Les vers libres du poète
« Quelle émotion nous secoue, André Spire, quand nous vous lisons. Il nous semble que vos vers si légers ont le pouvoir d’ébranler les fondements des empires et même ceux des républiques, » remarqua Guillaume Apollinaire.
« Elle m’est apparue cette nuit, la vaincue, les yeux bandés, le col penché, la tête défaite./ Elle m’est apparue cette nuit, telle que je l’ai vue sur le pilier de sa cathédrale…, » écrivit-il à Pâques 1905. « Tu n’auras l’oreille habile que pour les pleurs qui tombent des quatre coins de l’univers. » L’Ancienne Loi, Poèmes juifs.
Depuis ses années de lycée, Spire était fasciné par la poésie, mais il fallut attendre qu’il se débarrasse des influences romantiques de sa jeunesse. Péguy publia le recueil de poèmes Et vous riez ! dans les Cahiers de la Quinzaine du 1er janvier 1905 : « Ma barque, lentement, descend le fil de l’eau./Les arbres sont penchés sur la rivière calme… » Le style est devenu fluide et dépouillé.
Dans Plaisir poétique et plaisir musculaire (éd. José Corti,1949, réédition 1986), il évoque comment, parlant du vers tradition et du vers libre avec Péguy, celui-ci le mit en rapport avec Romain Rolland, lequel l’orienta vers le laboratoire de phonétique expérimentale au Collège de France. Par la suite il ne cessa de travailler la technique poétique.
Il a une façon à lui de cerner le sens, l’idée, et d’aller droit au but. « Ma barbe n’était pas encore blanche/Quand j’arrivai de ma province/Dans la capitale du monde. » Il décrit l’orgie autour de lui, la gabegie, la cupidité : « Et par les coins de leur bouche/Cela coulait sur leur menton./ Alors j’ai rouvert ma vieille Bible. »
Comment les vivants et les morts cohabitent-ils en nous ? Pour livrer son intimité et parler des tombes juives qui lui sont chères, ses poèmes revêtent une écriture sobre et allusive : « Tu as dit à ta jeune femme/Partons pour mon pays. Mes grands-pères, leurs fils et leurs frères/y dorment sous des pierres dressées.[…] Tu liras les lettres carrées,/Gravées en creux et rehaussées de noir ; Où leur vie est racontée […] » Voyage de Noces (Poèmes juifs)
Un poète de combat
Spire le révolté est un poète militant, un poète moderne. Les Poèmes Juifs, parus en 1908, étonnent par leur franchise et leur combativité. L’âme, l’immortalité, la musique, l’amour de la France, la beauté de la campagne quand sa « barque, lentement, descend le fil de l’eau », mais surtout, plongeant en lui-même, il s’adresse au Juif. Les titres sont évocateurs « Assimilation », « Pardonne », et « Ecoute, Israël ! » .
Ce dernier poème, écrit en avril 1907, évoque les pogroms à l’Est, à l’instar de Haïm Bialik, Dans la Ville du massacre. Ici le poète français appelle à la révolte. Il exhorte le peuple juif à cesser de se lamenter, il ne sert à rien de s’en remettre à Dieu pour vaincre les méchants. Ecoute, Israël, dit le poème, profite du répit pour transformer tes outils d’ouvrier paisible afin d’assurer toi-même ta défense. Et le poème s’achève ainsi : « Ecoute, Israël !/Aux armes ! »
Ses poèmes furent salués pour leur « admirable beauté », permettant d’après les uns, de « mieux connaître l’âme juive », salués aussi par Halévy, dont on peut pointer néanmoins, dans sa chronique dans Pages Libres, qu’il parle prudemment de « dangereux aveux » de la part de son ami. En effet, certains critiques ne se privèrent pas de disséquer ses poèmes d’un œil malveillant.
© Edith Ochs
Edith est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) “Les Falasha, la tribu retrouvée” ( Payot, et en Poche) et “Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan” (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduits de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.
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