Suspension de Klaus Kinzler à Sciences Po Grenoble: la lettre de 40 personnalités à Frédérique Vidal

Lettre ouverte à Madame Frédérique Vi- dal, ministre de l’Enseignement supérieur

Madame la ministre,

La situation à l’IEP de Grenoble et les poursuites engagées contre notre col- lègue Klaus Kinzler démontrent, s’il en était besoin, que la liberté d’expression des universitaires, de même que leur liberté académique dans le cadre de leur enseignement et de leur recherche, libertés dont vous êtes la première garante, sont en péril dans notre pays.

Depuis quelques années un courant militant -et se revendiquant comme tel- cherche à imposer, dans de nombreux établissements  d’enseignement supérieur, en particulier dans le domaine des sciences sociales, un discours exclusif. Or c’est une chose d’accueillir de nouveaux champs d’études et de nou- veaux paradigmes ; c’en est une tout autre de leur laisser acquérir une domi- nation voire une hégémonie institutionnelle, alors même que leur pertinence scientifique fait l’objet, comme vous le savez, d’un intense débat intellectuel.

Vous vous étiez vous-même émue de l’extension dans l’Université de ce que vous avez nommé « l’islamo-gauchisme» – qui est l’une des manifestations de ces dérives – et aviez annoncé un rapport sur ce sujet en février de cette année. Force est de constater que, près d’un an plus tard, ce rapport, sans cesse promis et sans cesse reporté, n’a toujours pas vu le jour.

De même, nous attirons votre attention sur le rapport de l’Inspection générale que vous avez missionnée à l’IEP de Grenoble, relevant qu’« au terme de ses travaux, il ne fait pas de doute […] que ce sont les accusations d’islamophobie qui sont la cause de la grave détérioration du climat de l’IEP » (p. 2) et « qu’un climat de peur s’était installé depuis plusieurs mois parmi les étudiants de l’IEP du fait de cette utilisation par l’U[nion] S[yndicale] d’accusations (graves, puisqu’il s’agit de délits, voire de crimes tels que le viol) diffusées sur les réseaux sociaux contre tous ceux qui ne lui semblent pas partager ses positions » (p. 3). Or, il s’avère que la per- sonne désormais poursuivie est celle-là même qui a alerté sur ces agissements et qui, nous vous le rappelons avec gravité, est menacée de mort pour cette pré- tendue « islamophobie » : notre collègue Klaus Kinzler. Et ces poursuites ont lieu au rebours des traditions de l’université française comme de la jurisprudence de la CEDH.

Dans ce contexte, où la liberté d’expression est menacée par des sanctions disciplinaires, voire pénales ; où le pluralisme de l’enseignement et de la recherche est contrecarré par des manœuvres d’intimidation, et donc par l’autocensure croissante de nos col- lègues, en particulier des plus jeunes, puisque leur carrière en dépend ; où, en- fin, un nombre croissant d’étudiants font part de leur inquiétude devant ce qu’ils ressentent comme une entreprise de for- matage et de propagande, notre question est simple : que comptez-vous faire précisément, Madame La ministre ?

Avec nos salutations les plus respectueuses,

Liste des premiers signataires

Michel Albouy, professeur émérite en sciences de gestion, Université Greno-ble Alpes

Claudine Attias-Donfut, sociologue

Sami Biasoni, essayiste, docteur en philosophie

Christophe Boutin, professeur de droit public, Université de Caen-Normandie

Jean-François Braunstein, professeur de philosophie, Université Paris 1 Sorbonne

Pascal Bruckner, essayiste et philosophe

Joseph Ciccolini, professeur des Universités – Praticien Hospitalier

Albert Doja, professeur d’anthropologie, Université de Lille

Laurent Fedi, université de Strasbourg

Monique Gosselin-Noat, professeur émérite de littérature

Yana Grinshpun, linguiste, Paris 3

Philippe Gumplowicz, professeur de musicologie Université Evry-Paris- Saclay

Nathalie Heinich, sociologue

Emmanuelle Hénin, professeur de littérature, Sorbonne Université

Hubert Heckmann, maître de Conférence en Littérature médiévale, Université de Rouen

Mustapha Krazem, linguiste, université de Lorraine

Arnaud Lacheret, associate Professor

Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université Rennes 1

Andrée Lerousseau, maître de Conférence à l’université Lille 3 en Philosophie

Samuel Mayol, maître de Conférence, Paris 13

Michel Messu, professeur honoraire de philosophie

Frank Muller, professeur émérite d’histoire moderne, Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires

Bernard Paqueteau, professeur en Sciences Politiques

Rémi Pellet, professeur à la faculté de Droit Université de Paris et à Sciences Po Paris

Gérard Rabinovitch, philosophe

Pascal Perrineau, professeur émérite des universités à Sciences Po

François Rastier, linguiste, Directeur de Recherche émérite au CNRS

Philippe Raynaud, philosophe, Paris II

François Roudaut, professeur (Université Montpellier III)

Xavier-Laurent Salvador, linguiste, Sorbonne Paris Université

Perrine Simon Nahum, historienne et philosophe

Jean Paul Sermain, professeur émérite de Littérature

Jean Szlamowicz, linguiste

Pierre-Henri Tavoillot, philosophe, Sorbonne-Université

Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS

Thibault Tellier, professeur des universités, Sciences Po Rennes

Dominique Triaire, professeur émérite de littérature française, Université de Montpellier

Pierre Vermeren, professeur d’Histoire, université Paris I

Christophe de Voogd, historien

Nicolas Weill-Parot, directeur d’études à l’EPHE

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