L’Analyse d’Edith Ochs. Sarah Halimi : La Cassation, un baroud d’honneur ?

Une Commission d’Enquête parlementaire, présidée par Meyer Habib, a été chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire Sarah Halimi. Le député des Français de l’étranger ne cache pas le dégoût et la frustration endurés durant ces 5 mois, les trous de mémoire des témoins qui n’avaient jamais été interrogés, une reconstitution qui n’avait jamais eu lieu, les mensonges, la solitude, le silence des médias…

Dans les premiers jours de 2022, il a fait part de ses doutes sur i24 : « J’attends le rapport de la commission, mais je ne suis pas sûr de le signer, » a-t-il précisé.

Un ouvrage collectif intitulé L’Affaire Sarah Halimi, ou l’éradication du sujet, sous la direction de Michel Gad Wolkowicz, sort en janvier chez David Reinharc Éditions. Il rassemble une dizaine d’auteurs, psychanalystes, journalistes, historiens, avocats, qui conduisent à une autre lecture du sujet [1].


Sarah Halimi est morte défenestrée le 4 avril 2017 à 4h50 du matin à Belleville. Pendant 40 minutes, le quartier a été tenu en éveil par ses hurlements mêlés aux imprécations de son tortionnaire. Les voisins ont alerté la police. Que pouvaient-ils faire de plus ?

La police, présente en nombre, a protégé les lieux. Elle n’est pas intervenue. Les sapeurs-pompiers n’ont pu que constater le décès.

« La Cour de Cassation a respecté le droit, » a martelé le Garde des Sceaux en avril 2021, quand l’institution judiciaire a rendu un ultime avis sur l’assassinat.

Alors que le public qui suivait l’affaire attendait avec anxiété la décision de justice, le ministre confirmait ainsi qu’aucun autre avis n’aurait pu être rendu : la vérité était dite par sa bouche, l’espoir avait été illusoire.

Autrement dit, avant même que cette décision ne soit officielle, les avocats, les familles, le public et toutes les autorités bien informées savaient qu’il n’y aurait pas de révision du procès, ils le savaient probablement depuis des semaines, voire des mois. Sans doute depuis l’avis rendu en appel en décembre 2019.

C’était donc un baroud d’honneur

C’était donc un baroud d’honneur.

Il ne restait plus qu’à se livrer au rite de notre époque, rassemblement ou manifestation silencieuse. On laissa la foule s’amasser au Trocadéro dans les jours qui suivirent, avec distribution de tracts et de masques de couleur pourpre, réclamait « Justice pour Sarah ». On lui promit une future loi Sarah Halimi destinée à « combler un vide juridique sur l’irresponsabilité pénale » et la maire de Paris annonça qu’il y aurait une place à sa mémoire.

En prétendant que le peuple, le bon peuple devait se satisfaire de ces promesses, on ajoutait l’injure à l’injustice.

Le cannabis rend-il fou ?

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« Le problème est que le droit permet à ce que l’on retienne l’irresponsabilité d’un homme, au motif qu’il aurait consommé des produits psychotropes, » expliquait encore le ministre quelques jours plus tard sur RTL. Formule ampoulée, maintes fois répétée dans les medias, désuète si elle a jamais existé, peut-être destinée à faire autorité.

C’est d’ailleurs un point sur lequel il a l’air particulièrement pointilleux. « Je suis totalement en désaccord avec l’idée que l’on puisse juger des fous, c’est ce que l’on faisait au Moyen-Âge. Les fous il faut les soigner, » renchérit-il sur tous les plateaux. « On ne juge pas, et on ne jugera pas les fous», répète-t-il encore devant les députés lors de leur ultime vote. Il faut toutefois souligner ici la confusion opérée par le garde des Sceaux entre la folie, et l’abus de substances psychotropes. Fou, aliéné, dément, illuminé ? Pourquoi ne pas parler de malade ou de drogué ? Tout homme de loi, formé à la dure école du droit, pèse ses mots — comme nous l’a appris l’orfèvre en la matière que fut Flaubert.

Mais si le cannabis rend fou, pourquoi tant de députés souhaitent-ils le légaliser, et depuis si longtemps ? Nul n’ignore, depuis belle lurette, les services qu’il a rendus pour stimuler le courage des guerriers depuis l’époque des Hashishins.

Protéger sa population

Ecœurement ou colère ? ll faut comprendre l’émotion de la population juive de France. Non seulement la police n’est pas venue au secours de Sarah Halimi pendant qu’elle se faisait massacrer dans sa chambre, mais la justice française ne jugera pas. Pas d’enquête véritable, pas de procès, personne ne s’exprimera au nom du peuple français.

Comme tout racisme, l’antisémitisme existe dans toutes les sociétés, au moins à l’état larvé, comme une méfiance. Mais tant que l’Etat défend toute sa population à égalité, rien n’est à craindre, dans cet esprit d’égalité qui est inscrit aux frontons des écoles et des monuments. Dans l’empire Ottoman, les musulmans avaient des droits que les autres communautés n’avaient pas, y compris devant la loi. En Russie, le tzar Nicolas II considérait les pogroms comme « un phénomène naturel », comme le confirme une lettre à sa mère écrite en 1905. Dans l’Allemagne de Hitler, dès les années trente, le droit a été modifié pour écarter les Juifs, les isoler et les assassiner. Dans la France de 1940 aussi, Pétain a commencé par modifier le droit en faisant voter l’infâme « statut des Juifs ».

Aussi longtemps que le peuple français, toutes origines confondues, est défendu à égalité, les Juifs n’auront rien à craindre en France. Mais… comment ne pas s’interroger ici ? Quelle autre communauté aurait été ainsi traitée à la légère, méprisée ? Porteurs des Tables de la Loi, les Juifs ont pour tradition de respecter le droit de leur pays. Serait-ce une raison suffisante pour ne pas respecter leurs droits, devant la justice, à égalité ?

Un baroud d’honneur

Cette ultime démarche auprès de la cour de Cassation était donc un baroud d’honneur. D’après le Petit Robert, la définition de cette locution, est celle-ci : « Dernier combat d’une guerre perdue, mené pour sauver l’honneur. »

Mais quel honneur peut-on encore sauver ? L’honneur de celle qui fut assassinée, ou l’honneur de sa famille, de ses enfants, ou l’honneur de tous ceux qui se sont battus en vain pour qu’il y ait un procès en bonne et due forme ? L’honneur des Français peut-être ?

Car en l’occurrence le fait que Sarah Halimi a été assassinée en tant que juive signifie que la victime est choisie au hasard, elle est même niée, privée de ses caractéristiques : elle aurait pu être n’importe qui, juive ou non juive, homme ou femme, jeune ou vieille, voire une personne considérée comme juive, l’intime conviction de l’assassin l’emportant sur l’identité propre de la victime, l’aveuglant, le guidant.

Privée de ce qu’elle est sauf ceci : la victime est juive, ou du moins l’assassin le croit, veut le croire. Mais que veut dire ce mot, seul : juif ? Qui désigne-t-il ? Signifie-t-il, disons-le simplement, qu’elle a une « religion » différente, qu’elle prie autrement, debout par exemple, qu’elle prie un autre dieu que le sien ? A-t-elle en public un comportement étrange ?

Pas du tout. Le mot « juif » ici ne signifie probablement guère plus que : elle n’est pas musulmane comme moi et les miens, elle ne prie pas comme moi et ma famille, elle ne prie pas Allah. Guère plus sans doute.

Puisque l’antisémitisme est le mobile de l’assassinat, puisqu’elle a été assassinée en tant que juive, on est en droit de considérer que n’importe quel Juif aurait pu être la victime. Et puisque nul ne peut distinguer à l’œil nu un juif d’un autre être humain (même les nazis en étaient incapables), il s’ensuit que tout individu aurait pu être massacré à la place de Sarah Halimi. Sous l’emprise de sa « bouffée délirante », qui dit que cet individu pouvait même distinguer une couleur de cheveux, de peau, celle du ciel ou de la terre ? C’est en cela que nous sommes tous concernés.

Tous, Juifs et non-Juifs. Peuple de ce pays. C’est en cela que l’antisémitisme nous concerne tous.

La haine du Juif concerne le pays tout entier. L’aveuglement qui consiste à croire qu’elle se limitera à cet objet précis est absurde. La haine en marche s’en prendra ensuite à ceux qui partagent les mêmes valeurs, à ceux qui les défendent, la police, l’armée, les pompiers, les élus, les journalistes, que sais-je, comme nous le voyons déjà.

Il s’ensuit donc que ce baroud d’honneur est le nôtre, et ce combat perdu, cet honneur perdu, ce sont les nôtres.

© Edith Ochs

[1] Sous la direction de Michel Gad WOLKOWICZ, avec Boualem SANSAL, Georges BENSOUSSAN, Gilles-William GOLNADEL, Richard PRASQUIER, Sarah CATTAN, Daniel SIBONY, Jean-Pierre WINTER, Noémie HALIOUA, Steve SUISSA, Daniel DAYAN, Yves MAMOU, Elie CHOURAQUI, Monette VACQUIN, Jacques TARNERO, Claude BIRMAN, Thibault MOREAU, Paul AMAR, Michel GAd WOLKOWICZ. À paraître mi-janvier.

https://frblogs.timesofisrael.com/sarah-halimi-la-cassation-un-baroud-dhonneur/


L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Edith-Image-3-ConvertImage-1564326678-200x200-1-1.jpg.

Edith est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) « Les Falasha, la tribu retrouvée » ( Payot, et en Poche) et « Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan » (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduits de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.

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