Entretien
Propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire
Publié le 19/12/2021 à 8:30
Longtemps réticent à l’extrême droite, le monde catholique semble en partie conquis par Éric Zemmour. En témoigne le ralliement de plusieurs structures politiques actives lors de la Manif pour tous. Un constat que nuance Yann Raison du Cleuziou, maître de conférences en science politique à l’Université de Bordeaux et auteur de « Une contre-révolution catholique. Aux origines de La Manif pour tous » (Seuil, 2019).
Marianne : VIA, la voie du peuple (ex-Parti chrétien-démocrate)et le Mouvement conservateur (ex-Sens commun), deux structures d’inspiration catholique, ont rejoint l’équipe d’Éric Zemmour. Comment interpréter cela ?
Yann Raison du Cleuziou : On retrouve effectivement derrière Éric Zemmour différentes structures politiques qui partagent comme point commun d’avoir voulu transformer la mobilisation de La Manif pour tous (LMPT) en force de restructuration des droites : le Mouvement conservateur, VIA et le Cercle fraternité, une antenne des militants de LMPT au sein du Rassemblement national. À la tribune du meeting de Villepinte, Laurence Trochu, Jean-Frédéric Poisson et Agnès Marion ont incarné ces ralliements.
On pourrait même ajouter ce qui reste du Mouvement pour la France (MPF) depuis que Philippe de Villiers a rejoint Zemmour. Le conservatisme est-il la cause de cette convergence ? Je ne crois pas seulement. Car les positions d’Éric Zemmour sur le mariage homosexuel ou l’avortement sont assez faibles. Tout au plus s’engage-t-il à abroger « la PMA sans père ». Par ailleurs, jusqu’à présent, ces différents mouvements étaient divisés malgré leur conservatisme sociétal commun.ACTUALITÉ DES MARQUESL’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.Inspired by
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Ils divergeaient sur la tactique à adopter pour concrétiser la « ligne Buisson » : allier les élites catholiques conservatrices aux classes populaires en « insécurité culturelle ». Il suffit de se reporter à la primaire de la droite et du centre à l’automne 2016 pour le mesurer. Sens Commun a soutenu François Fillon, qui a pourtant toujours refusé de défiler avec LMPT, au nom des nécessaires compromis à faire pour accéder au pouvoir. Jean-Frédéric Poisson s’est présenté comme le candidat d’une droite de conviction et a dénoncé le choix de Sens Commun comme une trahison. Le Cercle Fraternité et Marion Maréchal ont critiqué cette primaire et battu le rappel pour Marine Le Pen.
Ces divergences tactiques ne sont pas minimes. Derrière, il y a des hiérarchisations de la priorité des luttes et des définitions différentes de ce que doit être un engagement catholique. En mai 2016, Madeleine de Jessey, alors porte-parole de Sens Commun, avait critiqué la dangerosité de la théorie du « grand remplacement » lors d’un débat avec Marion Maréchal. Par ailleurs, malgré un catholicisme commun, l’ancrage social de ces militants n’est pas le même. C’est très net dans le rapport au libéralisme économique.
De plus en plus de catholiques semblent se tourner vers Éric Zemmour. Faut-il y voir une conséquence d’une « droitisation » culturelle de ce milieu ?
En ce qui concerne l’électorat catholique, je serai prudent et je ne suis pas certain que Zemmour le mobilisera beaucoup, sauf chez les moins pratiquants. En revanche, l’ancien journaliste exerce une fascination chez les militants actifs de la droite catholique. Pour penser leur ralliement, il faut mesurer le grand déclassement que subissent les militants catholiques conservateurs en politique. Au sein du RN, ceux-ci ont été marginalisés par la réorientation idéologique choisie par Marine Le Pen et Florian Philippot.
La « retraite » de Marion Maréchal et la purge de ses réseaux dans le parti ont achevé de faire reculer leur influence. Au sein de la droite de gouvernement, Sens Commun et VIA n’ont pas obtenu des débouchés comme des postes et des circonscriptions, à la hauteur de leurs espérances. Les militants de Sens Commun ont été meurtris par l’instrumentalisation dont ils ont été l’objet, au sein même de l’aile centriste de LR, pour discréditer la candidature de François Fillon comme extrémiste. Le fait que François-Xavier Bellamy soit accusé par les mêmes d’avoir causé la défaite de LR aux européennes a achevé de désenchanter leur rapport au parti.« Les catholiques français vivent l’effondrement de la culture catholique, ce qui est particulièrement anxiogène. »
Dans les différentes droites, la marginalisation de ces militants catholiques est d’autant plus dure qu’ils ont découvert leur puissance potentielle dans les cortèges de La Manif pour tous. La candidature de Zemmour bénéficie donc d’une fenêtre d’opportunité car il vient occuper un espace politique déjà préparé intellectuellement par la droite-hors-les-murs. Il ne faut pas oublier que c’est lors de la Convention de la droite organisée par l’Incorrect qu’Éric Zemmour a franchi un pas décisif vers l’engagement politique. Et il offre un débouché à des réseaux militants catholiques conservateurs qui étaient bloqués par les logiques d’appareil au sein des partis de droite.
Il faut le dire clairement, si autant de militants se trouvent disponibles pour faire la campagne de Zemmour, c’est un effet de la crise de l’intermédiation au sein des droites. Les réseaux militants qui se sont forgés dans le cadre de LMPT auraient pu avoir une évolution idéologique différente si les appareils politiques en place leur avaient offert des débouchés en contrepartie de quelques compromis. Valérie Pécresse a prévu d’aller en Arménie avec Bruno Retailleau pour s’adresser indirectement à cet univers militant. Je ne suis pas certain que cela suffira à effacer le fait qu’elle a expurgé les militants de Sens Commun de sa liste aux régionales.
Alors qu’Éric Zemmour était en train de faire son meeting à Villepinte, le pape François dénonçait le naufrage de la civilisation européenne en visitant des camps de migrants à Lesbos. Les catholiques français ont-ils tourné le dos à la doctrine sociale de l’Église ?
L’électorat catholique pratiquant a longtemps été très résistant à la tentation du vote FN. Mais cela change nettement à partir des élections régionales de 2015, l’année des attentats contre Charlie hebdo et le Bataclan. Depuis, l’assassinat du père Jacques Hamel ou l’attaque de la basilique Notre-Dame de Nice ont donné le sentiment aux catholiques français de partager le destin des chrétiens d’Orient. L’attaque récente d’une procession dans le diocèse de Nanterre alimente cette crainte. Cette autocompréhension comme minorité menacée légitime chez eux le glissement nationaliste voire xénophobe. Il faut bien comprendre que les catholiques français vivent l’effondrement de la culture catholique, ce qui est particulièrement anxiogène.
Dans les jeunes générations, le nombre de musulmans déclarés est aujourd’hui tout juste inférieur à celui des catholiques. Le discours de Zemmour les rassure à double titre. Par sa révérence aux « racines chrétiennes » identifiées à l’essence de la culture française, il permet aux catholiques de conserver les privilèges dus à une religion majoritaire alors qu’ils sont une minorité en déclin. Par ailleurs, en dénonçant le « grand remplacement », il active une vision religieuse de la conflictualité politique et bien des catholiques espèrent que cela peut contribuer à réveiller, par opposition, l’identité catholique des Français.« Quoi que devienne la candidature d’Éric Zemmour, il faut mesurer la profondeur des inquiétudes et des tendances qui la portent »
Quant au pape François, ses positions sur les migrants sont reçues avec autant d’hostilité que les prescriptions de son prédécesseur Paul VI sur la pilule contraceptive. Dans les deux cas, la position du pontife est regardée comme un idéal abstrait trop en surplomb de la réalité des existences. Mais surtout, dans les deux cas, c’est tout autant la liberté de conscience personnelle et la liberté politique collective qui paraissent violées par le pape.
Car si le national-populisme d’un Zemmour peut avoir autant d’écho dans l’opinion, c’est parce qu’il apparaît porteur d’une aspiration authentiquement démocratique : la restauration de la capacité d’un peuple identifié à une majorité culturelle à faire la loi et à refuser les changements que des minorités culturelles voudraient lui imposer. Quoi que devienne la candidature d’Éric Zemmour, il faut mesurer la profondeur des inquiétudes et des tendances qui la portent.
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