Sans l’annoncer, bien sûr, Tsahal est devenu, aux yeux des opposants à Bachar Assad, le seul instrument capable de restreindre les entreprises expansionnistes de l’Iran en Syrie.
Ehud Yaari|N12| Publié le 02/01/22 17:57
Le « côté obscur » des fréquentes attaques de l’armée de l’air israélienne se manifeste par le silence assourdissant de toutes les forces opposées à Bachar Assad. Il n’y a pas de messages de condamnation ou, à Dieu ne plaise, de menaces, mais une joie contenue et un plaisir manifeste à chaque préjudice causé à la navigation iranienne et aux gardiens de la révolution – ainsi que toutes les milices qu’ils commandent. Même les membres d’al-Qaïda, qui contrôlent la province d’Idlib – l' »Organisation de libération de la Syrie », ne s’expriment pas et leur chef, Abu Muhammad al-Julani, ne mentionne pas du tout le problème dans ses nombreuses apparitions.
Au sein de ce qui reste des Frères musulmans en Syrie, dont les dirigeants sont exilés à Istanbul, au Qatar et à Londres, ON a publié une déclaration condamnant l’attaque massive contre des dépôts de munitions sur les quais du port de Lattaquié, qu’ils appellent le « poumon vital » de l’État. Dans le même souffle, d’ailleurs, ils condamnent également la présence militaire russe et iranienne en Syrie. Une sorte d’explosion soudaine de patriotisme apparemment pur.
Le rédacteur en chef du journal libanais généralement bien connu Al-Modun, Sate Nur-a-Din, s’est demandé ce que signifiait ce revirement. Sa réponse courte est que les « frères » sont arrivés à la conclusion qu’ils doivent se ranger du côté de l’Iran dans la lutte en coulisses entre lui-même et la Russie pour le contrôle du régime d’Assad.
Les deux bombardements intensifs de Lattaquié le mois dernier, suite au déchargement du porte-conteneurs iranien « Sheba » et tout près de la principale base russe de Khmeimim, sont interprétés par Nour-a-Din comme faisant suite aux encouragements du Kremlin à Israël de frapper les Iraniens, même si les Russes sont stratégiquement aux premières loges.
Cette faction des « frères » a choisi de rechercher le rapprocchement avec l’Iran, et le timing est très intéressant : cela se passe après que le chef de la branche palestinienne des « frères », le Hamas, Khaled Mash’al a rencontré Nasrallah à huis clos lors de sa visite à Beyrouth. Les dirigeants du Hezbollah ont refusé de le rencontrer car il avait déclaré à voix haute qu’il s’opposait à l’adhésion à l’ Arc Chiite, ou la formation des forces iraniennes dans la région. « Les relations avec l’Iran sont une question compliquée », a-t-il déclaré, en raison de sa disqualification par la plupart des Arabes. Remarquez à quel point il se distingue des autres dirigeants du Hamas.
Il y a effectivement pas mal de signes de rivalité entre les Russes et les Iraniens, mais cela n’atteint pas le point de rupture. Moscou et Téhéran ont besoin l’un de l’autre en Syrie, bien qu’ils s’efforcent de réduire l’influence de l’autre. La dernière manifestation de cela a été la destitution ces jours-ci du commandant adjoint d’Assad, le général Zaha Zahlot, parce qu’il a donné carte blanche à l’unité 190 des gardiens de la révolution pour agir à volonté le long de la côte, et est maintenant neutralisé.
Selon l’Institut de recherche Jossur, dirigé par des chercheurs de l’opposition syrienne dans la ville de Gaziantep, dans le sud de la Turquie, l’armée de l’air a mené 28 attaques en Syrie au cours de l’année écoulée, dont 57 dépôts et 187 cibles. Environ 85 % des raids étaient dirigés contre les Iraniens et jusqu’à 2 % contre le Hezbollah. Seulement une frappe a été autorisée contre l’armée d’Assad.
Les chiffres, même s’ils ne sont pas tout à fait exacts, expliquent le comportement des opposants au régime de toutes les nuances politiques : ils voient Tsahal, sans le déclarer, bien sûr, comme le seul outil efficace désormais pour couper les jambes iraniennes en Syrie, alors même que les flammes montent dans le ciel à Lattaquié. On ne relève chez eux aucune rhétorique anti-israélienne.
Bien sûr, on peut discuter de la question de savoir dans quelle mesure Israël a vraiment réussi à retarder l’implantation iranienne en Syrie et à la réduire, mais en termes de soutien à cette activité en Syrie – il est difficile de se tromper : un consensus de presque tous les opposants à Assad d’accueillir chaque missile lancé par les pilotes comme un don du ciel. Ce n’est donc pas un hasard si même les pays arabes qui renouent maintenant leurs liens avec Assad ne sont pas pressés de condamner les attaques israéliennes.
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