» Anéantir » est le huitième roman de Michel Houellebecq, prix Goncourt 2010 pour » La Carte et le Territoire « , et auteur français parmi les plus traduits et les plus vendus en France et à l’étranger.
Anéantir, le huitième roman de Michel Houellebecq, est l’événement de la rentrée littéraire de janvier 2022. A quoi ressemble-t-il ? De quoi parle-t-il ? Pourquoi l’écrivain ne dira-t-il rien à la presse ? Après avoir dévoré les 736 pages de ce nouveau roman très attendu, voilà ce que l’on peut en dire, une semaine avant qu’il n’arrive dans les rayons de vos librairies.
« Anéantir » bénéficie d’une sortie savamment orchestrée
Publié aux éditions Flammarion, le nouveau livre de Michel Houellebecq paraîtra le 7 janvier 2022, deux ans après Sérotonine et sept ans jour pour jour après les attentats de Charlie Hebdo. On ne sait pas si c’est un hasard. Le hasard en tout cas ne semble pas avoir présidé à la sortie de ce huitième roman de l’auteur des Particules élémentaires. Une sortie préparée avec le plus grand soin, dans une atmosphère de mystère, mais surtout selon un plan marketing savamment orchestré. Tiré à 300 000 exemplaires, son titre, Anéantir, n’a été révélé que le 17 décembre, date à laquelle le roman a été envoyé à 600 journalistes, avec injonction de ne rien en révéler « par respect pour les lecteurs », avant le 30 décembre.
« Anéantir » est publié dans une édition de luxe, « à l’allemande », dans un format qui fait intervenir le nombre d’or
L’éditeur Flammarion avait annoncé début novembre une édition » à l’allemande « , reliée, une couverture cartonnée rigide, » avec une tranchefile et un signet de couleur « . Sur la couverture d’un blanc immaculé, le titre, rouge sang, affiche les noms de l’auteur et de l’éditeur en noir, sans majuscules, dans une impression en creux légèrement satinée. Très élégant.
Michel Houellebecq en a lui-même pour ainsi dire assuré la direction artistique, le soin particulier qu’il y a mis témoignant de son amour du livre, » son objet préféré « a-t-il confié lors d’une conférence dans l’amphithéâtre Richelieu à la Sorbonne le jeudi 2 décembre, animée Agathe Novak-Lechevalier, qui a dirigé le Cahier de l’Herneconsacré à l’écrivain. » C’est une forme qui me convient « , a déclaré Michel Houellebecq en parlant de cette édition, une forme qui correspond à » mes goûts de lecteur « , un livre » agréable à tenir dans les mains « , et dont les dimensions, précise-t-il, sont » dans un rapport de 1,6, soit, le nombre d’or « . Flammarion a ressorti le 10 novembre trois romans dans ce format : Extension du domaine de la lutte, Les Particules élémentaires et Plateforme.
Michel Houellebecq ne fera pas d’interview pour accompagner la sortie d’ » Anéantir «
La maison d’édition a annoncé qu’il n’accorderait aucune interview à la presse. Ce refus, a expliqué Michel Houellebecq à la Sorbonne, est en partie la conséquence de son » esprit d’escalier « , qui fait qu’il « pense aux choses importantes et intéressantes une fois que l’entretien est fini ». » C’est un malheur dans la vie, et je ne pense pas que ce soit guérissable « , a-t-il ajouté. Dans ces conditions, » il ne vaut mieux pas accorder d’entretien « , a déclaré sur un ton de regret l’écrivain. » La deuxième raison, c’est que souvent les gens n’ont pas le niveau « , a-t-il ajouté, provoquant l’hilarité de son auditoire, essentiellement composé d’universitaires.
» Anéantir » est un roman de très légère anticipation
Une fois ces polémiques évacuées, on peut enfin ouvrir le livre. Anéantir commence comme un thriller politique mâtiné de très proche anticipation (on est en 2027). Il raconte l’histoire de Paul Raison, un énarque presque quinquagénaire au service de Bruno Juge, ministre de l’Economie et des Finances (inspiré par Bruno Le Maire ? ) lancé dans une campagne présidentielle en soutien au candidat de la majorité, un ancien animateur de télé.
Paul suit parallèlement de très près une affaire d’attentats perpétrés aux quatre coins de la planète, relayés sur les réseaux sociaux, et dont les agents de la DGSI ont du mal à décrypter les messages occultes… Le monde que décrit Anéantir est le nôtre, et il ne va pas très bien, c’est le moins que l’on puisse dire.
Le sujet principal d' » Anéantir » est l’amour, mais aussi la mort
Michel Houellebecq décrit un monde en déclin, sans espoir, sombre et mélancolique, dans lequel surgissent pourtant des moments de grâce, de bonheur, apparaissant ici ou là, dans les trajectoires de ses personnages, le plus souvent sous les traits de l’amour. Paul est marié, sans enfants, et ne partage plus rien depuis des années avec sa femme prénommée Prudence, si ce n’est leur appartement du 12e arrondissement, où ils ont chacun leur chambre et leur rayon dans le réfrigérateur. C’est pourtant dans cette relation réduite à rien, dans cette terre si longuement restée en friche, que va germer à nouveau l’amour. Cet amour renaissant, qui s’accompagne de la résurrection d’une sexualité heureuse, mais aussi conjugué à la mort, est le cœur battant de ce nouveau roman de Michel Houellebecq.
L’écrivain décline ce thème de l’amour en variations secondaires à travers les histoires des autres personnages du roman : le père de Paul, veuf, ancien agent des Services secrets, est à nouveau en couple avec Madeleine, une femme d’un milieu plus modeste, dont l’amour inconditionnel accompagne sa vie d’infirme depuis son accident vasculaire. Aurélien, le jeune frère de Paul, découvre l’amour avec l’infirmière d’origine malienne chargée de s’occuper de leur père, après avoir connu l’enfer conjugal avec sa femme, une journaliste psychopathe. Ou encore Cécile, sa sœur aînée, mariée depuis de longues années avec Hervé, un notaire au chômage proche des milieux catholiques d’extrême droite, et qu’elle appelle » Mamour « .
» Anéantir » parle aussi des légumes verts, de la fin de vie, et de bien d’autres choses encore
Michel Houellebecq, s’il concentre sa plume sur l’amour, n’écarte aucun sujet de son projet littéraire, faisant comme il le dit lui-même de la littérature un outil de » restitution de l’expérience humaine « . Les légumes verts, la fin de vie, en passant par l’hindouisme, la politique, Dieu, la religion, le satanisme, l’hôpital, l’islam, le suicide, la fellation, les nouvelles technologies, Conan Doyle, l’Europe, les migrants, le chômage, les Black Blocks, les Trente Glorieuses, les huiles essentielles, les zones périurbaines, la famille, les soins dentaires, la numérologie, l’euthanasie, la fin du capitalisme, le nucléaire, le vieillissement de l’Europe, Pascal…
Difficile d’en faire l’inventaire tant la palette des sujets abordés et des motifs dessinés est riche. Le romancier poursuit ainsi sa peinture de la société contemporaine, à la manière des romanciers du XIXe siècle, reliant tous les éléments qui composent notre quotidien aux grands thèmes universels de la métaphysique, faisant de ce nouveau livre un roman humaniste (à tendance pessimiste).
Pour nourrir son récit, Michel Houellebecq s’est documenté. Il encourage d’ailleurs ses confrères à en faire autant dans les remerciements en fin d’ouvrage : » Au fond, les écrivains ne devraient pas hésiter à se documenter davantage ; beaucoup de gens aiment leur métier, et se réjouissent de l’expliquer aux profanes « .
» Anéantir « , contre toute attente, est une » alternative au monde «
On retrouve l’écriture de constat, fluide et nonchalante, de Michel Houellebecq. Une écriture qui dégage une musique mélancolique tout en déclenchant très souvent le rire. La construction du roman, comme un lent mouvement de caméra, nous fait circuler de la surface des choses, de l’enchaînement des événements, à l’intériorité des personnages, essentiellement celle de Paul.
Ses rêves ponctuent le récit. On cherche d’abord à les décrypter, puis on finit par se laisser bercer par ces moments en suspens, par ces parenthèses apaisantes, qui arrivent souvent sans prévenir. Ces moments sont aussi précieux que les livres, qui apparaissent dans Anéantir comme des sauveurs, indispensables quand il faut absolument s’extraire d’un réel insupportable. » Tant qu’on a un livre, c’est bon, on est sauvé « , estime l’écrivain.
Michel Houellebecq a un sens de l’observation, un souci du détail, et une forme de rigueur, d’honnêteté dans l’écriture, sans fioritures, sans » frime « , qui, au-delà de tout ce qu’il peut raconter, nous touche, et nous éclaire, en nous offrant comme il le dit lui-même, parlant de la fonction des livres, » une alternative au monde « .
« Anéantir », de Michel Houellebecq (Flammarion, 736 pages, 26 €)
Extrait :
« Ils avaient décidément merdé, se dit-il, ils avaient collectivement merdé quelque part. A quoi bon installer la 5G si l’on n’arrivait plus à accomplir les gestes essentiels, ceux qui permettent à l’espèce humaine de se reproduire, ceux qui permettent aussi, parfois, d’être heureux. Il redevenait capable de penser, sa réflexion prenait même un tour presque philosophique, constata-t-il avec dégoût. A moins que tout cela ne relève de la biologie, ou de rien du tout, il allait retourner se coucher finalement, c’était la seule chose à faire, sa réflexion était condamnée à tourner à vide, il se sentait comme une boîte de bière écrasée sous les pieds d’un hooligan britannique, ou comme un bifteck abandonné dans le compartiment légumes d’un réfrigérateur bas de gamme, enfin il ne se sentait pas très bien. » (« Anéantir », page 367)
Source FranceTVinfo
Poster un Commentaire