la population musulmane du pays (Arabes, Circassiens, Druzes, Bédouins). Au fait, c’est cela l’Etat juif que « reconnaît » Mansour Abbas dans sa déclaration théâtrale: à l’égal d’un ensemble de hamoulot, de dhimmis. L’Etat subsisterait surtout comme pourvoyeur de services et de budgets, en somme dans une fiction de souveraineté exposée à la paralysie en situation de guerre.
Comment répond à ce délitement progressif de l’Etat l’élite au pouvoir (ministres comme journalistes)? Elle lance une campagne contre « la violence des colons »! Bien sûr en taisant la guerre terroriste qui s’en prend sélectivement aux Juifs et en mettant les soldats et policiers sous le regard inquisitorial de la justice militaire quand ils sont confrontés aux situations dans lesquelles ils ont tiré trop tôt ou trop tard sur l’assaillant.
Des fuites ont révélé que le ministre de la sécurité intérieure, Omer Bar Lev, au bilan si lamentable, est allé jusqu’à condamner et regretter la « violence des colons» auprès des représentants de l’Union européenne, dont on connaît le parti-pris propalestinien.
En somme, le ministre lache les Juifs des territoires pour obtenir un bon point de la puissance européenne, sollicitée d’intervenir dans les affaires de l’Etat. C’est le schéma d’Oslo dont son parti (travailliste) fut l’artisan qui se profile à nouveau: le « camp de la paix » se retourne contre « ses extrémistes » pour négocier avec de pseudo-modérés palestiniens supposés se dissocier de leurs extrémistes, en vue de constituer un front commun contre les extrémistes des deux camps.
Le « camp de la paix » commence toujours par désigner un ennemi intérieur… La même manœuvre idéologique se produit, à l’unisson du pouvoir, sur les écrans de télévision qui ciblent jour après jour la « violence juive » et le racisme des Juifs et nous appellent à nous apitoyer sur « la société arabe» victime de la discrimination israélienne et de ses propres délinquants qui lui imposent un système mafieux et la loi de la vendetta entre hamoulot.
Dès le lendemain des pogroms de Lod et Akko, ces médias avaient déjà tenté d’établir un « équilibre » entre la violence juive et la violence arabe qu’ils ne pouvaient plus cacher, en renvoyant les deux protagonistes dos à dos, ce qui ne pouvait qu’encourager les agresseurs à surenchérir, comme si les contrevenants arabes étaient innocents par principe et pas susceptibles d’être pointés du doigt, sous peine de « discrimination ».
Dans quel pays se retrouve le peuple juif dans cet « Etat d’Israël »? Ce n’est plus l’Etat-nation du peuple juif, ce n’est plus la démocratie, tant célébrée par les artisans du déclin car on y vit sous la tyrannie de la minorité aux dépens des droits des citoyens, de la majorité. Quel avenir catastrophique nous réserve cette coalition contre nature qui ouvre un boulevard aux Frères Musulmans, pourchassés pourtant dans tous les pays arabes? Demain un nouveau Liban? Un sursaut citoyen s’impose.
© Shmuel Trigano
Shmuel Trigano est Professeur émérite des Universités
Fondateur de l’Université Populaire du Judaïsme
http://www.unipopu.org ; universitedujudaisme.akadem.org
Fondateur de la Revue européenne d’études juives, Pardès
http://www.inpress.fr/pardes-2/ ; http://www.cairn.info/revue-pardes.htm
Le site internet de Shmuel Trigano:
Shmuel Trigano chronique sur Radio J le jeudi
Article publié en hébreu sur le site d’information israélien « Mida » sous le titre « Le plan par étapes de Mansour Abbas«
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