“Cela ressemble à un film qui n’en finit pas”, a déclaré Jean Castex lors de l’annonce des nouvelles mesures du gouvernement pour contrer l’extrême contagiosité du variant Omicron, désormais majoritaire, après les tests effectués ces derniers jours.
Un film, oui. Un very bad trip mondial, le plus interminable long métrage de l’histoire du cinéma, vingt-et-un mois de direct continu, avec rebondissements et effets spéciaux. Et quelques bons gags absurdes. Comme interdire de consommer au comptoir dans les cafés mais pas assis à table. Ou imposer pour les rencontres sportives une jauge à 5000 que le stade contienne 6000 places ou 67 000. Ou encore le retour à l’obligation de porter un masque en extérieur dans de nombreux départements. Si on peut comprendre cette mesure lorsqu’on est, par exemple, dans un marché, sans aucune distanciation, pourquoi l’appliquer partout de façon identique ? Aucun consensus médical n’existe sur le sujet. L’argument le plus drôle entendu ? « Bah, comme ça on garde l’habitude de porter son masque, c’est pas plus mal… ». On aura bientôt un cerveau rééduqué : sentir son visage masqué sera normal, le sentir nu deviendra « anormal », un peu comme se retrouver brusquement le derrière à l’air en pleine rue. Sale époque.
« Honneur aux Français qu’on dit réfractaires, rebelles, ingouvernables et qui ont fait preuve d’une maturité incroyable depuis le début de la pandémie. »
N’accablons pas nos dirigeants. Ils doivent faire face à une perpétuelle double injonction : agir vite pour protéger efficacement le plus grand nombre, sans sacrifier l’économie, tout en assurant leurs arrières pour ne pas risquer d’être traînés en justice si on s’avisait qu’ils avaient été négligents. Cela a de quoi rendre fou. Le tout sur fond de campagne présidentielle où il est d’usage de critiquer par principe toute proposition d’un adversaire. Ainsi, on se demande si la décision la plus raisonnable concernant l’école n’aurait pas été de retarder la rentrée scolaire de huit jours comme proposé par Valérie Pécresse. Vu l’impréparation des établissements et la contamination qui exige l’isolement obligatoire des profs et des élèves, ce n’était pas absurde. Mais justement une décision absurde est devenue une option recevable si on estime qu’elle impressionne politiquement et donne le sentiment de faire quelque chose. Et puis, on risquait de croire que Jean Castex, chef du gouvernement de la macronie, se mettait « dans la roue » de la candidate LR. Horreur…
Covid-19 : un film qui n’en finit pas, donc. Avec des bons, des brutes et des truands.
Les bons
Honneur aux Français qu’on dit réfractaires, rebelles, ingouvernables et qui ont fait preuve d’une maturité incroyable depuis le début de la pandémie. Ils sont désormais “totalement vaccinés” à 73% malgré les fake news et les théories complotistes. Ils se sont faits tester massivement pendant les fêtes, soucieux de protéger leurs proches, leurs aînés. Ils avaient adhéré (presque) comme un seul homme à la stratégie du tout vaccinal, avec la promesse de pouvoir ensuite « vivre normalement ». Malgré la promesse non tenue à cause de l’irruption des variants, ils ont continué à observer les règles sanitaires sans râler. Les restaurateurs ont accepté de devenir contrôleurs de passes sanitaires. Les grosses et moyennes entreprises ont pu continuer grâce aux bonnes mesures gouvernementales. Le monde de la culture est lessivé mais stoïque. Le petit commerce souffre : c’est lui qui est le plus impacté par la désaffection des centres-villes et le télétravail. Mais les milliers de Français concernés font plutôt preuve d’une incroyable résistance et résilience.
Les brutes
Nous n’avons pas, grâce à Dieu, en France, de brutes épaisses à la chinoise. Fin décembre, dans la région du Guangxi, des suspects accusés d’avoir mis en péril les règles anti-Covid ont été obligés de “parader” avec des menottes et une pancarte autour du cou. L’humiliation publique façon révolution culturelle sous Mao fait partie des mesures disciplinaires prises cet été par le gouvernement local pour lutter contre les réfractaires.
« La solidarité internationale n’est pourtant pas qu’une mesure d’aide aux plus démunis. Elle nous protège aussi d’une éternelle circulation du virus et de ses variants. Elle seule peut permettre qu’un jour prochain, le « film qui n’en finit pas » affiche son générique de fin. »
Chez nous, rien à voir, la brutalité est plus sophistiquée. Ainsi André Grimaldi, professeur émérite au CHU-Pitié Salpêtrière, s’interroge dans une tribune au JDD : « Une personne revendiquant le libre choix de ne pas se faire vacciner ne devrait-elle pas assumer en cohérence son libre choix de ne pas se faire réanimer ? ». On a beau être agacés par les réfractaires au vaccin qui sont l’immense majorité des cas de réanimation, il est insupportable de voir des médecins traiter avec autant de désinvolture leur serment d’Hippocrate. Rationnaliser, trier, faire disparaître les « indésirables » au nom d’une logique économique et administrative triomphante à l’hôpital : on se croirait dans le dernier roman de Michel Houellebecq, Anéantir …
Même incompréhension pour ce tweet, malheureux, de Raphaël Enthoven qui souhaite “la bonne année à tous sauf aux antivax qui sont vraiment soit des cons, soit des monstres.” Brutal. On préfère quand le philosophe lutte contre la cancel culture plutôt que lorsqu’il exclut, au nom de la raison, ceux qui ne pensent pas comme lui.
Les truands
Dans la catégorie truands, il y a du super calibre et du menu fretin. Les petits marlous qui fabriquent des faux passes sanitaires. Et la grosse canaille qui s’enrichit grassement sur le malheur des autres. On ne citera pas les chiffres hallucinants des profits réalisés par les géants du numérique comme Amazon qui, rappelons-le, ne payent toujours pas d’impôts en France, ou si peu. Plus grave, comment ne pas regretter que les laboratoires pharmaceutiques qui ont réalisé des milliards de bénéfices grâce aux vaccins ne fassent pas preuve de plus de générosité envers les pays émergents (Afrique, Asie, Inde) qui ont très peu vacciné leur population ? Certes, lever des brevets afin de fabriquer des génériques est un dossier complexe. Et ce n’est pas la panacée absolue : quand on manque de vaccins, souvent on manque aussi de tests, de seringues, de masques, de personnels formés pour la pandémie… Certes, des progrès sont faits : Pfizer a partiellement levé son brevet dans 95 pays, mais se refuse à généraliser l’accès à sa technologie. Vingt-et-un mois après le début de la pandémie, nous sommes encore loin du compte. La solidarité internationale n’est pourtant pas qu’une mesure d’aide aux plus démunis. Elle nous protège aussi d’une éternelle circulation du virus et de ses variants.
Elle seule peut permettre qu’un jour prochain, le “film qui n’en finit pas” affiche son générique de fin.
© Valérie Toranian
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