Depuis l’accession au pouvoir de Hitler, Spire faisait partie d’organisations d’assistance, dont le Comité National de secours aux réfugiés allemands victimes de l’antisémitisme, présidé par Paul Painlevé. Il commença en juillet 1933 avec le placement agricole de jeunes Juifs allemands en Touraine.
Mais c’est alors que, désirant compléter son étude sur Nietzsche, Halévy emmena sa famille passer l’été 1937 en Allemagne : « Pour voir les églises, précisait-il à Spire, comme pour le rassurer. La maison de Goethe à Weimar et la tombe de Nietzsche. Nullement pour enquêter sur les dispositions et les lois. » Néanmoins, il apparaît fasciné par la vitalité du pays, « malgré les pasteurs emprisonnés, le clergé diffamé, les juifs écrasés ».
Les « illusions perdues » des pétainistes
Comme si sa disparition sonnait la fin d’une époque, Gabrielle, la première femme d’André, est décédée dans le milieu des années trente des suites d’une longue maladie. André se remarie en 1940 avec sa cousine Thérèse Marix-Spire, musicologue et violoniste.
Au moment de la débâcle, le couple fuit vers le midi et parvient à rejoindre le Portugal à partir de Marseille. Ils sont à Lisbonne en mars 1941, où ils attendent le bateau, quand leur parvient une carte de Florence Halévy : « Il paraît (…) que mon beau-frère [Daniel] collabore activement, » lui annonce-t-elle. En effet, l’historien, l’ami de 40 ans, a opté pour le maréchal.
Pour Spire c’est une trahison.
Ainsi s’achève leur correspondance.
« Depuis l’affaire Dreyfus, André avait arrêté son attitude, explique Thérèse Spire. Refuser toute aide et subir le sort commun tant que les Juifs français seraient traités comme des citoyens à part entière, si par malheur ils devenaient des citoyens de seconde zone, lui-même reprendrait la route millénaire de l’exil. »
En revanche, comme réconforté de voir que le « statut des Juifs », voté au lendemain l’armistice, lui délivrait, en somme, un certificat d’aryanité en ne s’intéressant pas aux origines juives de son grand-père Léon, l’écrivain Daniel Halévy s’était mis au service des nouveaux maîtres de la France. Sans tarder, dans Trois épreuves (Plon, 1940), il révéla publiquement son soutien à Pétain.
La découverte d’un Daniel Halévy collaborateur et pétainiste mit ainsi une fin cruelle et définitive à quarante ans d’une amitié intense et fructueuse.
Péniblement, André et Thérèse traversent l’Atlantique et gagnent New York, où une petite fille, Marie-Brunette, voit le jour. Après avoir intégré, comme beaucoup d’intellectuels européens fuyant le nazisme, la New School of Social Research de New York, Spire enseigne la poésie française à l’Ecole Libre des Hautes études, tandis que Thérèse donne des cours de langue et de littérature française.
Après la guerre, ceux qui avaient soutenu Pétain ne déposèrent pas les armes. Halévy lui-même ne renonça jamais. Membre de l’Association pour défendre la mémoire de Pétain, il milita dès la fin des années quarante pour la révision du procès du maréchal. Il resta toujours lié à la mouvance de la vieille extrême-droite maurassienne et pétainiste revancharde, comme les Pierre Boutang et les Jean Guitton.
C’est ainsi qu’en 1951, lors d’une interview radiophonique, Spire évoqua « une impudente campagne pour faire rendre la liberté à ceux qui avaient livré les Juifs de France aux tortures et à l’extermination des nazis : les Xavier Vallat, les Maurras et Pétain lui-même. »
© Edith Ochs
Edith est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) « Les Falasha, la tribu retrouvée » ( Payot, et en Poche) et « Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan » (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduits de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.
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