Le typographe de Whitechapel de Rosie Pinhas-Delpuech est un roman enquête sur le grand écrivain hébraïque, mort en 1921 à Tel-Aviv.
De Yossef-Haïm Brenner, né en 1881 et mort il y a tout juste un siècle, aucun écrit n’a pratiquement été traduit en français, à l’exception d’un petit recueil de nouvelles, Nerfs. Il compte pourtant parmi les plus grands écrivains de sa génération et est considéré comme un des pères de la renaissance culturelle hébraïque, qui a précédé la création de l’Etat d’Israël. A titre de comparaison, Roger Martin du Gard, né la même année que Brenner, a été traduit en hébreu dès 1908.
Le nouveau livre de Rosie Pinhas Delpuech, Le typographe de Whitechapel, vient combler partiellement cette lacune, en faisant découvrir au lecteur francophone la figure attachante de l’écrivain né en Russie et mort à Tel-Aviv, assassiné lors des premières émeutes arabes en 1921. Sous-titré Comment Y.H. Brenner réinventa l’hébreu moderne, son livre est une sorte de roman-enquête sur les traces du grand écrivain hébraïque, qui conduit le lecteur successivement à Londres, dans le quartier pauvre de Whitechapel, puis à Merhavia, un des premiers kibboutz fondé en 1911.
Renaissance d’une langue
Le pari de l’auteur – elle-même traductrice de l’hébreu qui dirige la collection “Lettres hébraïques” chez Actes Sud – celui de raconter sous forme romancée la renaissance d’une langue, est un défi qu’elle relève en large partie. Son livre est d’une lecture facile, adjectif seyant bien à notre époque qui exècre l’effort. On y croise, outre le personnage principal, quantité d’autres figures célèbres, comme Freud (dont l’auteur imagine la rencontre avec Brenner à Londres), Moïse ou encore Rudolf Rocker, anarchiste allemand qui épousera la cause du yiddish.
Au sujet de la naissance de l’hébreu moderne, on connaît bien l’action d’un Éliezer Ben Yehuda, lexicographe de génie qui consacra sa vie à faire renaître une langue, avant lui largement cantonnée à des usages religieux. Dans des pages très instructives, l’auteur relate comment l’hébreu moderne est né tout autant de l’œuvre de ces pionniers que de celle des héros anonymes que furent les enseignants – et notamment les jardinières d’enfants – qui permirent à toute une génération d’enfants de pionniers de balbutier leurs premiers mots dans cette langue ancienne-nouvelle. L’abandon du yiddish, leur langue maternelle, fut vécue par beaucoup des premiers hébraïsants comme un déchirement.
L’éthos sioniste
L’auteur dresse également le portrait de cette “Deuxième alyah” dont fait partie Brenner, génération de jeunes Juifs idéalistes venus de Russie et “montés” en terre d’Israël pour la construire et pour se construire. Influencés par Tolstoï tout autant que par les idées socialistes, ces pionniers ont exercé un rôle capital dans la formation de l’éthos sioniste, ainsi que dans la fondation des kibboutz et d’autres institutions essentielles. La manière dont Pinhas-Delpuech mêle récit et narration, biographie et réflexion, y compris des pages très personnelles sur son rapport à l’hébreu et au judaïsme, est très moderne. Son livre donne envie de découvrir Brenner, grand écrivain hébreu assassiné, qui mériterait d’être – enfin – traduit en français.
Rosie Pinhas-Delpuech, Le typographe de Whitechapel, Actes Sud 2021.
© Pierre Lurçat
Pierre Lurçat a notamment traduit en français l’autobiographie de Vladimir Jabotinsky.
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