Charles Meyer. Zemmour en Arménie

On va se le dire franchement et une bonne fois pour toutes : le cirque permanent autour de Zemmour n’est que le cache-misère d’une classe politique, intellectuelle, médiatique, qui dans sa globalité, représente aux yeux de tous comme d’elle-même, le vide.

Le vide, c’est se savoir totalement incapable de faire face devant ce qui arrive ici et dans le monde, de proposer la moindre vision, même pour les cinq prochaines petites années à venir. Aucun Parti, aucun candidat n’est capable de proposer la moindre action crédible et corrective de tout ce qui a été mis sous le tapis depuis 30 ans et de tout ce qui menace notre économie, notre sécurité mais aussi notre honneur, ici ou aux portes de l’Europe.

Rien qui puisse endiguer le déclassement de la Nation et celui des Français avec. Souvent même, avec l’arrogance agressive du mauvais commerçant pris la main dans le sac, en charriant les réalités, en admettant la gravité de la situation sans l’admettre, par toutes sortes rhétoriques remâchées et plus indigestes les unes que les autres.

Le Huffington Post est une caricature de journalisme et du progressisme idiot qui infantilise le citoyen et le lecteur. Non, Zemmour, quoi qu’on en pense, ne va pas “illustrer la guerre de civilisation” et ceci pour une raison assez simple : Erdogan se charge déjà de ce travail.

En envisageant ce déplacement forcément médiatique, Zemmour va surtout illustrer la faiblesse et la lâcheté abyssale des Nations et de l’Union européenne qui se couchent devant un islamiste qui ambitionne de transformer son pays puis toute l’Europe en Kalifat et ne se gêne plus depuis des années pour le dire. Parce que si une chose est certaine, c’est que Zemmour ne serait probablement pas taxé de quoi que ce soit en allant en Arménie, si l’ensemble de la classe politique y allait aussi, à commencer par l’espèce de bidule peniblement et très accidentellement transformé en président improbable depuis 2017. Et encore, quoi que je pense de Macron, l’honnêteté intellectuelle et la cohérence conduisent à observer que la France est depuis quelques années l’un des pays européens les plus en résistance aux délires d’Erdogan. C’est dire ce que l’Union européenne est devenue : une vaste blague à laquelle n’importe quel homme ou femme qui se respecte devrait passablement avoir honte d’appartenir.

Nous vivons une inversion totale des valeurs. Une séquence de honte, dans laquelle critiquer avec virulence l’Union européenne, deviendrait un acte fasciste, mais où tolérer que la même Union vende notre honneur, notre économie, puis maintenant notre sécurité, serait une chose acceptable qui doit passer sous les radars de l’indignation légitime et de l’opinion publique.

Alors, que Zemmour aille en Arménie ne me choque pas. Ce qui en revanche est totalement inacceptable, c’est le silence de lâches qui plane sur nos têtes dirigeantes et sur la “communauté internationale”.

Ce qui se passe en Arménie n’est pas seulement l’agression armée d’un État par un autre, mais l’expansionisme évident de l’islamisme que véhicule la Turquie dans une volonté d’anéantir et de soumettre toute autre culture dans la region. Qu’on y songe, il faudra être un sacré salopard pour chercher à le nier, à le minimiser ou à en faire un élément de langage pour ” combattre Zemmour”.

Dans ce contexte posé, il faut bien dire que chaque coup porté maladroitement à celui ou celle qui ambitionne de représenter la résistance à ce type de menace et au déclassement de la Nation, est un coup qu’on se porte à soi-même et qu’on porte à tous.

Car dans ce contexte posé, la maladresse tue. Je me contrefiche d’Éric Zemmour et j’exècre le crétinisme qui conduit à penser qu’un homme puisse devenir un sauveur au point de ne pas compter sur soi et de s’oublier en oubliant son esprit critique. Mais je ne suis pas pour autant dupe du pourrissement que jouent les autres. Les incessantes indignations à géométrie très variable, les coups bas qu’on accepte de donner à un candidat et qu’on refuse à d’autres, sont des distractions bien peu efficaces et élégantes qui ne vont avoir comme effet durable que d’accentuer les fractures et le niveau de violence politique, symbolique et donc de violence tout court.

En attendant, si à chaque fois qu’Eric Zemmour s’empare d’un sujet, il faut le minorer ou prendre son contre-pied pour dire qu’il n’existe pas, on n’est pas sortis de l’auberge.

Penser, c’est aussi discerner et comprendre qu’une chose n’est pas automatiquement la conséquence d’une autre. Ce n’est pas parce que Zemmour raconte absolument n’importe quoi quand il émet des doutes sur l’innocence de Dreyfus ou en insinuant que Petain aurait sauvé des Juifs au motif qu’il ne les tua pas tous, qu’il faut s’abaisser, comme je l’observe depuis des semaines, à instrumentaliser la déportation et la Shoah et servir pour lui répondre quand on a rien à dire sur d’autres sujets comme l’islamisme ou le déclassement de la Nation, en 2021. Ça, c’est non seulement malhonnête, mais c’est surtout se mettre au même niveau qu’on prétend denoncer.

Car si on pense sincèrement que les propos de Zemmour sur Dreyfus et les Juifs sous Vichy sont inadmissibles et ils le sont, alors on a le devoir de ne pas mêler ces sujets à d’autres et on a le devoir de ne pas rabaisser la défense de la Mémoire en instrumentalisant la seconde guerre mondiale et l’antisémitisme de la manière la plus obscène et la plus grotesque. La sequence de Bruno le Maire jeudi soir en fin de débat a, de ce point de vue, déclenché en moi un pic de malaisance intersidérale. Qu’on ne l’ait pas davantage dénoncée m’étonne.

Mais qu’attendre de gens qui ont l’arrogance et le cynisme de sonner aussi faux en parlant de la déportation, juste pour les besoins de leur médiocre campagne politique ? Tout cela est indigne.

© Charles Meyer