Une idée pour 2022
Par Pierre Lann
Publié le 07/12/2021 à 7:00
Le désormais candidat à la présidentielle sous la bannière du parti Reconquête martèle son souhait d’abroger le droit du sol pour empêcher les enfants nés en France de parents étrangers d’obtenir la nationalité française de manière automatique. Une mesure envisageable sur le plan juridique, mais qui tourne le dos à un principe qui existe en France depuis le XVIe siècle.
QU’EST-CE QUE PROPOSE ZEMMOUR ?
« Je veux supprimer le droit du sol », a assené le désormais candidat du parti « Reconquête », lors de son premier meeting de campagne à Villepinte (Seine-Saint-Denis), ce dimanche 5 décembre. Aujourd’hui, ceux qui sont nés en France peuvent bénéficier de ce droit de deux façons. Soit, dès la naissance, si l’un des parents est né en France (même s’il n’a pas la nationalité française). Soit en ayant vécu depuis au moins cinq ans en France (même si les deux parents sont nés à l’étranger et sont restés étrangers).
Ce droit concernait 27 501 personnes par an en 2017 selon les chiffres de l’INSEE, un chiffre en nette baisse par rapport à l’an 2000 (35 883 personnes). S’il n’en fait pas la demande, l’enfant obtient automatiquement de plein droit la nationalité à sa majorité, s’il a vécu au moins 5 ans en France depuis ses 11 ans. Ainsi, 1 948 jeunes ont obtenu la nationalité de cette manière en 2017 selon l’INSEE. Ce droit du sol est donc conditionné, et ne concerne que très peu de citoyens.
Pour Éric Zemmour, cette suppression s’inscrit dans un projet plus large visant à tarir l’immigration. Zemmour entend compliquer « drastiquement les conditions de naturalisation », « supprimer le regroupement familial », « expulser tous les clandestins présents illégalement sur notre sol » ou encore « déchoir de leur nationalité les criminels binationaux ». Des propositions radicales, que l’ancien chroniqueur de CNews entend proposer aux Français par voie de référendum, avant l’été 2022, s’il est élu président. « Ainsi sacralisé par le suffrage universel, elles s’imposeront à tous, y compris au Conseil constitutionnel, aux juges européens et aux technocrates de Bruxelles », a-t-il indiqué lors de son premier meeting. Éric Zemmour plaide de longue date pour l’abrogation du droit du sol, lui préférant le droit du sang, qui fait de tout enfant un Français dès lors que l’un de ses parents l’est.
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La mesure est également proposée par Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement National, dans des termes similaires. Si elle est élue, la députée du Pas-de-Calais entend soumettre à un référendum « l’abrogation du droit du sol », a-t-elle expliqué lors d’une conférence de presse le 28 septembre dernier.
Le parti Les Républicains a durci sa position sur le sujet. Valérie Pécresse, la candidate désignée samedi 4 décembre par les militants, propose également de réformer le droit du sol : « il faut cesser le droit du sol automatique en Outre-Mer et en métropole même si je ne suis pas pour le droit du sang. Je veux que tous les enfants nés en France d’un parent étranger fassent un choix à leur majorité. Je veux qu’on vérifie leur assimilation et qu’ils aient un casier judiciaire vierge », assurait-elle lors du deuxième débat de la droite le 14 novembre dernier, en réclamant l’application des conditions de la naturalisation lors de la demande.
QU’EST-CE QUE CELA CHANGERAIT ?
Concrètement, cela revient à supprimer l’un des trois grandes modes d’acquisition de la nationalité française (droit du sang, droit du sol, mariage). Un enfant né en France de parents étrangers ne devrait donc pouvoir acquérir la nationalité française que par naturalisation, dont Zemmour souhaite durcir les conditions, ou éventuellement par mariage avec un citoyen français. « Abroger le droit du sol remettrait aussi en cause l’équilibre du système français, qui associe plusieurs modes d’acquisition et qui en fait un droit intégrateur », considère la professeure de droità l’Université de Saclay Fabienne Jault-Seseke, interrogée par Marianne. La plupart des pays d’Europe, comme l’Allemagne notamment, ont aujourd’hui un système mixte comme la France. La suppression du droit du sol dans l’Hexagone en ferait une exception en Europe occidentale, aux côtés de l’Italie, qui a longtemps été un pays d’émigration, ou de la Suisse.
Au-delà, cela conduirait à revenir sur un « principe constitutif, pas seulement de la République, mais de la France moderne, qui existe depuis le XVIe siècle », explique à Marianne le professeur de droit public Jules Lepoutre, de l’université de Corse. Le droit du sol était la règle sous l’Ancien Régime. Était Français toute personne qui était née en France ou qui y demeurait, un principe qui ne sera modifié qu’en 1803. Lors de l’adoption du premier Code Civil, priorité a été donnée au droit du sang, contre l’avis de l’empereur Napoléon Ier, devenu français par le droit du sol, qui y voyait surtout un moyen de garnir les rangs de ses armées.
Le droit du sol sera pleinement rétabli par la IIIe République en 1889, dans la foulée de la loi établissant le service miliaire. La France est alors une exception en Europe en étant le premier pays d’immigration du continent : « le droit du sol a notamment été rétabli par souci d’égalité devant le service militaire. Les travailleurs français des usines se plaignaient que leurs collègues italiens ou belges ne soient pas eux aussi appelés à l’armée. Le bruit courait alors qu’ils volaient les femmes et les promotions à l’usine des Français », explique le juriste Jules Lepoutre. L’application du droit du sol a depuis été constante, y compris lors du régime de Vichy, du moins en métropole.
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Il existe en effet une exception en droit français, très récente, qui concerne le département de Mayotte. Depuis 2018 et la loi asile et immigration, un enfant né de parents étrangers sur cette île de l’océan Indien ne peut acquérir la nationalité française que si l’un de ses parents réside sur le territoire français de manière légale depuis au moins trois mois. Une durée que le gouvernement souhaite désormais porter à un an. Un projet de réforme en ce sens doit être déposé début 2022. L’objectif défendu par le gouvernement était alors de réduire l’immigration venue des îles voisines de l’archipel des Comores et de remédier à la saturation de la maternité de Mamoudzou, la préfecture de Mayotte.
Alors qu’il a longtemps fait l’objet d’un consensus, le principe du droit du sol semble de plus en plus remis en cause par la droite. Une contestation que l’historien Patrick Weil, fait remonter à la fin des années 1970. « Après 1977, Valéry Giscard d’Estaing cherche à faire partir les immigrés non européens vers leur pays d’origine. Il crée une aide au retour qui n’est pas suivie d’effet, et passe à une étape contraignante en cherchant à organiser le retour forcé de 500 000 Algériens résidant en France », écrit-il dans un article publié dans la revue Études.
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Mais ce projet échoue, alors qu’il rencontre une vive opposition venue de la « gauche, des Églises, des syndicats » mais aussi de la part de son Premier ministre, Raymond Barre. Selon Patrick Weil, « le débat se déporte alors sur la nationalité : puisque l’on n’a pas pu faire partir les immigrés de France, il faut, pour certains empêcher leur entrée dans la nationalité française ». En 1984, le député Alain Griotteray (UDF) propose l’abrogation du droit du sol. Une mesure un temps reprise par le Rassemblement pour la République (RPR), qui finira par renoncer pour ne mettre en place qu’une modification à la marge en 1993, en exigeant que l’enfant né en France de parents étrangers fasse une lettre de motivation pour devenir français. Un point sur lequel reviendra le gouvernement de Lionel Jospin en 1998. Depuis, le principe n’a pas fait l’objet de restriction substantielle.
EST-IL POSSIBLE DE SUPPRIMER LE DROIT DU SOL ?
Sur le plan juridique, la suppression du droit du sol paraît possible, selon les spécialistes interrogés par Marianne. « Le principe du droit du sol n’est prévu que par le Code Civil, en principe il n’a donc qu’une valeur législative », explique le professeur de droit Jules Lepoutre. Le Parlement aurait la possibilité de l’abroger pour l’avenir par une simple loi. D’autant que, comme le souligne Fabienne Jault-Seseke : « Un État est souverain pour fixer les règles de la nationalité ». Selon cette spécialiste interrogée par Marianne, ni le droit de l’Union européenne, ni la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) ne prévoient de règles qui pourraient empêcher une abrogation du droit du sol.
Tout au plus, le Conseil Constitutionnel pourrait estimer qu’il a une valeur constitutionnelle et empêcher le Parlement de légiférer à ce propos, selon Jules Lepoutre. « La question n’est pas tranchée. Mais même si rien dans la Constitution écrite ne protège le droit du sol, il me semble que le Conseil Constitutionnel pourrait estimer qu’il s’agit d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant donc une valeur constitutionnelle. Il y a pour cela deux conditions : qu’il s’agisse d’une loi antérieure à 1946 et que son principe ait été appliqué de manière constante, ce qui est le cas du droit du sol », précise le spécialiste du droit de la nationalité. Un contrôle par les Sages qu’Éric Zemmour compte néanmoins contourner, puisqu’il envisage un référendum sur son projet à propos de l’immigration. Or, le contenu des lois prises après un référendum ne peut pas être retoqué par le Conseil Constitutionnel. À défaut, Éric Zemmour aurait toujours la possibilité de modifier la Constitution pour contourner le couperet des juges.
Si la mesure semble donc envisageable sur le plan juridique, elle comporte toutefois des risques. En premier lieu, celui de créer des apatrides, des enfants sans nationalité et donc sans aucune citoyenneté, ce qui empêche d’être scolarisé, d’ouvrir un compte bancaire ou de circuler librement. Autre risque, celui de supprimer un moyen de preuve de notre nationalité. « Le droit du sol nous concerne tous. C’est le moyen le plus simple de prouver sa citoyenneté, en recherchant l’acte de naissance de nos parents. Si on le supprime, cela risque de poser des problèmes à l’avenir. Il faudra remonter dans les arbres généalogiques pour savoir si tel ou tel est français, ce qui risque de causer des problèmes pratiques », s’inquiète le juriste Jules Lepoutre. C’est sur cet obstacle, que le gouvernement de Jacques Chirac avait reculé en 1986,selon les travaux de l’historien Patrick Weil.
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Par Pierre Lann
On peut être Français et chrétien, juif, musulman ou athée; blanc, jaune, noir ….. ; le “sang” français n’ est pas raciste; un peu de droit du sang ne peut pas faire de mal.