Les chercheurs israéliens latinistes ou hellénistes ne sont pas légion. Stéphanie Binder, chercheure à l’université Bar-Ilan, fait partie de ces exceptions. En marge de son étude majeure intitulée Tertullian, On Idolatry and Mishnah Avodah Zarah, elle consacre un livre à son approche de Tertullien, son parcours personnel.
Cette démarche intime, presque thérapeutique, est revendiquée d’emblée par l’auteur. Mais pourquoi Tertullien ? Pourquoi ayant appris l’hébreu dès sa petite enfance, l’auteur a-t-elle choisi comme sujet de doctorat le « premier auteur chrétien à écrire en latin » ?
Dans ce livre très personnel, dont le parcours tient d’une psychothérapie menée sans douleur et d’un pas léger, elle s’interroge sur son lien intime avec son sujet de recherche.
Une démarche inattendue
Comme Stéphanie Binder l’annonce, le sujet d’étude ici, c’est elle, jeune femme du XXIe siècle dans son bureau de Bar Ilan à Tel Aviv, elle à la recherche de Tertullien, ou la rencontre entre l’étudiante et son sujet. Car nul n’ignore que cette association ne relève pas du hasard et surtout, que la longue pratique qu’elle engendre ne saurait rester sans effet.
Fréquentant dès l’enfance l’école juive parisienne plus versée dans les matières scientifiques que les humanités, sa passion pour les études latines a de quoi surprendre. Elle amena l’auteur à quitter ce cocon pour entrer au lycée public et se lancer à la découverte du reste du monde.
Dès lors elle dut s’imposer. Car la gamine timide, disciplinée, peu portée à la révolte, qui, sans ses cheveux roux, aurait pu passer inaperçue, refusa obstinément de renoncer aux préceptes de la vie juive. Respect de la cacheroute, refus d’écrire pendant le shabbat, elle y tenait.
Les menaces restèrent sans effet, les convocations des parents idem, ceux-ci la laissant libre de ses choix. Manger cacher et ne pas écrire le samedi… elle tint bon, au prix de quelques sacrifices — notamment un voyage découverte en Tunisie, qui commençait un samedi.
Au temps pour la laïcité, me direz-vous.
Tertullien l’Africain
Plus tard, elle est partie vivre en Israël. Avec, pour sujet de recherche, un Africain de langue latine, un converti proche des courants évincés des Pères de l’Eglise.
En effet, Tertullien est un habitant de Carthage, célébré encore aujourd’hui en Tunisie et mort septuagénaire aux environs de 220.
Converti au christianisme, Tertullien est opposé à la présence des Romains. Polémiste, orateur, vindicatif, prosélyte inlassablement en lutte contre le paganisme, il rêve de martyre mais ne fut jamais inquiété.
Au fil des pages, l’auteur se confie. Rachi « maître à penser des Juifs du temps des croisades », qui a voulu éduquer ses filles comme des garçons, fut un modèle pour le père de l’auteur. Au passage, l’historienne, spécialiste des relations entre Juifs, Grecs et Romains, évoque Bar Kokhba et Flavius Josèphe, et se sert de sa lecture du rabbin Delphine Horvilleur pour aborder la question de la « transposition de la virilité rabbinique ». Puis, en spécialiste des études talmudiques, elle affirme : « Le judaïsme […] est une orthopraxie. Rien ni personne n’exige du Juif de croire en Dieu […] Le seul lien entre la divinité et l’humain est l’observance et l’obéissance aux commandements, les mitsvot. »
On attend d’en savoir plus, dans un prochain ouvrage, peut-être ?
[1] Editions du Cerf, 20€
© Edith Ochs
Chercheuse franco-israélienne spécialiste du monde juif antique, l’auteure Stéphanie E. Binder évoque son rapport à la figure complexe de Tertullien, Romain d’origine berbère du IIe siècle devenu l’un des Pères de l’Eglise chrétienne. Elle décrit la rencontre improbable et les échanges incessants nés de l’étude de ce personnage historique réputé pour son antijudaïsme. ©Electre 2022
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