Une analyse
Le Qatar a parfaitement joué ses cartes en Afghanistan, voyant comment mener un stratagème de long terme, arnaquer l’Amérique crédule de Biden et poser ses pions sur l’échiquier régional.
Il a hébergé les talibans pendant des années, attendant que les États-Unis viennent les appeler comme futurs “gestionnaires” du chaos et les États-Unis comptent désormais sur le Qatar.
Par SETH J. FRANTZMAN 1
Mise à jour : 15 NOVEMBRE 2021 15:50
Des membres des forces talibanes roulent sur une camionnette avec une arme embarquée à Kaboul, en Afghanistan, le 3 octobre 2021.(crédit photo : REUTERS/JORGE SILVA)Publicité
Le Qatar : un habile joueur de flûte pour des endormis comme Biden
Dimanche, une vidéo a émergé d’un défilé militaire à Kaboul, en Afghanistan. Des files de véhicules militaires, des membres des talibans en uniformes militaires modernes avec tout le kit tactique et les fusils standardisés pour l’accompagner.
Vous vous tromperiez si vous pensiez voir ici une force « terroriste » ou « milicienne » : c’est une armée standardisée qui est soudainement sortie de l’ombre. Comment est-ce possible, étant donné que les talibans étaient censés combattre le pays le plus puissant du monde, tout en combattant également d’autres pays occidentaux et l’« armée afghane ?
L’OTAN, une force tout juste bonne à sauver les apparences
La question n’est pas sans conséquence, parce que le Qatar a parfaitement joué ses cartes en Afghanistan, voyant comment mener l’arnaque à long terme et placer ses pions sur le grand échiquier régional d’Asie Centrale. Il a hébergé les talibans pendant des années, attendant l’appel des États-Unis et les États-Unis comptent désormais sur le Qatar pour représenter leurs intérêts.
Dans un sens, les États-Unis se sont tournés vers le soutien aux talibans et le Qatar a rendu cela possible.
Il est tout à fait plausible qu’un jour, le Qatar, qui a hébergé le Hamas et soutenu le Hamas pendant des décennies, puisse proposer à Washington et à l’Occident le même marché en Cisjordanie : nous contribuerons à amener une version plus moderne du Hamas au pouvoir, avec des M-16 et des véhicules américains, et en échange, nous représenterons les intérêts américains à Ramallah et l’Autorité palestinienne pourra être discrètement intégrée à notre prise de pouvoir.
Les petits soldats talibans relookés
Comment cela peut-il arriver ? Premièrement, nous devons explorer un peu l’histoire de la façon dont cela s’est produit en Afghanistan.
Les délégués talibans, Shahabuddin Delawar et Khairullah Khairkhwa attendent une réunion avec les délégués américains et européens à Doha, Qatar, le 12 octobre 2021. (Crédit : REUTERS/STRINGER)
Reuters a décrit l’événement récent à Kaboul : « Les forces talibanes ont organisé un défilé militaire à Kaboul en utilisant des véhicules blindés de fabrication américaine capturés et des hélicoptères russes dans une démonstration qui montrait leur transformation en cours, passant d’une force d’insurgés à une armée régulière permanente.
Le miracle par lequel les talibans ont soudainement émergé pour gouverner l’Afghanistan, encore une fois, après une vingtaine d’années, ne peut être compris sans comprendre comment les États-Unis ont externalisé leur politique afghane au Qatar au cours des dernières années.
Les Américains ont lâché toutes leurs cartes à Doha
Le Qatar représente désormais les intérêts américains en Afghanistan.
Cette tournure des événements est intéressante. On nous a dit que les États-Unis « combattaient » les talibans après les attentats terroristes du 11 septembre. Cependant, comme de nombreux aspects de la guerre mondiale contre le terrorisme, les États-Unis se sont souvent associés aux régimes qui soutiennent les terroristes qu’ils combattent.
Un cynique pourrait postuler qu’il s’agit d’une sorte de complot et ce refrain a été entendu au fil des ans dans les affirmations selon lesquelles les États-Unis « soutiennent al-Qaïda » ou les États-Unis « ont créé al-Qaïda et Daesh». Les affirmations exactes ne sont pas non plus celles-ci. Les États-Unis ont soutenu les extrémistes en Afghanistan dans les années 1980 pour combattre les Soviétiques.
Qatar, protecteur mondial des Frères musulmans
Certains de ces groupes, qui avaient des liens avec l’Arabie saoudite, le Pakistan et le Golfe dans les années 1990, avaient également des liens avec les talibans et al-Qaïda. Plus tard, les États-Unis ont joué un rôle de soutien aux rebelles syriens en 2012, et tandis que certains de ces rebelles ont rejoint Hayat Tahrir al-Sham, une excroissance d’al-Qaïda, on ne peut pas non plus détecter de lien direct ni de rôle direct des USA dans ces retournements au détriment de l’Occident.
Cependant, le rôle du Qatar est plus complexe. Le Qatar a longtemps soutenu les extrémistes dans la région. Comme le Pakistan, il a préféré les talibans et les groupes islamistes d’extrême droite religieuse. Les liens du Qatar se sont forgés avec les Frères musulmans et leur dérivée palestinienne, le Hamas, ainsi qu’avec le parti AKP au pouvoir à Ankara, qui a également des liens avec les Frères musulmans.
La propagande d’Al Qaradawi en direct sur paraboles
Le Qatar s’est également positionné comme un soutien des groupes de réflexion et des médias occidentaux, avec sa propre chaîne Al Jazeera reproduisant ses points de vue et ne critiquant jamais le Qatar. Il s’agit de messages médiatiques soutenus par l’État, mais en Occident, ils sont simplement considérés comme l’un des nombreux types de médias possibles et autorisés, plutôt que comme s’apparentant à la RT russe comme outil de propagande.
Dans la région, Al Jazeera a souvent été perçu comme sapant les régimes qui s’opposent aux Frères musulmans. Cela signifie qu’il a été critiqué pour son rôle en Égypte en 2012, pour son rôle dans la critique de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de son rôle au Soudan (avec l’arrestation récente du chef d’antenne par la junte militaire au pouvoir) et en Tunisie (où le Qatar soutient Ennahda).
Pour les États-Unis, le rôle du Qatar, et sa doube-face de Janus, consistant à travailler avec l’Occident tout en travaillant avec des groupes extrémistes, est attrayant. Le Qatar peut être un intermédiaire avec tous ces groupes qu’il héberge, que ce soit les talibans ou le Hamas, ou encore un interlocuteur avec l’Iran, avec lequel le Qatar entretient des liens amicaux.
Pour les autres États du Golfe, le rôle qatari consistant à avoir sa propre politique indépendante et grandiose a ébouriffé les plumes à Riyad, ce qui a conduit à la crise du Golfe de 2017.
Mais pour les États-Unis, cela n’a fait que renforcer l’image du Qatar en tant que moyen potentiel pour les États-Unis de s’extirper de l’Afghanistan.
Alors que Washington cherchait à se tourner vers des rivalités proches de ses pairs avec la Chine et la Russie, il était essentiel de mettre fin à la guerre contre le terrorisme.
Princes Qataris, la dynastie Corleone du Golfe?
Le Qatar est venu avec une sorte d’offre à la Corleone que Washington ne pouvait pas refuser.
Le Qatar travaillerait avec les talibans, leur permettrait de devenir une force militaire respectable qui pourrait prendre le contrôle de l’Afghanistan lorsque les États-Unis partiraient.
Le gouvernement afghan, qui était corrompu et avait siphonné des milliards de dollars de soutien américain, dont une trop grande partie de cet argent retournait aux États-Unis ou dans d’autres États du Golfe pour acheter des villas et des voitures, serait invité à quitter la scène.
A l’heure dite, les talibans émergeraient, non pas comme une canaille armée et un groupe extrémiste faisant sauter des statues bouddhistes et massacrant des chiites, comme ils l’étaient dans les années 1990, mais comme un nouveau taliban, équipé comme une armée de l’OTAN avec des véhicules américains.
Femmes effacées des affiches et de la rue
Personne n’aurait cru à cette histoire si elle ne s’était pas déroulée sous nos yeux. Un jour, les États-Unis se retiraient, le lendemain les talibans étaient à Kaboul et quelques mois plus tard, leurs forces semblent porter le genre d’uniformes que portent les militaires occidentaux.
Les visages des femmes ont disparu des publicités, les chiites sont à nouveau massacrés, mais pour les pays occidentaux dont le but est la « stabilité » et qui ont tendance à préférer les régimes autoritaires aux démocraties complexes, l’issue en Afghanistan est préférable.
Les démocraties occidentales n’ont jamais eu de scrupules à propos de la violence sectaire de masse infligée aux chiites par des groupes extrémistes de l’Afghanistan au Pakistan, comme ce qui s’est passé à Tal Afar en Irak.
L’Occident consent à l’absence de droits des minorités en Islam
Les minorités obtiennent des droits en Europe, pas dans la bande de pays allant du Maroc au Pakistan. Le rôle des talibans aujourd’hui en Afghanistan est considéré comme la moins mauvaise option du point de vue des États-Unis et des membres de l’OTAN.
La question est de savoir si le Qatar pourrait réussir le même tour de passe-passe avec un leurre et ferrer les pigeons occidentaux, en Cisjordanie, après avoir travaillé avec le Hamas pendant des années.
En général, l’appareil de l’Autorité palestinienne de Cisjordanie ressemble un peu à l’ancien gouvernement afghan. Accusé de corruption et d’abus, de leadership vieillissant et d’hommes au pouvoir qui pourraient être décrits comme des « chefs de guerre » ( à la retraite) en charge de divers domaines, comme il se trouve que d’autres gèrent un ensemble de régimes politiques qui ne fonctionnent pas bien (dits : “états faillis”).
Le Qatar, un rôle-modèle pour tous les corrompus du monde musulman
Du chaos bouillonnant de Jénine à Hébron, l’Autorité palestinienne est toujours au bord de la crise. Comme l’ancien gouvernement afghan, il éponge des quantités massives d’aide étrangère et ne semble jamais investir cette aide dans les infrastructures ; au lieu de cela, l’argent semble aller aux fils et aux filles des élites, puis est probablement transféré à l’étranger sur des comptes bancaires étrangers comme ceux des fils Abbas, révélés au cours des “Panama Papers”.
Selon CBS en 2003, l’ancien dirigeant palestinien Yasser Arafat « a détourné près d’un milliard de dollars de fonds publics ». Des sommes d’argent massives ont disparu des coffres à Ramallah au fil des ans. Les Palestiniens sont peut-être pauvres, mais leurs dirigeants sont riches et une grande partie de l’argent étranger injecté à Ramallah depuis l’Europe au fil des ans a probablement fini en Europe sous la forme de villas.
L’appel du Hamas a toujours été de prétendre ne pas être corrompu. Pour les habitants, à qui l’on pourrait demander un jour de choisir un Hamas soutenu par le Qatar à la direction vieillissante de Ramallah, il est tout à fait plausible que les caciques de l’OLP s’effondrent de la façon dont l’Afghanistan s’est effondré.
Les structures politiques soutenues par l’Occident ont tendance à être pourries et incapables de repousser de tels appels.
Considérez l’échec total du gouvernement irakien en 2014 contre Daesh, malgré tout l’argent que les États-Unis avaient investi dans « l’armée irakienne ».
Le Hamas peut aussi faire semblant de ne pas “y toucher”
Ce sont en grande partie des milices chiites soutenues par l’Iran qui ont sauvé Bagdad de l’Etat islamique, et non le matériel fourni par les États-Unis qui a pourri sur les bases irakiennes en 2014.
Reste à savoir si un scénario afghan pourrait se jouer en Cisjordanie. Il y a, bien sûr, de nombreux autres problèmes à l’œuvre parce que l’Autorité palestinienne n’est pas un tigre de papier soutenu par les forces de l’OTAN, ses forces de sécurité ont été formées par les États-Unis mais opèrent en grande partie seules au cours de la dernière décennie.
Cependant, le rôle du Qatar en émergeant soudainement en tant que courtier en pouvoir à Kaboul, après des années de planification et d’organisation de réunions, est un rôle qui pourrait essayer d’émerger à Ramallah sous une forme ou une autre, après des années à jouer un rôle plus important à Gaza.
Les coalisés du pacte d’Abraham doivent être aux aguets
Les États-Unis soutiennent à nouveau l’unité palestinienne, chaque fois que ce concept émerge, c’est le Qatar qui voit des gains possibles pour lui-même.
D’autres pays ayant un rôle à jouer, comme l’Égypte, la Turquie, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et la Jordanie doivent faire face à ce problème.
La Turquie, bien sûr, aimerait un scénario qatari à Ramallah.
L’Égypte, les Émirats arabes unis, la Jordanie et d’autres ne le souhaiteraient probablement pas. Israël et les États-Unis peuvent également avoir d’autres calculs. Le Qatar a certainement tiré les leçons de son succès à Kaboul : se rendre indispensable aux pays occidentaux lassés par la guerre, en accueillant les extrémistes qu’ils veulent apaiser et conforter, puis foncer à la fin pourse présenter comme les pacificateurs.
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