Natacha Polony. La « culture du Respect » — nouvelle intoxication idéologique

Il faut le répéter, le marteler : nous vivons dans un pays où 130 personnes ont été massacrées, les unes alors qu’elles buvaient à la terrasse d’un café, les autres alors qu’elles assistaient à un concert, un autre encore alors qu’il venait de convoyer des spectateurs pour un match de football. Il faut le répéter parce que tout est fait pour absorber, digérer cet événement et le ramener à une dimension acceptable, que nous saurions gérer par les procédures habituelles de notre bel État de droit.

Le procès gigantesque qui se tient au Palais de Justice de Paris est en train de virer au malentendu majeur. Il a permis, bien sûr, de faire entendre des témoignages poignants et nécessaires, de perpétuer la mémoire de cette nuit d’horreur et de ce qui s’ensuit. Et, de toute façon, nous n’avons pas le choix : nous ne pouvons, nous ne savons faire que cela. Mais encore faut-il s’entendre sur ce que nous faisons, justement. Cet État de droit que d’aucuns brandissent comme une amulette éloignant les mauvais esprits et les sujets qui fâchent nous enjoint, à juste titre, d’accorder un procès équitable, même à la pire des ordures, pour déterminer précisément l’ampleur de sa faute et les processus qui y conduisent. Mais on parle là de procès civils, portant sur des individus qui enfreignent les lois et perturbent l’ordre social. Le 13 novembre 2015 est incommensurable parce qu’il ne relève pas de cela mais de l’acte de guerre.

Et nous allons tout droit au piège. Quand les anciens patrons de la DGSE et de la DGSI comparaissent devant ce tribunal pour répondre aux questions des avocats de la défense ou des parties civiles, que croyons-nous qu’il en ressortira ? « Avez-vous déjà travaillé avec Jabhat al-Nosra ? », « auriez-vous laissé partir des jeunes gens en Syrie pour vous en débarrasser ? », « la refonte des services de renseignement permettrait-elle d’empêcher de nouveaux attentats ? »… Les questions sont du même ordre que celles qui ont été posées à François Hollande, venu tranquillement à la barre comme un pékin moyen, histoire d’être jusqu’au bout le président qui n’aura rien compris à ce que signifie être président.

À quel moment allons-nous enfin nous demander au nom de quoi et dans quel but ces questions sont posées quand il s’agit de juger Salah Abdeslam et les complices d’un crime de guerre ? Y a-t-il eu, à Nuremberg, quelqu’un pour s’interroger sur la lenteur de l’organisation du débarquement ou de la libération des camps ? Nuremberg fut le procès de l’idéologie nazie. Nous ne savons pas faire, aujourd’hui, le procès de l’idéologie islamiste. Et les mêmes dérives se reproduiront quand il s’agira de juger ceux qui ont, par leur dénonciation calomnieuse et leur harcèlement, provoqué la mort de Samuel Paty.

L’État de droit ne vaut que quand il s’articule à la volonté du peuple. Alors seulement, une démocratie fonctionne à peu près. Et c’est au peuple de sanctionner les manquements et les erreurs de ses dirigeants. La politique étrangère de François Hollande fut un naufrage, qui a conduit (dans la droite ligne de celle d’Alain Juppé sous Nicolas Sarkozy) à l’effacement de la France de la scène internationale. Cependant, nous n’avons pas à en débattre devant Salah Abdeslam mais devant la représentation nationale.

Il ne faut donc pas s’étonner, ensuite, qu’un Éric Zemmour choisisse cyniquement de relancer sa campagne en se rendant devant le Bataclan pour attaquer le même François Hollande avec tout le simplisme et toute l’arrogance de celui qui n’a jamais exercé la moindre responsabilité. On savait que des terroristes pouvaient s’infiltrer parmi le million de migrants accueillis par Angela Merkel dans le mépris total de toute coopération européenne ? Eh bien, il n’y avait qu’à fermer les frontières ! Combien de temps, selon quelles règles précises ? Le brillant candidat ne le dira pas.

Il faut avouer qu’en face, quand l’insoumise Raquel Garrido lui reproche d’empêcher par ses propos la « réconciliation » entre les familles des victimes et les terroristes, on touche le fond. Mais voilà encore le révélateur de cette logique viciée qui est la nôtre, et que perpétuent à l’envi ceux qui ânonnent que « les terroristes veulent nous diviser » et qu’il faut surtout « ne pas polémiquer ».

Les terroristes veulent nous tuer. Et il faut absolument débattre de la façon dont nous allons combattre leur idéologie, qui contamine de jeunes Français en utilisant tout ce que notre société produit de culpabilité, de haine de soi, de naïveté crasse et de sanctification du « respect ». Il faut lire le livre de David di Nota, « J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty » qui montre précisément comment cette idéologie du « respect » des susceptibilités, même religieuses, imposée depuis des décennies aux enseignants, interdit toute forme de transmission, et donc de laïcité.

Nombre de Français ont le sentiment que leurs gouvernants sont totalement impuissants devant les violences et les injustices de ce monde. Beaucoup, surtout depuis la pandémie, ont choisi le repli. Ils ont fait sécession, ne votent plus et se tiennent éloignés des médias. D’autres crient leur colère à travers des candidatures caricaturales ou antidémocratiques. Les traiter de fascistes ne changera rien. La seule réponse est de ne pas se tromper de combat.

© Natacha Polony

https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/13-novembre-proces-de-lislamisme-ou-proces-de-la-france

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1 Comment

  1. Ne plus voter et se tenir éloigné des médias (les médias français !) n’a rien à voir avec du « repli » : c’est plutôt un signe de lucidité et d’esprit critique. De cet esprit critique et de cette lucidité qui font aujourd’hui si cruellement défaut Natacha polony et à Marianne.

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