Michael Grynszpan lance une bouteille à la mer. « Spider-Man, Golan et moi »

Spider-Man, Golan et moi, Chronique d’une histoire vraie en 10 actes

Acte 1 – Un rêve d’enfant

Comme beaucoup de petits garçons en France et dans le monde, j’adorais lire les magazines BD Strange avec des super-héros tels que Daredevil, Iron Man, les X-Men et surtout mon préféré : Spider-Man, l’incroyable, fantastique, acrobatique et courageux « homme-araignée ».

On se souvient tous du dessin animé à la télé. Les gamins de l’Hexagone chantaient à tue-tête pendant les récréations :

« L’Araignée, l’Araignée
Est un être bien singulier
Dans sa toile, il attend
D’attraper les brigands
Prends garde !
Car l’Araignée est là… »

Comme beaucoup d’autres, Spider-Man m’a fait rêver et m’a sans doute influencé. C’est probablement grâce à ce super-héros que j’ai toujours aimé escalader les rochers, grimper aux arbres bien sûr, mais aussi sur les portes, les armoires, les toits, les voitures… Combien de bêtises avons-nous tous pu faire à 7 ou 8 ans, en prenant des risques déraisonnables parce que nous croyions avoir des supers pouvoirs…

Le fait que Peter Parker (Spider-Man dans le civil, NdA) soit journaliste et photographe m’a peut-être inspiré dans ma décision d’étudier le cinéma puis de réaliser des films et reportages. Nostalgique, j’ai même gardé certains vieux exemplaires de Strange et – oserai-je l’avouer – il m’arrive d’en relire un de temps en temps.

Bien plus tard, j’ai appris que le papa de ces super-héros, Stan Lee, était né Stanley Martin Lieber. Spider-Man était donc aussi, tout comme Superman, un peu juif.

Acte 2 – Menahem Golan

Un géant du cinéma. Le roi des films d’action à Hollywood. Et quelle personnalité : un fonceur qui n’a peur de rien, un self-made-man bouillonnant, un Bernard Tapie à l’israélienne. Menahem Golan et son cousin Yoram Globus sont tous deux originaires de Tibériade. Passionné depuis l’enfance par le cinéma, Golan réalise ses premiers films en hébreu. Son cousin Globus le rejoint en tant que producteur. Leur premier succès : la comédie musicale « Kazablan » qui est devenue un film culte en Israël – un West Side Story version locale avec un beau sépharade amoureux d’une belle ashkénaze

Puis, armés de beaucoup de Houtzpah [« le culot », NdA] les deux cousins partent conquérir l’Amérique. Ils connaissent une réussite météorique, deviennent vite riches et très influents. Leur société de production indépendante Cannon crée des dizaines de films au succès international. Au total, Menahem Golan a produit plus de 200 films et en a réalisés plus de 40.

Il disait : « Hollywood est un endroit où tu es soit un chauffeur de taxi, soit un magnat. Nous sommes allés là-bas (avec son cousin Globus) et grâce à Dieu nous ne sommes pas restés chauffeurs de taxi ». Il a par exemple réalisé un célèbre film sur l’opération Entebbe pour lequel il a été nominé aux Oscars. Il a d’ailleurs été nominé environ 17 fois aux Oscars mais sans jamais en remporter.

Superman IV, c’est lui. Captain America, c’est lui. Cobra et Over the Top avec Stallone, c’est lui. Jean-Claude Van Damme, c’est lui. Sharon Stone, Chuck Norris, Charles Bronson, c’est lui. De grands réalisateurs faisaient la queue pour le rencontrer et qu’il daigne lire leurs scenarii. La popularisation de la break dance et des films ninja, c’est lui. Il a aussi produit de grands artistes lorsqu’ils étaient abandonnés des autres : Robert Altman, Cassavetes et même un certain Jean-Luc Godard.

Cannon films a aussi investi en Europe et dans le monde : des studios de production, des jeux vidéo, des salles de cinéma. Bref ils sont boulimiques et culottés – et ça marche.

Beaucoup de critiques affirment que Golan-Globus avaient mauvais goût et produisaient des films exécrables. Mais ce n’est que partiellement vrai, ils ont aussi produit quelques beaux films et ont marqué une époque.

Acte 3 – Faillite

La roue tourne pour les Go-Go boys (surnom du duo Golan-Globus). Et dans le mauvais sens. La société de production Cannon dont tout le monde parle s’enivre de son succès et dépense de plus en plus. Trop. Ils se brûlent les ailes. Ils se lancent dans des projets de films aux budgets colossaux et irréalistes. Ils ont notamment dans les années 80 une idée en avance sur son temps : produire un film sur Spider-Man. Menahem Golan avait prévu de tourner dans ses studios en Angleterre et les extérieurs à Tel Aviv. Imaginons ce qu’aurait pu faire le super-héros sur le Dizengof Center, sautant sur un bus devant un vendeur de falafel et grimpant sur la mairie de Kikar Rabin…

Mais Spider-Man a attrapé Golan dans sa toile : il a fait exploser les comptes, plus de dix millions de dollars investis pour rien. Golan s’est battu pendant dix ans pour ce film, de 1986 à 1996. Finalement la société de production de Golan, la 21st Century Film Corporation, qui avait promis son soutien au film fait faillite et coule le projet.

Les deux cousins se brouillent, se séparent et ne se parlent plus pendant vingt ans.

Acte 4 – Ma première rencontre avec Menahem Golan

Un ami organise un diner dans sa maison de Yafo. Sa mère prend des cours de yoga avec la femme de Menahem Golan, leur voisin, qui est également invité au diner. Je le rencontre donc pour la première fois et nous sommes même assis l’un à côté de l’autre à table. Quelque peu intimidé par ce monument vivant, il me met à l’aise et plaisante. Nous discutons cinéma. Il aime tellement le septième art qu’il peut en parler des heures. Il est avenant, bonhomme et bon vivant.

Je reste cependant un peu tendu pendant la conversation, je me demande si ce qu’on raconte sur lui est vrai : il aurait souvent créé des scandales, pouvant parfois être violent. Lors du tournage du film sur l’opération Entebbe, il se serait emporté contre un acteur pas assez docile à son goût, aurait saisi le fusil d’un militaire et l’aurait pointé devant la tête du pauvre homme pour le menacer.

Lorsqu’on lui demandait comment réussir à faire du cinéma, il répondait « Vous devez vous donner tout entier pour votre film. Oubliez votre autre vie. Rêvez de votre film. Volez l’argent. Tuez votre tante, prenez son argent et faites votre film ! »

Je trouve Menahem Golan fort sympathique pendant ce diner mais, comment dire, sa mâchoire carrée laisse parfois apparaitre un sourire carnassier.

Acte 5 – Une seconde rencontre plus formelle

Quelques mois plus tard, je prends rendez-vous avec Menahem Golan car j’ai un projet à lui soumettre.

J’arrive dans sa maison de la rue Rabbi Hanina à Yafo, prend l’ascenseur jusqu’au dernier étage et découvre un grenier aménagé en bureau. Des posters de ses films sur les murs, son « Prix Israël » en évidence et des piles de manuscrits.

Je retrouve cet homme âgé, au physique d’ancien boxeur et au caractère de gladiateur. Impressionnant de voir un homme de plus de 80 ans avec tant de projets et de rêves.

Il m’écoute à peine lui présenter mon idée, mais me parle de la sienne : il me remet un manuscrit écrit de sa main. Et me dit : « Lis ce scenario, c’est excellent, il est basé sur une histoire vraie, un jeune juif français qui a été un enfant caché pendant la Shoah puis vient se battre pendant la guerre d’indépendance en Israël alors qu’il n’était même pas majeur. Il a menti sur son âge pour être accepté. Tu dois connaitre des producteurs en France, des chaines de TV, propose-leur ! »

C’est un peu le monde à l’envers : le grand producteur qui a fait trembler Hollywood me demande maintenant de lui trouver une production pour son film.

Puis il note mon nom, adresse et numéro de téléphone sur un cahier et me dit : « Fais bien attention à ce scenario, c’est mon seul exemplaire ».

Je lui demande s’il a une sauvegarde du fichier électronique, il me répond que non car son vieil ordinateur s’est cassé.

Lorsque je quitte son bureau, il me salue et insiste « tu verras, ça va faire un beau film. Fais bien attention à ce scenario et fais bien attention à toi ».

En m’éloignant, je reste avec ces mots étranges qui résonnent encore…

Que voulait-il dire avec « fais bien attention à toi » ? Etait-ce de la politesse ou une menace ?

Acte 6 – Le scenario de Menahem Golan

De retour chez moi, je lis son scenario écrit en anglais, 106 pages dactylographiées. Basé sur une histoire vraie et très émouvante. Samuel est un enfant juif caché en France pendant la guerre par des justes Chrétiens. Il change de prénom et se nomme désormais Jean-Marc. Il cache certaines coutumes juives, il prie par exemple en secret en hébreu lorsqu’il va à l’Eglise. Ses parents lui manquent, il ne sait pas s’ils sont vivants et leur écrit des lettres en ladino. Ils survivent par miracle à la guerre mais lorsqu’ils retournent dans leur maison, quelqu’un d’autre l’occupe. A 15 ans il monte en Israël et participe à la guerre d’indépendance. Le narrateur du film est le petit Samuel devenu adulte et habitant à Haïfa. Un journaliste français vient entendre son histoire. Ils voyagent ensemble en Israël et en France sur les traces du petit garçon caché. Le scénario raconte avec émotion ces drames qu’ont vécu tant de juifs au vingtième siècle.

J’écris à quelques producteurs en France et aux Etats Unis, mais personne ne semble intéressé. Les mêmes qui lui faisaient des courbettes du temps de sa splendeur, méprisent maintenant le nom de Golan, ils croient perdre leur temps si précieux s’ils devaient lire son scénario.

Acte 7 – Le combat

Israël est tout petit, tout le monde se croise un jour. Mais cet endroit-là était le plus improbable pour une nouvelle rencontre avec Menahem Golan : dans une tour à Tel Aviv, au Ministère du Trésor ! Oui les Impôts. Ce jour-là j’avais une selle dans la main, une selle que je retire toujours de mon vélo pour ne pas me le faire voler.

On raconte l’histoire d’un touriste américain qui débarque en Israël et demande à un taxi de le conduire au « Mur des lamentations ». Mais le chauffeur israélien ne comprend pas de quel endroit parle ce touriste, parce qu’il ne connait pas l’expression « Mur des lamentations ». En hébreu on l’appelle « le Mur Occidental ». Alors il emmène son client à l’endroit où les Israéliens pleurent vraiment : le bureau des impôts.

Arrivé au 19ème étage de la tour, je sors de l’ascenseur et entre dans le couloir. Arrivé dans l’open-space des fonctionnaires, je l’aperçois à quelques mètres, c’est bien lui. Menahem Golan en personne mais transfiguré. Il semble furieux et invective les employés « Vous voulez tout me prendre ! ». Il fulmine de rage.

Tout à coup, je prends conscience qu’il ne faut surtout pas qu’il me reconnaisse. C’est très gênant pour lui, je ne veux pas lui faire honte. Et puis je n’ai pas trouvé de producteur pour son scenario, il va m’étrangler.

C’est alors que je perds mon sang froid, mon pouls s’accélère, je vois qu’il va bientôt sortir et me reconnaitre. Nous sommes en danger. Il semble en transe et va bientôt tout casser. En quelques fractions de secondes j’imagine qu’il va me sauter dessus, il faut que je réagisse au plus vite et retrouve mes reflexes d’enfant-homme-araignée. Je m’apprête à sauter pour me cacher derrière un bureau ou grimper en haut d’une porte. Mais si on me voit faire ça, je suis grillé, j’imagine le scandale si la presse s’en mêle : « Incident au Ministère du trésor, un réalisateur s’est mis à sauter sur les tables et à grimper aux murs en se prenant pour une araignée ». Je vois bien qu’il n’est plus Menahem Golan mais Doctor Octopus, il va bientôt étendre ses tentacules de fer et massacrer tout le personnel de l’étage. Urgence. Du sang va gicler sur les dossiers des impôts… S’il me reconnait je suis cuit, je n’ai qu’une selle de vélo pour me défendre. Alors que faire, je suis coincé ! Si Spider-Man se permet lui de faire ses acrobaties, c’est parce qu’il porte un masque. Moi je suis à nu, reconnaissable.

Tout ce chaos traverse mon esprit comme un éclair, mais je n’ai plus le temps, il arrive, j’improvise : je me colle au mur, mets la selle de vélo devant le visage pour me cacher et retiens mon souffle. Je prends un risque énorme. Par chance le monstre Octopus-Golan passe devant moi sans me regarder et sort du bureau en fulminant et fumant de colère. Je reprends enfin ma respiration, sain, sauf et soulagé.

Acte 8 – Adieu l’artiste

Quelques mois plus tard, Menahem Golan décède. Le monde du cinéma israélien est orphelin.

Lors de son enterrement, son cousin Yoram Globus avec lequel il s’était finalement réconcilié, prononce ces mots émouvants : « Menahem aimait tellement le cinéma que si vous le piquiez, c’est un film qui serait sorti de ses veines au lieu du sang ».

Acte 9 – Spider-Man casse la baraque

Le nouveau film de Marvel « Spider-Man No Way home » est premier au Box-office mondial. Il a rapidement franchi la barre des 1 milliard de dollars de recettes.

C’est un peu injuste pour Golan…

A quoi tiennent les choses ? Comme disent les Américains « Timing is everything ».

Acte 10 – Un héros de chair et de sang

Je détiens toujours le manuscrit de Menahem Golan, avec quelques annotations de sa main au stylo bleu dans les marges.

Le petit Samuel, ce jeune juif français caché pendant la guerre et venu se battre avec le Palmach est toujours en vie, il a maintenant 90 ans. Personne n’a fait de film sur lui. Il est resté discret, quasiment inconnu. Il ne portait pas de masque ni de combinaison rouge, ne lançait pas de toile de son poignet. Mais Samuel a échappé aux assassins du 3ème Reich et s’est battu, adolescent sans aucune expérience militaire. A quinze ans Samuel a pris les armes pour repousser les armées de 7 pays arabes venues écraser le tout jeune pays d’Israël. On peut dire que c’est lui le super héros. Pas une araignée, un homme, un homme seulement.

Alors aujourd’hui je lance ce récit comme une bouteille à la mer. Peut-être arrivera-t-elle jusqu’au cœur d’un producteur intelligent. Ce serait le plus bel hommage rendu à Menahem Golan : un dernier film posthume.

Et j’espère que mon texte, écrit avec tendresse et admiration pour lui, dans un style cinématographique, le fera rire là où il est.

THE END

© Michael Grynszpan

Michael Grynszpan est réalisateur de films documentaires et journaliste. Il a travaillé pour des chaines internationales et israéliennes. Né à Paris, il habite depuis plus de vingt ans à Tel Aviv. Parmi ses réalisations:  The Forgotten Refugees,  sur l’histoire des Juifs dans le monde arabe, a été primé et diffusé à l’international mais encore projeté à l’ONU et au Congrès américain. A son actif: « Descendants de nazis : l’héritage infernal » pour France 3, un film sur les descendants de nazis qui ont décidé de se convertir au Judaïsme et parfois d’aller habiter en Israël. « Monsieur Chouchani – Mister Shoshani – מר שושני », maître d’Elie Wiesel et d’Emmanuel Levinas.

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