L’intitulé de la rencontre « Français Juifs ou Juifs Français« , organisée hier en la mairie de Paris XVIe, est une ancienne antienne qui ressurgit à chaque inquiétude dans le monde juif. Les Juifs et les antisémites sont quasiment seuls à s’intéresser à la définition de l’être juif. Français, tout le monde sait encore plus ou moins clairement ce que cela signifie… Les Juifs sont des questionneurs, c’est leur fonction sur la planète, alors ils se demandent qui ils sont collectivement ici.
L’histoire de leur pérennité compliquée en France
Parlons plus simplement de l’histoire de leur pérennité compliquée en France. Quand j’ai commencé à m’intéresser aux expulsions des Juifs de France, il y a quinze ans, j’avais l’habitude de demander : Connaissez-vous la date d’expulsion des Juifs d’Espagne ? Beaucoup me répondaient 1492. J’ajoutais alors : Et en France ? La plupart déniait le fait ou lâchait un au Moyen-Âge, Saint Louis probablement… Rien, jamais, n’a été enseigné en la matière. Alors j’ai fouillé et la prise fut impressionnante : treize expulsions, la France est le pays qui a le plus souvent expulsé les Juifs ! Restait à s’interroger sur les causes de ce déni collectif.
Treize édits d’expulsion des Juifs de France et si dans mémoire on entend le phonème « même », il ne faut pas en limiter les effets à une métastase du temps mais tenter de mettre le passé au profit de l’avenir.
Les premières expulsions se font au nom de la religion
Elles sont mérovingiennes, le fait des envahisseurs Francs lorsque l’empire romain perdait ses valeurs et s’étiolait. Nos ancêtres les Francs expulsent les Juifs au nom de leur amour pour un petit Juif. Zèle de nouveaux convertis.
Vous en lirez les détails dans le Bréviaire des expulsions de Juifs de France.
Les Juifs de Paris habitaient rue de la Juiverie, aujourd’hui rue de la Cité.
Avec les capétiens, viennent les expulsions plus économiques
Deux expulsions furent particulièrement dramatiques : celle de Philippe II dit Auguste en 1182 et celle de Philippe IV dit le Bel en 1306.
Moins d’un siècle après les massacres de la première croisade, le judaïsme français est encore extraordinairement vivant ; c’est l’ère des tossaphistes, les continuateurs de l’œuvre de Rachi. Le judaïsme français était la lumière de son temps.
Quand Philippe Auguste monte sur le trône en 1180, à quinze ans, les caisses sont vides. Pour le roi, les Juifs étaient à la fois des ennemis de la Foi, des concurrents pour la bourgeoisie chrétienne naissante et une aubaine pour ses caisses. En 1181, il les fait arrêter un Shabbat dans les synagogues, les dépouille de leur or, de leur argent, de leurs vêtements[1] puis, les libère contre 15.000[2] marcs or (3,750t). Il annule les dettes contractées à leur égard mais s’en fait remettre 20%.
L’année suivante, il les expulse du domaine royal[3]. A son retour de la troisième croisade qui a saigné son royaume, il les rappelle. Ils ne reviennent pas, alors il promulgue un édit qui les réifie : aucun seigneur ne peut accaparer le juif d’un autre seigneur !!
Philippe IV le Bel est le roi de France le plus violent envers les Juifs. Pour que les choses soient claires en 1291, il ordonne aux Juifs récemment expulsé d’Angleterre de quitter Carcassonne au motif qu’ils ne possèdent plus rien… puis les taxes spécifiques pleuvent.
La terrible cinquième expulsion en 1306
Arrive enfin la terrible cinquième expulsion en 1306. Les caisses sont à nouveau vides : les Juifs sont brutalement expulsés, leurs biens confisqués et le roi s’approprie leurs créances. Plus de cent mille personnes jetées sur les routes dans des conditions épouvantables. Ils sont souvent attaqués et maltraitésen chemin. Le roi fait valoir aux seigneurs qu’il est le seul et unique propriétaire des biens des Juifs établis dans son royaume…
Cette cinquième expulsion fut irrémédiable pour le judaïsme français et catastrophique pour la marche de l’économie du royaume. Le chroniqueur Geoffroy de Paris regrette d’ailleurs les prêteurs juifs :
Car Juifs furent débonnères
Trop plus en fesant telz affaires
Que ne furent ore chrestien
Notons que le Grand Maître des Templiers, Jacques de Molay, fut supplicié en 1314 sur l’îlot des Juifs (aujourd’hui square du Vert galant).
Entre temps, Louis IX, qui n’était pas encore Saint lorsqu’il accéda, à 12 ans, au pouvoir. Il est responsable en 1240, avec l’aide du dominicain Nicolas Donin, apostat au judaïsme, de l’organisation du procès du Talmud, la première disputation judéo-chrétienne publique. La sentence était connue d’avance : 24 charretées du livre furent livrées au bûcher. A son retour de croisade, en 1254, le roi bannit effectivement les Juifs de France mais, évidemment, un versement au trésor annule la mesure. En 1259, il impose aux Juifs le port de la rouelle sur la poitrine et dans le dos, un morceau d’étoffe jaune inspirée du fameux pacte d’Omar dit de tolérance.
Puis après Philippe le Bel, expulsions et rappels moyennant finance et pour des durées limitées se succèdent à un rythme effréné.
Vous en lirez les détails dans le bréviaire des édits d’expulsion. Les convertis sont sous la surveillance pointilleuse de l’Inquisition née en France en 1231.
Lorsque que Charles VI accède au pouvoir en 1380, à 11 ans, la guerre et le train de vie des régents provoquent des révoltes. A Paris, en 1382, les émeutiers détruisent les registres des receveurs publics puis envahissent le quartier juif, massacrent et pillent pendant plusieurs jours. Des Juifs cherchent protection au Chatelet et à l’Abbaye de Saint Germain des Prés où on leur enlève leurs enfants pour les baptiser de force. On accuse les Juifs de tout : des finances exsangues du royaume, jusqu’à la folie du roi. En 1394, le roi bannit définitivement, sans exception ni privilège, les Juifs qui demeurent encore dans son royaume : par ces présentes délibérons, voulons, concluons et déterminons par manière de constitution irrévocable que doresnavant, nul Juif ou Juive ne habitent, demeurent en nostre dit royaume, …tant en Languedoyl comme en Languedoc. Et d’ajouter ailleurs : comme les Juifs sont responsables de la famine, avec leurs départs nous ne souffrirons plus jamais…
Ils vont vers l’Allemagne, la Savoie, la Provence, les Etats du pape et, à l’invitation du sultan Bajazet 1er, dans les Etats ottomans notamment en antique Terre d’Israël et dans les Balkans.
Et la litanie continue car l’édit fut étendu aux divers fiefs à mesure de leur réunion à la couronne : la Bretagne en 1491 et, en 1498, la Provence. Beaucoup vont vers l’ancien royaume de leurs ancêtres et en Afrique du Nord. Parmi ces derniers des Sarfati (Français), Narboni, Elbaz (Biterrois) etc… Certains reviendront en 1962.
Le Moyen Âge se termine sans plus de Juif en France, la Renaissance bouleverse l’Europe mais l’édit de Charles VI reste définitif.
La prévention anti-juive touche à l’absurde quand Louis XIII[4] signe en 1615, cet édit : Que tous lesdits Juifs qui se trouveront en notre Royaume, terre & segneuries de notre obeyssance, seront tenus, sur peine de la vie & confiscation de tous leurs biens, d’en vuider & se retirer d’iceux incontinant…
Edit absurde puisque le royaume est sans Juif depuis plus de deux siècles.
Des Juifs, il y en aura de nouveau en France en 1648 quand le traité de Westphalie qui conclut la guerre de Trente Ans, apporte partie de l’Alsace et la Lorraine[5] à Louis XIV qui n’en expulse pas les Juifs.
Reste encore le cas des Antilles Françaises dont le même Louis XIV avait expulsé les Juifs en 1643, expulsion confirmée en 1685 par l’article 1er du fameux Code Noir :à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les Juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir…
En 1724, Louis XV expulse les Juifs de Louisiane.
Rappelons ici, sans revenir sur les apports de la Révolution à l’émancipation des Juifs, que nous devons à Louis XVI les premières grandes avancées : en 1784 il permet aux Juifs d’exercer l’agriculture, le commerce et l’artisanat puis, en 1787, il ordonne le concours de l’Académie Royale des Sciences et des Arts : est-il des moyens de rendre les Juifs plus utiles et plus heureux en France ? et il prime le mémoire de l’abbé Grégoire : Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs …
La haine est tenace : à la religion, à l’argent s’ajoute l’idée de race
A la fin du XIXème, il y a de graves émeutes anti-juives en Algérie française. Les élections législatives y portent à la Chambre des députés 4 candidats des partis antijuifs[6] sur 6 sièges. Apparait la notion de « race »… Pour mémoire, les Juifs d’origine khazar furent exclus de la solution finale par les nazis sur cette idée de race ; cela fait, au moins, six millions d’Ashkénazes non Khazars…
A cette époque, comme aujourd’hui, cette haine créait des lignes de rupture politiques dans la droite nationaliste comme dans la gauche avec la Ligue socialiste antijuive[7] !
Rien n’arrête la haine en Europe malgré l’héritage des Lumières et, sans entrer dans une polémique, arrive la période de l’Etat Français de Pétain qui expulse les Juifs de la société française par le statut des Juifs dès octobre 1940 définissant qui est de race juive auquel est interdit toute participation à un corps de l’Etat ou de la communication.
L’armistice avait été signé le 22 juin et l’Assemblée nationale voté le 10 juillet, les pleins pouvoirs. Affaire rondement menée.
C’était, sans le dire ni l’écrire, l’expulsion par la déportation et la mort. Quant aux spoliations, ce fut l’aryanisation des entreprises et commerces de Juifs [8].
Lorsque j’étais jeune il y avait 600.000 Juifs en France, il en reste aujourd’hui 450.000… il est remarquable que l’idéologie anti-juive est ce qui a été le mieux accueilli d’une nouvelle catégorie de Français avec tous les alibis possibles.
Conclusions
Pendant des siècles, l’Angleterre, la France puis l’Espagne et le Portugal furent, selon le vocable nazi, Jüdenrein alors que les Juifs survivaient dans l’Allemagne[9] morcelée. Depuis, la Shoah est devenue l’énorme arbre qui masque la forêt des persécutions et exactions en Europe pendant 15 siècles.
De quoi procèdent ces expulsions ?
De l’Eglise, c’est vrai, mais c’est vite dit, aussi de pouvoirs absolutistes, aveugles et avides, puis du concept absurde de race d’un darwinisme mal digéré. L’antisémitisme procède de campagnes de rumeurs, d’accusations fallacieuses qui prennent corps dans des imaginaires si bien qu’aucun enseignement ne saurait le faire disparaitre. La culture ? Les officiers nazis étaient professeurs, écrivains, poètes, médecins, juristes, universitaires et c’est eux qui ordonnaient de tuer. Au cours de l’histoire, expulsions et massacres se faisaient avec, au moins, l’assentiment des autorités.
Aujourd’hui, les réactions fermes et au-delà du verbal des autorités tardent…
Je vous demande où assassine-t-on en Europe des Juifs parce qu’ils sont Juifs ? En tous cas pas dans les pays d’Europe de l’Est, réputés antisémites.
Alors Juifs français ou Français juifs ? Juifs de France auxquels, finalement, l’Histoire a montré qu’ils ne peuvent choisir, seulement se défendre ou subir. Des malheurs s’annoncent pour la France. Quant au peuple juif, il a toujours survécu.
A la lumière sombre de ce résumé historique, que pensez-vous de quoi demain pourrait être fait ?
© Richard Rossin
Ancien Secrétaire Général de MSF, cofondateur de Médecins du Monde, Ancien Vice-Président de l’Académie Européenne de géopolitique.
[1] Rapporte le chroniqueur anglais Raoul de Diceto.
[2] 3.750 kilos d’or.
[3] A la région entre Paris et Orléans, la région de Bourges, partie de la Champagne et de la Bourgogne
[4] Pseudo-régence de Marie de Médicis et de Concini.
[5] Strasbourg ne devient française qu’en 1681.
[6] Drumont et Marchal sont élus à Alger, Émile Morinaud à Constantine et Firmin Faure à Oran.
[7] Max Régis et Gobert par exemple.
[8] Directeur des Finances et du Commerce international : Couve de Murville.
[9] A noter qu’en Scandinavie les Juifs étaient interdit jusqu’au XIXème siècle.
Français Juifs ou Juifs Français ? Souvenons-nous de ce qu’avait répondu Ben Gourion a Daniel Mayer, qui lui avait dit : « … Je suis d’abord Francais, ensuite socialiste et après, bien sûr, Juif… » Réponse : »… Mais vous savez, chez nous, on lit et on écrit de droite à gauche… »
Excellent article qui permet d’en savoir un peu plus sur la condition déplorable des Juifs de France. Et ailleurs ? Du pareil au même. Il n’y a qu’en Israël, apres en avoir perdu la souveraineté les armes à la main contre les Romains, que les Juifs ont enfin le droit de vivre dignement, mais à quel prix ?
je cotoie des juifs leur situations de vie ne me semle pas pire que lesfrancais qui subissent les violences tous les jours,attaques,voles,
insultes,une categorie veulent nous detruire,voir ns eliminer par la terreur au nom d’une religion incomprise par eux!
quand ce gouvernement va comprendre? il est peut etre trop tard?
TOUS,juifs,catho,protes,etc sommes en sursie!la grande emigration ne fait que commencer!