Les élections présidentielles exacerbent ce qu’il y a de moins beau dans la nature humaine, ce qu’il y a de plus vil même: l’envie, la vanité, le mensonge, l’hypocrisie, la suffisance, la prétention, la haine, le mépris, l’arrogance, l’orgueil, la duplicité, la fausseté, la tromperie, la morgue. Elles ne mettent plus en scène des hommes retenus par les habituelles valeurs humanistes mais des bêtes féroces qui troquent le cortex des gens bien élevés pour le cerveau reptilien des bêtes préhistoriques. Celui qui gagne est la plupart du temps le crocodile le plus cinglé…
Bien sûr tous les candidats parlent de démocratie et de république, de la France et des Français, d’avenir radieux et de solutions aux problèmes que, pour un grand nombre, ils ont créés pendant leur carrière politique qui précède leur entrée en course: ce que les autres ont promis sans jamais le tenir, eux le réaliseront disent-ils ; ils oublient la plupart du temps qu’ils ont souvent fait partie du personnel politique qui a promis et trahi ses promesses. Mélenchon bat le record de durée politicienne avec plus de trente années aux affaires comme député, sénateur, ministre, chef de parti. L’homme qui a voté oui à Maastricht est aujourd’hui un grand pourfendeur de ce qu’il a voulu, soutenu et créé pendant des décennies.
Pendant ce temps, le président sortant Emmanuel Macron s’invite plusieurs heures à la télévision, insoucieux des temps de paroles pourtant pesés au trébuchet par le Conseil prétendument supérieur de l’audiovisuel. Il y parle comme s’il n’était pas au pouvoir depuis cinq années bientôt. Tous ont ainsi fait qu’à l’issue de leur mandat, ou de deux, ils se sont comportés comme s’ils n’avaient jamais présidé aux destinées des Français pendant de longues années en amont. Souvent pour n’en pas faire grand-chose d’ailleurs…
Dans une émission fleuve, Emmanuel Macron annonce la couleur: «Où va la France?» Mais en trois heures, il n’aura parlé que de lui, jamais de la France, de ce quelle est, de ce qu’il en a fait, de ce qu’il voudrait en faire, de sa place dans l’Europe, dans la civilisation judéo-chrétienne. Rien de tout cela. Des silences calculés comme au théâtre pour ménager son effet rhétorique, probablement un conseil de son ancien professeur de théâtre devenue première dame de France, puis il laisse tomber qu’il a changé, qu’il a appris, qu’il n’est plus le même, qu’il aimait la France mais que désormais il aime aussi les Français, autant d’éléments de langage réchauffés déjà utilisés par Sarkozy en son temps, sans succès comme certains s’en souviennent.
Depuis des mois, des «sondages» nous présentent cet homme comme la statue du Commandeur: impassible, inaccessible aux variations saisonnières, marmoréen, sur son Aventin, dans un empyrée politique où il caracole en première position des intentions de vote alors qu’il ne peut sortir sans se faire insulter, cracher dessus ou gifler, même quand le public a été trié et choisi pour approcher le Roi!
A l’autre extrémité, les candidats microscopiques ne craignent pas le ridicule quand, du haut de leurs 2 ou 5%, ils plastronnent et décrètent: «Quand je serai président de la République, je ferai ceci ou cela.» Ainsi Jadot qui, jamais en retard d’une sottise progressiste, annonce qu’il nommera une femme comme Premier ministre car, selon le logiciel écolâtre néowokiste, mieux vaut une femme incompétente plutôt qu’un homme compétent. Je ne vois pas pourquoi ceux-là oublient que Nathalie Arthaud et Marine Le Pen sont aussi des femmes, probablement parce qu’elles ne sont pas déconstruites selon la jurisprudence Rousseau – Sandrine pas Jean-Jacques…
La présidentielle commence le jour même où la précédente livre son verdict. Je ne doute pas qu’une cellule réélection ait été mise en place à cet effet par Macron. Avec l’argent du contribuable, c’est donc une armada de conseillers, de communicants, de plumes, de nègres disait-on jadis, de publicistes, de journalistes qui font à l’Élysée le boulot qu’ils font habituellement dans leurs salles de rédaction: lancer les fausses nouvelles, intoxiquer dans les rubriques dites de désintoxication, donner les éléments de langage, fasciser et extrême-droitiser à tour de bras quiconque n’épouse pas leurs voltes faces quotidiennes. Ils animent des cellules de propagande, rédigent des argumentaires pour répandre leur soupe macroniste sur les chaînes de télévision, notamment les chaines d’infos continues où les partis disposent chaque jour que Dieu fait d’un rond de serviette pour déglutir eux-aussi la bouillie ingurgitée en amont dans les séances gavages de leurs cellules propagandistes.
Tout ça relève bien sûr de la démocratie et de la République comme ils disent… Dans les coulisses, ces gens qui feignent de se détester sur le plateau en se vouvoyant devant la caméra, se tutoient, se tapent sur l’épaule et rigolent des bons tours qu’ils jouent à ces crétins d’électeurs. C’est une variation sur le vieux thème du «Salauds de pauvres!». In fine, tout ce monde-là finira par appeler à voter pour le candidat maastrichtien au nom du salut de la République.
Les fameuses chaines d’info continue informent assez peu et ce de façon continue. On y parle d’abondance. Des éditorialistes qui cachetonnent à chacune de leur apparition donnent l’impression de cumuler une agrégation d’histoire, un diplôme de science po, un autre de l’ENA, des années de travail intellectuel en vertu de quoi ils commentent tous les sujets sans vergogne. Ils ont lu la presse du jour, et, pour certains qui officient le soir, écouté l’émission du matin, ce qui leur permet de rabâcher ce qui a été dit quelques heures plus tôt, ou bien ils se sont fait une culture d’occasion une heure plus tôt en regardant les notices Wikipédia et des heures durant ils illustreront ce que Heidegger a magnifiquement analysé dans Être et Temps sous la rubrique de «la dictature du On». On, c’est personne, donc c’est tout le monde, c’est-à-dire que c’est eux. Je m’amuse parfois, en regardant certains plateaux, à compter ceux qui n’ont pas eu d’ennuis avec la justice, parfois il ne reste plus que l’animateur de l’émission – et encore! C’est édifiant…
Dans son commentaire de la remarque de Schopenhauer «Les journalistes, fripiers d’opinion», Kierkegaard écrit dans son Journal: «La grande masse des gens naturellement n’a pas d’opinion, mais – nous y voilà! – ce manque, les journalistes y parent, qui vivent de locations d’opinions. Et, bien entendu, comme il a raison de l’ajouter, ce qu’ils fournissent est en conséquence… du même acabit que les vêtements que l’on loue d’ordinaire aux costumiers du carnaval.»
Ces fripiers d’opinion ont feuilletonné l’aventure Zemmour. Depuis juin 2020 et sa version donnée d’une éviction de chez son éditeur traditionnel, Albin Michel (une version contredite par le directeur de cette maison qui est aussi la mienne), les plateaux bruissent du cas Zemmour: ira, ira-t-il pas? Il n’ira pas, m’a confié un jour dans un petit salon d’avant émission une journaliste spécialiste de politique depuis le siècle dernier, elle me disait aussi que Barnier sortirait vainqueur de la primaire de la droite… La télévision à les pythies qu’elle peut. A-t-il écrit ceci ou ne l’a-t-il pas écrit? A-t-il dit ceci ou ne l’a-t-il pas dit? A-t-il ses cinq cents signatures ou ne les a-t-il pas? A-t-il ses financiers ou ne les a-t-il pas? A-t-il des conseillers et, si oui, lesquels?
Il y eut aussi: A-t-il une maitresse ou n’en a-t-il pas? Est-elle enceinte ou ne l’est-elle pas? Ou bien encore: va-t-il bientôt dire qu’il est candidat ou pas? Où dira-t-il qu’il l’est? Et comment? En vertu de quelle symbolique? Voilà ce qui a nourri ces chaînes d’information continue pendant des centaines d’heures en boucle. Les bonnes audiences de ce suspens délayé ont fait le bonheur des annonceurs publicitaires. C’est le but, ne l’oublions pas…
La presse écrite a suivi le mouvement. Alors que nous étions convenus, Zemmour et moi, d’un débat autour de son livre dès juin, il eut lieu après les vacances d’été en octobre et L’Obs a révélé toute sa déontologie soviétique (c’est aussi celle de la plupart de ses confrères), en publiant son papier de ce qu’avait été cette rencontre… avant sa tenue! facile dès lors de conclure, à rebours de ce qu’ont enseigné ces trois heures de débat, que nous étions d’accord sur tout sauf quelques miettes formelles.
C’est ainsi que fonctionnent les télévisions et les journaux qui, on le sait, n’ont que faire de la justice et de la justesse, qui se moquent comme d’une guigne de la vérité, et qui sont juges et parties dans cette élection présidentielles. Tous, absolument tous, roulent pour le candidat maastrichtien pour lequel Macron ou Pécresse, ou bien, si l’on veut, Macresse ou Pécron, ils finiront par appeler à voter en cas de second tour en face de Marine Le Pen – L’Humanité compris…
Eric Zemmour a donné le «la» de cette campagne: il a imposé la thématique. C’est celle de la vie ou de la survie de la France, de la fin de notre civilisation ou de son prolongement. Z. est un intellectuel en politique, il croit parfois ses idées plus justes que la réalité, sa bibliothèque plus pertinente que la rue. Or, la réalité, c’est qu’aucune civilisation n’échappe à la mort! Pas plus qu’un homme, sauf à croire aux mythes chrétiens, une civilisation ne saurait méconnaître le cycle vital qui lui fait naître, vivre, croitre, connaitre un point d’acmé, puis décroitre, subir une sénescence, une décadence, avant disparition et remplacement. Eric Zemmour croit à une France éternelle, platonicienne en fait – et je ne suis pas platonicien…
Pas plus je ne suis platonicien sur la question de la fable du philosophe-roi ou du roi-philosophe qui pourrait, seul, avec ses petits bras, arrêter le cours de l’Histoire, le modifier et empêcher la décadence d’un pays et d’une civilisation. Seuls ceux qui souscrivent aux fictions de la mythologie croient qu’Hercule peut effectuer ce qui relève de travaux impossibles. Personne ne remet debout une civilisation qui tombe. C’est la leçon tragique de l’histoire. On peut être optimiste, mais l’Histoire remet toujours à sa place celui qui rêve en son nom. L’Histoire. N’est pas bonne fille.
Eric Zemmour se dit volontiers gaullo-bonapartiste. Aucun homme seul ne fait l’Histoire, c’est l’Histoire qui fait l’homme, s’en joue, non sans que le sang soit parfois versé, et le rend à sa solitude. Nonobstant Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram, le destin du jacobin Bonaparte ce fut Waterloo.
De Gaulle qui, même fort de la légitimité que lui avait accordée l’Histoire pendant la deuxième guerre mondiale, a cru qu’il pouvait enrayer cette chute de notre civilisation, avec Malraux en compagnon de route de ce dessein-là, n’a pu empêcher Mai 68 mais, plus encore, il n’a pu empêcher que ce même Mai 68 l’évince de l’Histoire pour laisser place au giscardisme porté à son point d’incandescence par le mitterrandisme dont le macronisme s’avère le reliquat éventé…
J’ai entendu Eric Zemmour dire un jour dans une émission de télévision qu’il avait peut-être un destin. On n’a jamais un destin, c’est le destin qui nous a…
Dans ce paysage d’avant la guerre, la gauche part au combat éparpillée façon puzzle! Deux candidats à l’extrême-gauche, qui sont pourtant l’un et l’autre néo-trotskystes – étonnamment l’un et l’autre auront leur cinq cents signatures, personne ne se demande jamais pourquoi ils obtiennent si facilement ce que d’autres qui ont des millions d’électeurs peinent à avoir; un communiste qui a lâché la main de Mélenchon fatigué d’avoir mangé autant de chapeaux insoumis depuis des années; un néo-caudillo ancien sénateur socialiste longtemps maastrichtien, puis gaullo-jaurésien, avant de devenir compagnon de route des islamo-gauchistes; une mairesse «socialiste» de la capitale plus connue au-delà du périphérique pour les embarras de Paris que pour sa vision civilisationnelle du pays; un écologiste qui voit son heure venue bien qu’il patauge en dessous de 10%; un apiculteur jadis apparatchik du Parti socialiste; l’ami Djordje Kuzmanovic, compagnon de notre aventure à Front Populaire, que tout le monde oublie – même Ruth Elkrief qui, sur le plateau de BFM où elle m’invitait, s’étonnait de cette information; sans oublier Christiane Taubira, soutien de Balladur, puis de Tapie, puis de Borloo, puis de Hollande, mais surtout d’elle-même, et qui, férue de poésie, a bien lu L’Huître et les Plaideurs de La Fontaine et croit possible de mettre tout le monde d’accord en gobant le mollusque toute seule. Elle croit qu’en ajoutant une huitième candidature à ce marché de dupes, elle contribuera à l’effacement de tout le monde derrière son épiphanie politique! La gauche n’attend qu’elle en effet! Elle qui est bien connue pour avoir fait chuter Jospin au soir du premier tour avec sa candidature qui n’apportait rien de plus à celle du premier ministre socialiste au contraire de celle de Jean-Pierre Chevènement qui tranchait sur celle de Jospin. La presse a bien sûr fait porter le chapeau à Chevènement, une bonne façon de taper sur la gauche restée de gauche. Le second tour Chirac/Le Pen a pourtant tout dû à Christiane Taubira, ce dont personne ne semble aujourd’hui se souvenir.
Pourquoi la gauche est-elle dans cet état entendons nous dire parfois sur tel ou tel plateau? Parce que Macron est de gauche, il vient du gouvernement Hollande et s’est entouré de socialistes ralliés à sa personne présentée comme un programme alors que son aventure n’était que l’occasion d’un gros fromage personnel! Sur 308 députés LREM 126 viennent de la gauche dont 83 du PS, les autres d’une droite libérale et maastrichienne plus que compatible avec la gauche libérale et maastrichienne. Car qu’est-ce qui distinguait Juppé de Hollande?
Le fameux ministre de l’Intérieur Christophe Castaner dont on connait l’ardeur à mater les Gilets Jaunes? Socialiste de 2012 à 2016. L’inénarrable ministre de la Santé Olivier Véran? Socialiste «jusqu’en 2017» dit sa notice Wikipédia. Annick Girardin ministre de la Mer? Déjà ministre chez le socialiste Hollande. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui fut un bon VRP de l’industrie de l’armement quand il était ministre de la Défense chez le même Hollande? Socialiste de 1974 à 2018. La ministre chargée de la citoyenneté Marlène Schiappa? Elue sur une liste socialiste au Mans. Le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand? Socialiste de 1980 à 2016. Gabriel Attal porte-parole du gouvernement? Socialiste pendant dix ans entre 2006 et 2016, alors qu’il n’a que trente-deux ans. Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes? Socialiste de 2002 à 2003. Florence Parly, secrétaire d’État au Budget?Socialiste de 1995 à 2006. Il n’est jusqu’à Alexandre Benalla qui était gros bras au Parti socialiste et chauffeur de Montebourg avant de faire la carrière médiatique que l’on sait. Etc.
Mitterrand depuis 1983, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron défendent une même politique, c’est celle de Maastricht. Le reste est affaire d’emballage. Gageons que Le Pen et Zemmour feront les lièvres pour qu’in fine Macron et Pécresse se retrouvent qualifiés le soir du premier tour. Comme d’habitude les élections seront probablement pliées en un tour: la France de Maastricht perdurera, c’est d’ailleurs ce qui la perd.
«Tout ça pour ça!» se diront les Français le soir du premier tour… Pas sûr que ça ne le mette pas en colère.
© Michel Onfray
Cher Mr Onfray , vous faites bien de rappeler les origines » socialistes » de tous ces petits gosses de riches issus de la bonne bourgeoisie , y compris notre serenissime president dans tous sa splendeur .
Ayant ete moi meme , longtemps de gauche , mais sincere celle la , tout comme vous meme , je presume , il est pour moi evident que ce terme de » socialiste » se rapporte aujourdhui a un autre monde que le mien , et assurement pas a gauche du tout 😜