Le procès des attentats du 13 novembre 2015 devrait reprendre jeudi 6 janvier ou dans les jours qui suivent avec l’interrogatoire des accusés. Philippe Duperron, le président de 13Onze15, dresse un premier bilan après quatre mois d’audience.
Philippe Duperron est le Président de l’association de victimes 13Onze15. Lui et sa femme ont perdu leur fils Thomas, 30 ans, au Bataclan. Depuis septembre, cet ancien avocat alençonnais est présent à l’audience chaque jour. Avant la reprise du procès, (jeudi 6 janvier ou dans les jours qui suivent), avec l’interrogatoire des accusés, il nous livre ses impressions sur ces premiers mois d’audience. Et ce qu’il a appris.
Un tiers du procès a désormais eu lieu. Jusqu’à présent, diriez-vous qu’il se déroule de manière sereine ?
Le procès se déroule comme on avait pu l’espérer, de manière exemplaire. Les conditions d’accueil des parties civiles ont été soignées. Le président de la cour d’assises assure la police de l’audience avec délicatesse. Il a laissé le temps à chaque victime de s’exprimer. Vis-à-vis des accusés, il sait les recadrer quand l’un d’entre eux veut prendre la parole de manière intempestive. Enfin, la web radio, qui retransmet l’audience et qui n’est accessible qu’aux victimes, est un moyen parfaitement adapté à celles qui ne peuvent pas se déplacer. Seul bémol, les personnes résidant à l’étranger, et parfois en outre-mer, n’y ont pas accès.
Les témoignages des victimes, en novembre, ont constitué un moment fort. Qu’ont-ils apporté à la compréhension des attentats ?
D’abord, ces témoignages étaient nécessaires. Pour ceux qui se sont exprimés, il y a eu un effet cathartique. On entrait un peu en thérapie. Ensuite, ils ont permis d’éclairer sur la gravité du traumatisme causé par ces attentats. Le Stade de France, par exemple, fut le premier des lieux des attaques. Il y a eu un mort, de nombreux blessés. Mais on en parle relativement peu. Au procès, on a pourtant pu mesurer combien le traumatisme, notamment en termes psychiques, avait été important pour les victimes du Stade de France. Idem pour celles des terrasses. Or, au moment de rendre leur verdict, les juges vont tenir compte de la réalité de ce traumatisme. Et donc, ces témoignages étaient nécessaires.
Vous avez perdu votre fils au Bataclan. Vous êtes président de 13Onze15 et connaissez parfaitement le dossier. Avez-vous néanmoins appris des choses durant ces quatre premiers mois d’audience ?
Nous, parents de victimes décédées, avons d’abord mieux compris ce qu’avaient vécu nos enfants lors de leurs derniers instants. Mais on a aussi pu mesurer tout le traumatisme des survivants. Il y avait forcément une forme d’opposition avec les rescapés qui nous disaient parfois que nous, nous n’avions pas vécu la violence des attaques. Et nous, on avait tendance à leur répondre que nos enfants ne sont plus là pour le dire alors qu’eux sont encore en vie. Mais en entendant les témoignages des survivants, on a pu mesurer que s’ils sont effectivement toujours en vie, ce n’est plus la même vie. Et que nombre d’entre eux en garderont quelque chose d’indélébile.
Plusieurs accusés, en décembre, ont choisi de ne pas comparaître. Les derniers jours, Salah Abdeslam et Osama Krayem manquaient encore à l’appel. Redoutez-vous que leur absence perdure ?
D’abord, il m’aurait semblé logique que Salah Abdeslam et Osama Krayem réintègrent le box après les témoignages des enquêteurs belges puisque leur absence constituait, selon eux, une forme de réponse à l’absence de ces policiers (N.D.L.R. : ces derniers ont témoigné par visioconférence et de manière anonyme). Mais ce ne fut pas le cas. Ils ont continué à refuser de comparaître. Dont acte.
Ensuite, il était important qu’ils soient présents, avant cela, lorsque les parties civiles ont témoigné afin que les accusés entendent ces douleurs restituées. Désormais, nous souhaitons tous qu’ils reviennent au procès. Et que dans la mesure du possible, ils apportent leur contribution à la vérité. Mais dès le premier jour, le président de la cour d’assises a rappelé que ce procès historique devait rester dans la norme. Or, la norme du droit permet aux accusés de garder le silence ou de refuser de comparaître . Dont acte. Il n’y aura donc pas de frustration de notre côté car nous n’attendons rien de particulier de leur part.
L’audition des enquêteurs belges aura mis en évidence les ratés de la police belge avant les attentats. Il y en eut aussi du côté français. Ces constats ont-ils suscité de la colère ?
Nous ne sommes pas là pour faire le procès des institutions. Aujourd’hui, on porte un regard rétrospectif à la lumière de ce que l’on sait. Et on voudrait réécrire l’histoire. Pourtant, il faut bien se satisfaire de l’histoire telle qu’elle s’est déroulée. L’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve l’a bien dit : les autorités et services français ont agi à la lumière de ce qu’ils savaient. Tout en ajoutant qu’il n’y avait pas un jour où il ne se demandait pas ce qu’il aurait pu faire pour que ces attentats n’arrivent pas.
Alors oui, au sein de l’association, certains restent assez remontés. Mais ne nous trompons pas de cibles. Ce n’est pas le procès des services secrets ni des politiques. C’est le procès de ceux qui sont dans le box des accusés.
La crise sanitaire continue d’inquiéter. La campagne présidentielle va entrer dans sa phase la plus active. Ne craignez-vous que ce procès historique passe au second plan ?
La question que je me pose est : est-ce qu’une majorité de Français se sent très concernée par ce procès ? Ils savent évidemment qu’il existe même si tous n’ont pas intégré qu’il durait neuf mois. Mais pour certains, c’est comme si la messe était dite. Ils attendent un verdict et forcément des peines vont être prononcées. Mon sentiment est que ce procès présente un intérêt surtout pour ceux qui ont vécu ces attentats de très près ou d’une manière un peu indirecte. Et je pense que ces personnes intéressées par l’audience le resteront.
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