Je pensais que nous serions toujours jeunes.
Que le temps ne se portait qu’au poignet de la main gauche.
Qu’il n’était fait que d’or de diamants ou de saphirs
Qu’il se capturait comme une mouche au fond d’un bocal.
Je pensais que l’on pouvait laisser passer les jours.
Que nous avions le temps pour tout.
La peau lisse, le teint clair, l’éternité dans nos sourires juvéniles, marquait les traces de l’éternité qu’il nous restait pour tout accomplir.
Je pensais, statue de sel, que l’amour resterait figé, comme un modèle devant le caprice d’un célèbre peintre, prenant une vie pour parfaire ce modèle à immortaliser sur une vieille toile d’huile, de couleurs, de ratures, et de retouches.
Je sais que le temps est militaire.
Inlassablement, il passe méthodiquement quelles que soient nos requêtes, nos arguments ou nos désirs.
Je sais que nous ne sommes pas fait en cire, que les visages, comme les corps s’affaissent pour marquer ce temps qui défile. Ces gares devant lesquelles nous passons sans y prêter attention. Ces signes que nous ne prenons pas au sérieux, car le temps, c’est pour les autres.
Je ne sais pas pourquoi nous n’avons pas pris le temps de nous aimer ? Intensément comme s’il y avait plus urgent avant, au risque qu’il n’y ait plus d’après.
Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas offert d’entractes à mes marionnettes ? Pourquoi je n’ai pas respecté l’unité de jeu, de temps et de lieu ?
Aujourd’hui, au même endroit où je t’ai rencontré, nous sommes deux autres, les fontaines parisiennes ont disparu, les cabines téléphoniques derrière lesquelles je courais excité pour te dire combien je t’aime semblent s’être envolées. Qui me les a donc toutes subtilisées ?
Qui sont ces pantins accrochés frénétiquement à ces petits boîtiers de plastique ? Boîtiers d’une laideur inégalée. Pourquoi ces pantins laissent-ils le peu de temps qu’il reste à cet objet immobile et disgracieux ?
Qu’a-t-il de plus que le sourire de leurs amants, de leurs maîtresses de leurs enfants, de leurs rêves ou de leurs accomplissements ?
Pourquoi regardent-t-ils par terre, comme s’ils avaient peur de l’avenir qui lui se trouve bien devant ? Pourquoi ne prennent-ils pas le temps que nous nous avons su perdre pour préparer demain qui n’est jamais arrivé ?
© Rodolphe Oppenheimer
Rodolphe Oppenheimer est Psychanalyste-Psychothérapeute
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