RÉCIT – L’ex-espion en chef israélien s’est livré à des confidences sur des opérations secrètes lorsqu’il était aux commandes du service de renseignement.
À Jérusalem
La réputation de Yossi Cohen, le James Bond version israélienne, a pris un sacré coup. Une chaîne de télévision israélienne a révélé que l’ex-chef du Mossad s’est livré, alors qu’il était encore en fonction, à des confidences sur des opérations secrètes lors de conversations intimes avec une hôtesse de l’air et plus étrangement avec son mari. Ce dernier a tout déballé, mettant sérieusement à mal l’image de super-espion de Yossi Cohen – physique de mannequin et cerveau de multiples coups tordus contre le programme nucléaire iranien -, image qu’il s’était forgée pendant cinq ans avant son départ en juin du Mossad.
Tout a commencé par un reportage de la «13», une chaîne de télévision privée, qui a réussi à obtenir une interview de Guy Shika. L’épouse de ce financier connu est tombée sous le charme du chef du Mossad, ce qui ne l’a pas empêché d’être l’hôte du couple dans la banlieue de Tel-Aviv. Lors de ces rencontres, Yossi Cohen s’est, selon le mari, vanté en livrant des détails qui ne concernent que les cercles opérationnels.
Yossi Cohen surpassera son maître Netanyahu en franchissant les lignes rouges
Yossi Cohen est équipé d’une boîte à outils de tous les atouts pour ceux qui veulent devenir un grand politicien chevronné en Israël. Cependant, il devient évident que dans le domaine de l’hédonisme (la vie facile) et de la difficulté de distinguer le bien du mal – Cohen surpassera encore son maître Binyamin Netanyahu.
Yossi Cohen à la conférence du Jerusalem Post (Photo : Yonatan Zindel Flash 90)
1. Yossi Cohen et les faux pas
Il est impossible de ne pas aimer Yossi Cohen. Il est impossible de ne pas apprécier Yossi Cohen.
Ces mots ne sont pas écrites avec cynisme. C’est une personne aux qualités rares. Il n’y a pas beaucoup de gens de cette trempe autour de nous. Ceux qui en font partie fuient la politique et l’espace public. C’est assez juste de le constater.
Cohen semble n’avoir peur de rien (et c’est peut-être son problème). Il est plein de charisme et de charme personnel du genre Clinton, Obama et Netanyahu (les trois grands orateurs de notre génération). Il est imprévisible, douloureusement sophistiqué, déterminé et avide de contact et est également équipé d’une boîte à outils ravageuse avec tout le nécessaire à ceux qui veulent devenir un politicien redoutable en Israël. À cet égard, il est le seul à pouvoir remplacer assez facilement Benjamin Netanyahu. Il a même un anglais pétillant (bien qu’il n’ait pas l’accent parfait de Bibi). Et il a un net avantage sur l’ancien premier ministre : au cou de Netanyahu, pendent une femme et un fils qui ont énormément d’ascendant sur lui et, en quelque sorte, le dirigent.
Nous avons atteint la partie la moins positive du personnage : il devient évident que dans le domaine de l’hédonisme, la difficulté de distinguer le bien du mal, la non-identification des lignes rouges, Cohen surpassera encore son maître en politique. L’enquête « source » diffusée sur lui dans les médias cette semaine n’est pas sa première et unique mésaventure. Il a déjà trébuché sur ce genre d’obstacles par le passé. Seuls certains de ses faux pas ont été publiés.
Il a reçu des faveurs de James Packer, un milliardaire qu’on a amené en Israël pour aider un autre milliardaire, Arnon Milchan, à faire face au lourd fardeau du financement de la famille Netanyahu. Il a reçu des cadeaux de VIP, des billets pour des représentations, 20 000 $ en espèces, un cadeau de mariage lorsqu’il a marié sa fille et quelques autres dons précieux. Il n’a pas envisagé la possibilité de rendre cet argent indigne de sa fonction (dans une interview à l’émission « Fact », il a déclaré, pour la première fois, que le montant serait « remboursé »). Il s’est beaucoup vanté et a parlé de lui-même, même en tant que chef en place du Mossad, et a abouti à un entretien approfondi avec « Fact », qui, selon de nombreux experts dans le domaine, a causé suffisamment de dommages opérationnels à l’institution (Mossad).
La diffusion cette semaine de l’enquête sur Channel 13 a suscité, comme prévu, un débat houleux, qui s’est transformé, comme on pouvait s’en douter, en une controverse entre les bibistes et les anti-bibistes.
Ces partisans ne savent pas vraiment comment travailler dans la zone grise. Cohen n’a, par ailleurs, pas encore annoncé qu’il se lancerait en politique. Au contraire, dans des conversations à huis clos, il prétend qu’il ne briguerait pas de mandat dans cette sphère pleine de pièges.
Le récit présenté par l’émission « L’Origine » cette semaine est une histoire simple où il n’y avait qu’à se baisser pour la recueillir, avec le classique mari trahi, et le journaliste Raviv Drucker a été le plus vif et le plus rapide à la relever du caniveau.
Les médias israéliens, contrairement à beaucoup de leurs confrères à l’étranger, n’entrent pas dans les chambres à coucher des politiciens de leur propre initiative. Ce qui nous « motive » à entrer dans cette enceinte personnelle, c’est la possibilité qu’une infraction grave ait été commise (viol, harcèlement sexuel, subordination, etc.) ou la mise en cause d’un intérêt public inhabituel.
Dans le cas de Cohen, ce n’est pas seulement une affaire publique, c’est aussi une affaire de sécurité exceptionnelle. J’ai parlé cette semaine avec pas mal de personnes dont c’est la spécialité : la sécurité sur le terrain, la sécurité de l’information, la sécurité opérationnelle, aux plus hauts niveaux. Je n’en ai pas trouvé un seul qui n’ait trahi son sentiment de choc face à cette histoire.
J’ignore si c’est la culture du whisky et des cigares faciles qui a envahi l’élite politique ces dernières années, et malheureusement aussi les arcanes de notre sécurité. Je laisse même de côté l’exemple personnel donné d’avoir ou pas une liaison avec la femme mariée d’un homme. Ce sont des questions morales. Nous les laisserons pour d’autres qui mènent un débat moral. Si jamais le nom de Cohen se présente aux élections face à l’opinion publique, laissez le public faire son choix. Je ne parle que de l’aspect sécurité.
Voici un bref résumé de ce que disent les professionnels les plus expérimentés sur l’épisode mentionné.
Aucun d’entre eux n’est politiquement orienté : « Cohen a agi en violation totale de toutes les directives de sécurité. S’il était actuellement le chef du Mossad et que ses agents lui rapportaient cette enquête sur son adjoint, il expulserait le n°2 du Mossad dans les 48 heures.
Il a voyagé à travers le monde avec ses téléphones personnels. Il a mélangé le secret des opérations et la vie personnelle. Il a partagé avec des personnes non habilitées et non-pertinentes ce qui se passait à l’intérieur du Mossad. Il a apparemment trahi les méthodes de travail du Mossad. On savait qui étaient ses gardes de sécurité, on savait dans quels hôtels il séjournait.
D’ailleurs : « Il a laissé une signature numérique sur ses différents déplacements. Lorsqu’il quitte le Premier ministre tchadien et se précipite à New York pour rencontrer l’hôtesse de l’air, ses agents de sécurité voyagent avec lui. Qui paie tous ces déplacements ? les gardes savent-ils en quoi consiste leur « mission » ? Que leur dit-il ? Parce que son comportement s’est « déconnecté » du système de sécurité autour de lui. Le fait qu’un mari trahi soit arrivé en pleine nuit au domicile d’un chef du Mossad et ait réussi à entrer est inconcevable. Et c’est encore pire d’apprendre qu’il l’ait fait quelques heures après sa femme.
Un événement unique dans le cours d’une génération
Les transcriptions des conversations entre Cohen et le mari bafoué, telles que publiées cette semaine, prouvent une fois de plus qu’il s’agit d’un professionnel rare. « Au cours de conversations avec le mari », m’a dit l’une des sources, « le problème est qu’en même temps il a révélé pas mal de détails opérationnels, des histoires de couverture, y compris des chapitres entiers de ses propres intrigues. Le fait qu’il ait une liaison extraconjugale avec l’épouse d’un homme en Israël et passe ses nuits chez elle (avec ou sans son mari) ou chez lui (sans lui) est un classique du genre. Et les chefs des forces de sécurité n’échappent pas à la règle.
La question se pose, même bien avant le reportage de Drucker, où étaient passés les garants du système ? Où est le directeur de cabinet du Mossad ? Où sont les adjoints de Cohen à l’institution ? Après tout, le scandale, selon l’émission, était connu de beaucoup. On trouve des gardes de sécurité étonnés jusqu’au sommet de ce qu’on leur demandait d’effectuer. Des histoires de ce genre « circulent » au sein d’une organisation comme l’institution.
Lorsqu’il prend des avions pour se précicpiter à la suite de sa maîtresse à travers le monde, des agents de sécurité prennent leur vol avec lui. Quelqu’un est censé le savoir. Quelqu’un est censé payer. Quelqu’un est censé faire un contrôle à domicile sur le responsable du système de sécurité du Mossad, si même Guy Shika, qui soupçonnait sa femme, a réussi à entrer à son domicile.
Je ne sais pas où mènera cette affaire. Il y a plusieurs mois, j’ai publié dans ces colonnes une affaire concernant Yossi Cohen qui est encore plus grave, du moins à mon avis. C’est vrai, je l’ai à peu près « enterrée », sans gros titres ni faits saillants, mais elle a glissé sur son aile et s’est évanouie. Il est possible que Cohen survive également à cette histoire scabreuse. C’est même probable. Personnellement, je ne suis pas sûr de ne pas vouloir que cela se produise. Reste que les vertus et les atouts de cet homme de talent, qui a conduit l’institution à l’une des plus belles périodes de son histoire, font espérer qu’il saura se réfreiner dans le temps, au moins dans le domaine public, tirer des leçons, adopter un système d’équilibres et de pondération qui lui permettront d’entrer dans une nouvelle vie de citoyen. Je n’ai aucune idée précise pour savoir si cela se produira ou non.
Ben Caspit 24/12/2021 06:00
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