Ici, il n’est pas question d’un millionième commentaire sur Eric Zemmour, ses idées ou ses projets mais du phénomène de société autour de lui.
Ce phénomène n’a probablement aucun équivalent dans l’histoire politique de la France moderne. Et pour commencer, EZ est de toute évidence un produit de la télévision. Sa présence dans de multiples émissions en a fait un personnage médiatique très connu. Prétendre le contraire est de l’aveuglement. Lui même a parfaitement maîtrisé une clé de la communication moderne: la provocation à tout prix (à tout prix) pour créer le scandale et se placer au centre de l’attention médiatique.
Ensuite, il se passe quelque chose d’extraordinaire. Depuis la rumeur de sa candidature, le volcan politico-médiatique entre en éruption à son sujet. Depuis trois mois environ, EZ est devenu l’obsession de ce monde étrange qui épie ses moindres déclarations, faits et gestes. Toute prise de parole publique d’une personnalité du monde politico-médiatique (politiciens, star système, universitaire, médias) se ramène tôt ou tard à EZ dont l’image omniprésente, obsessionnelle, donne lieu à une sorte de transe collective ou déferlante irrésistible.
Le personnage est sublimé jusqu’à l’éblouissement par tout ce petit monde qui, à raison de centaines, milliers de fois tous les jours ergote, radote, disserte et mouline à son sujet.
Et la roue démentielle tourne…
Pas une prise de parole une interview d’un politique ou d’un analyste qui ne se ramène tôt ou tard à EZ, placé ainsi au cœur de l’arène politique.
Mais en parallèle, se produit une fuite dans une surenchère d’insultes à son endroit. C’est à qui l’insultera le plus violemment, le traînera le plus méchamment possible dans la boue, lui adressera les crachats les plus venimeux. On aura tout entendu dans l’ordre de la haine : maurrassien, raciste, pétainiste, etc. Et puis, le summum : ‘Juif antisémite”. Existe-t-il une insulte plus terrifiante à l’égard d’une personne de confession juive?
La classe politico-médiatique se livre à une fascinante opération de récupération: comme lui-même s’adonne à la provocation à tout prix pour forcer l’attention médiatique, les politiciens dans le plus étrange des ballets d’hypocrisie prennent appui sur cette notoriété conquise – à travers les jeux de haine – pour forcer eux-mêmes l’attention médiatique.
Et au sommet de cette logique, ne pas vomir sur EZ devient une forme de transgression qui peut être utile électoralement en distinguant son auteur de la masse haineuse (d’où l’extraordinaire « Moi j’aime bien Eric Zemmour » d’E. Macron).
Et c’est ainsi qu’EZ devient le parfait “bouc émissaire” (au sens de René Girard), sorcière sur son bûcher, au centre d’un monstrueux ballet politico-médiatique, celui qui incarne le mal absolu et dont le lynchage collectif de l’image maudite restaure la légitimité perdue du politique, renoue le lien brisé (ou le consensus dit “républicain” par delà les clivages) et permet d’effacer tout le reste, l’effroyable bilan de plusieurs dizaines d’années de gouvernement (tous!), la crise populaire de défiance envers le politique, la médiocrité générale d’une campagne, le néant des projets et de l’espérance politique.
© Maxime Tandonnet
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