Catherine Massaut. Magistrature : la déchirure

Charlotte, 29 ans, exerçant la profession de magistrat “placé” depuis deux ans dans le ressort de la Cour d’Appel de Douai, s’est suicidée le 23 août dernier.

Il aura fallu ce drame humain pour que le corps judiciaire, d’une inertie légendaire, dénonce – dans un appel signé par 3000 magistrats ( sur 8500) – des conditions de travail inadmissibles et une souffrance au travail devenue intolérable.

Depuis une vingtaine d’années, la dégradation des conditions de travail matérielles des magistrats de base ( 2 nd et 1 er degré) se fait sérieusement sentir, elles toucheront progressivement ceux placés plus haut dans la hiérarchie.

Le terme de “conditions matérielles ” recouvre un vaste domaine de doléances :

              ⁃             un matériel informatique déficient et vieillissant,

              ⁃             Des imprimantes mutualisées,

              ⁃             Des bureaux faits de bric et de broc,

              ⁃             Des sièges inconfortables en cabinet comme en audience ( qui peuvent durer jusqu’à 12 heures d’affilée) : il aura fallu 7 ans à un collègue pour obtenir un siège ergonomique adapté à son dos…

              ⁃             L’auteur de ces lignes, après 4 années de travail , l’été, sous une immense verrière, fut dans l’obligation de solliciter l’intervention d’un huissier de justice pour venir constater la température dans son bureau ( après avoir été rabrouée une énième fois par un Président ( lequel dispose de la climatisation) qui lui refusait une réfrigération de la pièce ou un changement de bureau : l’huissier a relevé, à 17 h, 39,5 degrés. Un constat en plusieurs exemplaires a été distribué à qui de droit ( à commencer au Président lui-même, par ailleurs président de CHST, ce qui est pour le moins savoureux…). Ce fut un succès mais le dossier en a pâti….

              ⁃             Des bibliothèques entières qui ont disparu, ce qui oblige les magistrats à acheter sur leurs propres deniers des livres de base indispensables mais coûteux en particulier lorsqu’ils changent d’affectation car le numérique ne fournit pas toute l’information nécessaire pour réaliser des recherches exhaustives. Pourquoi ? Par souci d’économie de la part de Bercy qui ne dote pas la Justice de fonds suffisants pour que juges et greffiers travaillent avec les documents juridiques requis : ah ! L’abonnement numérique à une revue juridique a son prix, alors quand plusieurs sont indispensables, générales comme spécialisées dans de nombreux domaines que recèle le Droit, on dit aux magistrats de se ” débrouiller”.

              ⁃             Seulement, la ” débrouille” est une perte de temps et obtient des résultats limités. Et que réclame la hiérarchie pour se faire valoir ( montrer que “son tribunal ronronne ?) : des statistiques, des chiffres !

              ⁃             Des chiffres pour remplacer/ camoufler/ cacher au peuple le déficit criant de magistrats et de greffiers : 11 magistrats en France pour 100.000 habitants contre plus de 20 dans les autres pays européens : la France compte à ce jour le même nombre de magistrats  que pendant la seconde partie du 19 -ème siècle : 1800, à ceci près qu’au 19 -ème siècle ils traitaient 100.000 affaires contre 3.000.000 aujourd’hui, d’où les nombreux classements sans suite ( infractions non poursuivies ) et les réitérations ou récidives qui sont la conséquence du sentiment d’impunité grandissant au sein d’une population délinquante toujours plus violente, plus jeune et plus active.

              ⁃             Des logiciels obsolètes : l’exemple type est celui dénommé ” Cassiopée” censé faciliter la procédure pénale.

L’auteur de ces lignes écrivait dans un précédant article : “Les magistrats n’en peuvent plus de ces politiques pénales erratiques, circonstancielles, chargées d’injonctions contradictoires et de la complexification croissante de la procédure pénale qui les oblige à exercer toujours plus de tâches administratives inutiles au détriment de leur mission régalienne : rendre la justice au nom du peuple français.

Or, depuis de très nombreuses années, les politiques, plus préoccupés d’eux-mêmes et de leurs ambitions personnelles que de la collectivité républicaine qu’ils sont censés encadrer, ne font pas leur travail : ils se contentent de colmater les brèches, en posant du plâtre sur une jambe de bois, mais pour des raisons purement politiciennes qui vont à l’encontre de leur mission régalienne, n’ont jamais pris à bras le corps les réelles problématiques sociétales afin d’enrayer cette lente et inexorable déliquescence des institutions policières et judiciaires, lesquelles, excédées par leur impuissance, finissent par s’affronter”

“Depuis 2018, et même avant, l’Union Syndicale des Magistrats ( l’USM), principal syndicat de l’institution judiciaire, a dénoncé, dans son Livre Blanc , témoignages poignants à l’appui, la souffrance au travail des magistrats dans toutes les juridictions et dans toutes les fonctions. Et cette souffrance s’accentue chaque jour.

En 2018 il existe près de 500 postes vacants dans la magistrature.

Les recrutements insuffisants sont d’autant plus durement ressentis que la judiciarisation de la société et la tendance des parlementaires à accroître les charges du juge judiciaire (Loi pénitentiaire, réforme des tutelles, hospitalisations sous contrainte, etc.…) n’ont pas été, loin s’en faut, accompagnées des recrutements nécessaires.

D’ailleurs les témoignages recueillis par ce syndicat font remonter l’épuisement des magistrats confrontés à des charges de travail surhumaines… La réaction des Chefs de Juridiction et des Chefs de Cours – qui subissent eux-mêmes la pression de la Chancellerie en matière de statistiques– jusqu’à présent, était de tenter de maintenir l’activité de juridiction au même niveau, en dépit des départs à la retraite et des mutations, faisant peser sur les effectifs restants une charge de travail qui ne peut être absorbée bien souvent que par le renoncement à toute vie personnelle et familiale. Les audiences pénales sont maintenues au même rythme, le nombre de dossiers à traiter au civil est en augmentation pour chaque magistrat, lesquels sont obligés de travailler tard le soir, les week-ends et une partie des congés quand ce n’est pas la totalité.

Cette surcharge chronique à laquelle s’ajoute l’obligation d’effectuer un travail d’abattage en lieu et place d’un travail de qualité pour atteindre au plus près les statistiques exigées conduit les magistrats du siège à une démotivation en dépit de l’implication initiale. À la pénurie de magistrats se cumule celle des fonctionnaires des greffes, ce qui amène les magistrats pourtant surchargés à effectuer eux-mêmes des tâches matérielles qui relèvent normalement du greffier.

Le traitement en temps réel et ses conditions d’organisation constituent l’une des causes de la désaffection des magistrats pour la fonction du Parquet. Les magistrats de permanence qui travaillent jour et nuit pendant une semaine complète incluant le week-end sont privés de leur repos hebdomadaire.

Le travail des parquetiers de permanence est tout à fait comparable à celui des internes des hôpitaux.

Dans les petits et moyens tribunaux, la permanence revient vite ( une semaine sur deux ou sur trois) et la fatigue s’accumule.  En étant appelés  plusieurs fois par nuit – et parfois dans l’obligation de se déplacer- ils ne disposent d’aucune forme de récupération et peuvent enchaîner sur un procès aux Assises dont ils auront à peine eu le temps de travailler le dossier. Cette situation, l’auteur de ces lignes peut en témoigner pour l’avoir vécue.

Management inadapté, humiliations publiques, insultes publiques, propos discriminatoires et remarques déplacées, abus de pouvoir et d’autorité, brutalité dans la direction et la gestion, harcèlements moraux sont monnaie courante dans tous les tribunaux. De cela aussi l’auteur de ces lignes peut témoigner.

Le syndicat FO magistrat relève avec pertinence que le traitement des pathologies du travail est indissociable d’une évaluation rationnelle de charge de travail réellement effectuée par les magistrats et passe par une gestion des ressources humaines non moins réaliste et valorisante pour les personnels…

Le dispositif du numéro vert est loin d’être une réponse suffisante pour assurer une meilleure prise en charge des difficultés psychologiques des personnels de juridictions. Car ce dont souffrent la plupart des agents en difficulté, c’est d’une impression de manque de solidarité au sein des services ainsi que de pathologies liées à l’isolement et à l’épuisement. ( cf. unite-magistrate.org 2016).

Le dernier rapport 2018 de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) décrit le système judiciaire français comme l’un des plus mal dotés parmi des États du conseil de l’Europe.( cf. La souffrance au travail chez les juges, Dalloz Actualité. Edition du 4 juin 2021).

Magistrats et greffiers pestent contre des logiciels obsolètes ou inadaptés qui leur font perdre beaucoup de temps. Au pénal il s’appelle Cassiopée… ( que l’auteur de ces lignes connaît bien et maudit en particulier lorsqu’il est plus de 23 heures et qu’es- qualités de JLD, il faut rédiger la motivation d’un placement en détention provisoire…). Au civil, il s’appelle Citrix, la bête noire des personnels. Un magistrat témoigne : Là où je devrais passer 10 minutes à rédiger une décision, cela me prend une heure… On est gangrené par ces problèmes . ( cf. France Inter 15/02/2018).

Voilà pourquoi les magistrats expérimentés expriment leur volonté de quitter la magistrature, soit en démissionnant, soit en prenant leur retraite le plus tôt possible, dès l’ouverture des droits, sans attendre l’âge auquel s’annule la décote.

Suicides, dépressions, crises cardiaques, burn out, dégoût de l’exercice d’une noble  profession difficile d’accès, autrefois prisée par de nombreux étudiants et professionnels du droit , la magistrature n’attire plus guère : cette belle institution est devenue un capharnaüm , une cour des miracles où se croisent ceux qui tentent de faire leur travail et n’en sont jamais récompensés, ceux qui s’adonnent au harcèlement sexuel / moral ou les deux, ceux qui ne font rien et grimpent les échelons grâce à leurs relations ( papa magistrat par exemple, franc- maçonnerie alliée à des prétentions syndicales), ceux qui intègrent le plus vite possible des cabinets ministériels sans rien connaître de la profession ( parfois ils/ elles deviennent ministres….. )… , ceux qui font de leur salle d’audience ou de leur fonction une tribune politique….

N’importe qui entre dans la magistrature : on peut être infirmière et devenir Juge d’application des peines, professeur de littérature et devenir un Procureur d’une médiocrité abyssale, boulanger et devenir Président de tribunal ( prétentieux, demeurant dans sa tour d’ivoire et médiocre professionnel)…. C’est du vécu….

On peut aussi s’appeler Etienne Ducasse, avoir participé à l’attentat du Petit-Clamard contre le Général de Gaulle orchestré par Bastien- Thiry, en accueillant chez ses propres parents les terroristes  armés, la veille du crime, avoir été condamné à trois ans de prison et , gracié par le Grand Homme, flétrir de sa présence l’honorable Institution… ( membre du Parquet général près les Cours d’appel de Reims et Dijon)… ( cf. Le procès de l’attentat du Petit Clamart, compte rendu sténographie ed.  Albin-Michel 1963, collection ” Les grands procès contemporains“,  tome 1, page 172 et suivantes « Interrogatoire de Monsieur Ducasse »).

L’institution judiciaire est une véritable terre d’accueil, voire un de refuge… C’est selon…

En bref, la magistrature mérite , pour être sauvée de la médiocrité, une refonte complète de son système de recrutement et une restructuration de son fonctionnement.

C’est juste une question d’éthique pragmatique, alliée à une volonté politique et soutenue par le financement dû à une justice de qualité évoluant au sein d’une République Française jalouse de ses piliers démocratiques et protectrice des droits de ses citoyens.

© Catherine Massaut

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