Au terme d’une semaine diplomatiquement intéressante, la crise avec la Turquie s’est terminée avec succès grâce au gouvernement actuel. Dans le même temps, une visite aux Émirats a prouvé que la paix avec le Golfe était une énorme réussite.
Par Boaz Bismuth Publié le 19-11-2021 08:20 Dernière modification : 19-11-2021 08:20
Le 21 octobre, le journal turc Sabah a rapporté qu’une vaste opération des forces de sécurité turques avait abouti à l’arrestation de 15 agents du Mossad. Le reportage surprenant ne nous a pas spécialement bouleversé, car il était clair que ce n’était pas l’article le plus fiable de l’année. Mais ce reportage aurait dû être un signal d’alarme. Israël n’a pas répondu, à juste titre, mais on aurait dû s’attendre à ce que la Turquie le fasse et renchérisse. Ankara ne pouvait pas ignorer une affaire comme celle-là, en particulier celle qui a été publiée dans un journal aux ordres et aux intérêts partagés avec le régime.
Il y a neuf jours, les touristes israéliens Mordy et Natalie Oaknin étaient en vacances à Istanbul, visitant la tour Çamlıca du côté asiatique de la ville magique et prenant des photos de la vue. Étant donné que le rapport turc sur les arrestations supposées d’agents du Mossad n’avait pas donné lieu à un avertissement de changement de destination de voyage, ils étaient convaincus (à juste titre) qu’il n’y avait aucun risque à prendre une photo de la résidence privée du président turc Recep Tayyip Erdogan, dont il est déjà question sur les réseaux sociaux.
Qui aurait cru que la photo innocente les enverrait en prison et créerait une crise diplomatique entre les deux pays, qui ont pourtant su la gérer efficacement et avec une parfaite coordination entre les différents systèmes? Jeudi, tout un pays a pu respirer plus à son aise (que les réseaux sociaux me pardonnent, mais dans le cas de l’arrestation du couple, les utilisateurs ont agi comme s’ils étaient exemptés des lois de l’État).
Le président Isaac Herzog, le Premier ministre Naftali Bennett, le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid et le directeur du Mossad David Barnea ont traversé avec succès leur première crise diplomatique. Tout ne se résume pas à une question de parti-pris idéologique : il y a aussi un besoin de calmer les choses dans les luttes politiques internes. On doit aussi féliciter le gouvernement lorsqu’il réussit [NDLR : Israel Hayom est considéré comme le journal de soutien à Binayamin Netanyahu, financé par la veuve de son grand ami Sheldon Adelson]. Le pays nous appartient à tous. Tout le monde se demandait ce qu’Erdogan avait obtenu. Certains disent que le président turc veut que quelqu’un l’écoute et a reçu un appel téléphonique du président Herzog. Dans une période difficile pour la Turquie d’Erdogan, qui est allée trop loin dans l‘adoption de l’islam politique, une fin heureuse comme celle-ci lui donne du crédit auprès de la communauté internationale.
La Turquie, plongée dans une crise économique majeure et confrontée à un difficile problème de relations publiques, cherche à améliorer ses relations extérieures. Cela ne nous coûte pas cher, et pour la Turquie, cela vaut son pesant d’or. Dommage que les Oaknin n’aient pas su que leur voyage tout compris inclurait de passer huit jours derrière les barreaux. Dieu merci, ils sont rentrés chez eux.
La banalité des relations
Cette semaine, je suis retourné aux Emirats Arabes Unis après n’y être pas allé depuis longtemps. La dernière fois que j’y étais, c’était en janvier 2010. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, même si, apparemment, pas assez. Cette fois, je suis entré dans le pays avec un passeport israélien pour la première fois. Quelle différence! Je ne comptais plus, alors, sur un passeport français qui m’a permis d’entrer en Irak pendant la guerre du Golfe via le Qatar, le Koweït et, de façon plus agréable, les Emirats. Les accords d’Abraham ont rendu le passeport israélien non seulement pertinent dans le Golfe, mais c’est aussi gage d’amitié et il est même prisé, recherché.
J’ai visité Abu Dhabi et de là, je suis parti pour une visite à l’Université des Émirats arabes unis dans la capitale du désert, Al Ain. Et Dubaï, bien sûr. Comment passer à côté de cette ville étonnante, qui ne cesse de se développer ? Je parlais hébreu, j’entendais l’hébreu, et bien sûr, à l’exposition de Dubaï, j’ai vu un flot incessant de locaux et de touristes visiter notre stand et prendre des photos avec notre drapeau en arrière-plan. Ils appellent cela la paix entre les peuples. Pas la paix entre les dirigeants. Pas la paix dans le noir quand on éteint tout. Pas de relations avec une concubine. C’est terminé.
Et c’est ce qui est étonnant avec les Accords d’Abraham. Les gens ont essayé de minimiser leur importance. Te souviens tu? Ils ont essayé de dire que ce n’était qu’un accord banal. Qu’il s’agissait d’un accord destiné à sécuriser la vente des F-35. Très vite, nous avons vu que c’était un non-sens. Cette paix est dans l’intérêt des Emirats, qui ont très courageusement fait le pari des liens avec nous. Pour leur peuple, pour nous et pour la région. Oui, à l’exposition, le stand palestinien a été installé à côté de celui des Emiratis, car lorsque vous êtes un pays comme les Émirats arabes unis, vous devez tout le temps équilibrer les choses. Mais comme l’a rapporté notre correspondant diplomatique Ariel Kahana, une source émiratie a déclaré : « Nous parlons à tout le monde« . Et c’est pourquoi ils ont de la hauteur de vue.
Cet accord a banalisé nos liens avec une importante population arabe. C’est là que réside la grandeur des accords – la banalité des relations. Indirectement, elle a également contribué à resserrer les liens avec l’Égypte et la Jordanie, qui comprennent qu’elles ont désormais des concurrents, et que la paix entre les peuples vaut mieux que la paix entre les dirigeants. Paix sans aucun sentiment d’infériorité.
Revenons à la Turquie. Vous souvenez-vous de l’alliance périphérique de David Ben Gourion, lorsqu’il s’est rendu compte qu’il fallait nouer des liens régionaux ? Et que sans amis arabes, il a contacté la Turquie, l’Iran, le Tchad et l’Éthiopie. Aujourd’hui, tout cela a été bouleversé.
L’Iran est loin d’être un ami et est même notre plus grand ennemi. En ce qui concerne la Turquie et l’islam politique (les Frères musulmans), qu’il répand en Libye, à Jérusalem et même dans toute l’Afrique, le pays d’Erdogan n’est pas exactement un amoureux de Sion. D’un autre côté, nous avons tout d’un coup commencé à rassembler des amis arabes dans le Golfe et dans le monde arabe. Ben Gourion se retournerait dans sa tombe.
Mais rappelons-nous que la Turquie et l’Iran d’aujourd’hui ne sont pas la Turquie et l’Iran des années 50. Les Frères musulmans sunnites et les ayatollahs chiites ne faisaient pas exactement partie de « l’alliance périphérique » à l’époque. Et nos voisins arabes, au moins certains d’entre eux, ont subi un changement massif. Les gens prétendent qu’un État tiers a aidé à résoudre la crise (avec la Turquie) [Le Conseiller à la Sécurité Nationale des EAU, Tahnoun bin Zayed Al Nahyan, a des contacts étroits et privilégiés avec son homologue turc], même si Jérusalem insiste sur le fait que même si l’on avait été prêt à intensifier des relations distendues, ce n’était pas nécessaire.
Quoi qu’il en soit, cette semaine a été intéressante et réussie. Mordy et Natalie Oaknin sont de retour chez eux, et une crise qui aurait pu durer des semaines, voire des mois, a été résolue grâce au travail efficace du gouvernement Bennett-Lapid.
Bien sûr, le fait qu’ils n’étaient pas vraiment des espions aidait. Le voyage aux Émirats a prouvé ce que je savais déjà : que les accords d’Abraham sont une immense réussite de l’administration Trump et du prince héritier émirati, et bien sûr du gouvernement israélien. En particulier, le vol direct de Dubaï à Tel-Aviv, tout comme le vol aller de Tel-Aviv à Abou Dhabi au-dessus de l’Arabie saoudite, nous a prouvé qu’il existe bien un nouveau Moyen-Orient et surtout – que la normalisation est une condition vitale pour une vraie paix.
On peut supposer qu’à ce rythme, si Elon Musk et Richard Branson me pardonnent, nous arriverons en Arabie saoudite bien avant d’aller sur la lune. Les accords d’Abraham ont créé un nouveau climat au Moyen-Orient, dans lequel même Erdogan se rend compte qu’il pourrait devoir changer de logiciel (façon de penser). Israël a bien fait de l’y aider. Et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai envie de dire merci au prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed.
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