INALCO nous fait part d’une Manifestation scientifique sur la question Le théâtre juif : un objet anthropologique ? et d’un appel à contribution.
L’argumentaire suivant est porté à notre connaissance :
Depuis des siècles, le théâtre (dans toutes ses déclinaisons esthétiques) s’affirme comme une forme d’expression culturelle, à la fois en Occident et en Orient. Dans le monde dit « occidental », le théâtre est présent, malgré les méfiances (voire proscriptions) d’ordre philosophique (Platon, République III, 394 et X, 604-6) et théologique (Saint Augustin, Confessions, Livre III, 3), et la production théâtrale s’avère foisonnante. Le lien entre théâtre et société – mêlant haine et fascination – a fait émerger des champs de réflexions socio-anthropologiques divers. En 1956, Erving Goffman postulait « la mise en scène de la vie sociale », c’est-à-dire une théorie à travers laquelle il opérationnalisait la notion de théâtre au profit d’une interprétation de la vie humaine comme performance scénique et comme jeu d’acteur.
Au sein du judaïsme, le théâtre fait l’objet de prises de position contradictoires, et ce, sous le fond d’une pénurie de témoins textuels, de l’Antiquité jusqu’à la Renaissance italienne précisément. La condamnation du théâtre dans le judaïsme n’est attestée que tardivement, dans le Talmud de Jérusalem Avoda Zara (18b9, 16, 18), dans une baraïtha datant probablement des premiers siècles de l’ère chrétienne : « Nos maîtres ont enseigné : il est interdit d’aller au théâtre et au cirque car on y fait des sacrifices idolâtres : paroles de Rabbi Meïr. »
Nonobstant la tension entre la pratique et la norme, le théâtre est bel et bien présent parmi les Juifs. Outre quelques mentions dans la Lettre d’Aristée, chez Philon et dans des inscriptions, nous savons qu’un dramaturge juif se trouvant en exil à Alexandrie écrit en grec, en 200 av. J.C., une pièce intitulée L’Exagôgué, dont seulement quelques fragments nous sont parvenus. La pièce, connue comme tragédie, reprend l’épisode de l’Exode biblique.
Des siècles plus tard, Yehuda Sommo, un érudit juif vivant à Mantoue, en pleine Renaissance italienne, écrit une première pièce de théâtre en hébreu (Éloquente comédie du mariage-farce), ainsi qu’un premier traité d’esthétique théâtrale (Quatre dialogues en matière de représentation théâtrale). Ce dernier, écrit en italien, constitue à la fois un « dialogue » polémique avec La Poétique d’Aristote et une réévaluation des origines du théâtre qui seraient, selon lui, bibliques et kabbalistiques. Chez Yehuda Sommo, la question du corps (et de ses potentiels scéniques) passe avant le texte théâtral (comme dramaturgie) et affirme ainsi une nouvelle histoire du théâtre reliée au judaïsme, d’autant plus que ces pièces sont d’inspiration biblique et talmudique.
L’influence juive-italienne sera déterminante pour la suite des développements dans l’écriture dramatique et les formes poétiques de la langue italienne conditionneront l’évolution de la métrique de la langue hébraïque. En même temps, fleurit l’intérêt pour la traduction en hébreu des œuvres littéraires diverses, parmi lesquelles l’écriture et la réécriture dramatiques. Cette double influence est percevable, par exemple, chez un auteur hollandais comme David Franco Mendes, influencé dans son écriture du drame Athalie, à la fois par Moshe Haïm Luzzatto, par le théâtre français et par l’oratorio viennois.
Dans tous ces cas, le rapport à la langue hébraïque reste fondamental, car la question – parfois implicite et parfois explicite (voir Moshe Haïm Luzzatto, Lishon Limmudim sur les lois de la poésie hébraïque) est de savoir si l’hébreu, en tant que langue, peut être aussi véhicule de littérature profane.
Autrement dit, est-ce que le théâtre peut être conçu comme un médium du sujet juif ?
Au vu de ces témoins textuels et de ces auteurs qui font figure de fondateurs, comment penser le théâtre au sein du judaïsme ? Comme un objet anthropologique travaillant à la construction et à l’affirmation d’une judéité appréhendée selon son rapport au théâtre ? Autrement dit, est-ce que le théâtre peut être conçu comme un médium du sujet juif ? Est-il (aussi) un objet polémique suscitant une relecture de la Poétique d’Aristote à l’aune du postulat des origines hébraïques (et religieuses) du théâtre ? Y a-t-il une pensée esthétique juive du théâtre décelable depuis Ézéchiel le Tragique, en prenant en compte les œuvres postérieures à lui (adaptations bibliques, Purimspiel, théâtre yiddish, théâtre judéo-espagnol, théâtre mémoriel, théâtre israélien contemporain, théâtre juif en d’autres langues que l’hébreu) ? Peut-on considérer le théâtre juif indépendamment de ses liens avec la Bible ? Sous quelles formes ? Qu’en est-il des sujets historiques et bibliques que l’on trouve chez la plupart des auteurs ?
A qui s’adresse cette journée d’études
Cette journée d’études s’adresse principalement aux doctorants issus des champs disciplinaires divers, qui portent un intérêt particulier aux langues juives dans leur rapport au théâtre et/ou aux dimensions anthropologique du spectacle vivant. Toute autre contribution issue de la communauté académique ou artistique est la bienvenue.
Les propositions (en français ou en anglais), d’environ 250 mots, doivent être adressées aux membres du comité d’organisation : alexandru.bumbas@inalco.fr et anamarija.vargovic@inalco.fr avant le 20 février 2022, à minuit (heure de Paris).
Les propositions seront accompagnées d’un bref profil bio-bibliographique. Les interventions retenues seront communiquées courant mars 2022. Les langues de l’événement sont le français et l’anglais.
Les actes de la journée d’étude pourront être publiés dans un numéro spécial sur la plateforme artistique-académique en ligne IN VIVO ARTS : http://invivoarts.fr/
© INALCO, Paris
Le Comité d’organisation est formé d’Alexandru BUMBAS, docteur en Études Théâtrales (Sorbonne Nouvelle) et doctorant en Études Juives (INALCO), et d’Anamarija VARGOVIC, doctorante en Études Juives, INALCO.
https://www.fabula.org/actualites/le-theatre-juif–un-objet-anthropologique-_105796.php
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